Le lien transgénérationnel de la tentation de l’obscurantisme
Régulièrement dans l’histoire, de générations en générations, revient la tentation récurrente de l’obscurantisme éprouvée pourtant pas des intellectuels dont on ne peut pas dire qu’ils ont l’excuse d’être idiots. Léon Bloy, l’homme aux yeux revolver n’a pas échappé à la tradition. A la fin du 19ème siècle, les anathèmes de ces esprits pertinents mais parfois égarés pouvaient déjà faire converger les imprécations contre la démocratie, le suffrage universel, la presse et la vaccination sans oublier l’Islam.
« Un des inconvénients les moins observés du suffrage universel, c'est de contraindre des citoyens en putréfaction à sortir de leurs sépulcres pour élire ou pour être élus » écrivait-il dans son journal en 1903.
« A force d'avilissement, les journalistes sont devenus si étrangers à tout sentiment d'honneur qu'il est absolument impossible, désormais, de leur faire comprendre qu'on les vomit et qu'après les avoir vomis, on les réavale avec fureur pour les déféquer. La corporation est logée à cet étage d'ignominie où la conscience ne discerne plus ce que c'est que d'être un salaud » écrivait-il dans Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, entre 1902 et 1904.
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Rajoutons à cela son côté « antivax » lorsqu’il évoque « l’ordure » Louis Pasteur : « J’exprime fortement, quoique inutilement, mon horreur pour cette ordure, dont l’humanité s’est si bien passée, jusqu’au dernier siècle, et dont l’Angleterre nous gratifia. Le courant moderne est, d’ailleurs, aux inoculations de tout genre. On finira par putréfier les petits enfants de quarante sortes de vaccins » et son côté anti musulman, lui qui vénérait « la folie des croisades » : « Depuis une dizaine de siècles, au moins, il n'y a jamais eu qu'une Question d'Orient, question à triple face et à triple tour. Extermination ou du moins expulsion des Musulmans, extermination des Grecs et conquête du Saint-Sépulcre. Tout le reste est imbécillité et mensonge ».
Léon Bloy ne fait qu’exprimer ici la détresse de tous les désenchantés, de tous les désespérés, de tous ceux que la vie a brisé au fil des épreuves terrible qu’elle leur a fait subir : le glissement dans la folie de l’amour de sa vie, et la perte de ses deux fils. Celui qui ne voulait pourtant surtout pas rester à la postérité comme « le pamphlétaire à perpétuité » et qui vivait très mal dans son époque : « Je pense qu'il n'y a jamais eu d'époque aussi dénuée d'intérêt. Uniformité désespérante de la platitude et de l'ordure, attestée par les sécrétions du journalisme. »
La tentation de l’obscurantisme nous menace tous. Elle risque à chaque instant si nous nous aigrissons, de nous transformer en vieux cons.
Jean-Pierre Guéno