Le monde à l’heure du « Re - »
C’est un petit préfixe que nous utilisons dans de si nombreux mots ou expressions que nous n’y prêtons plus attention. Un préfixe qui nous vient du latin « rursus » et qui signifie « en revenant sur ses pas », ou « en allant au fond des choses ». C’est lui que nous trouvons dans des mots tels que « ré-vélation », « re-set », ou encore « re-distribution ». Et si je l’évoque aujourd’hui c’est que ce préfixe a acquis ces derniers mois une signification nouvelle.
Les Titans face au déluge
En effet, depuis deux décennies, et avant que n’éclate la pandémie du Covid-19, de nouvelles puissances ont pris le contrôle du monde : elles sont technologiques et financières (les grandes plateformes numériques américaines et chinoises qui se nourrissent de nos données), ou géopolitiques (ces nouveaux leaders autoritaires qui émergent partout dans le monde, y compris dans des sociétés démocratiques). J’ai appelé Titans ces nouvelles puissances qui nous gouvernent et ont remis au goût du jour l’idée que seule la force est efficace. Du nom de ces créatures de la mythologie antique qui régnaient en maîtres sur le monde, soumettant les dieux de l’Olympe, leurs enfants, à leur joug. Jusqu’à ce que Zeus, déclenchant le déluge de Deucalion, mette fin à leur règne, et que commence celui des dieux.
Chaque jour, lire les journaux ou consulter les cours de bourse conduisait à s’interroger : combien de temps les humains allaient-ils encore supporter d’être les jouets des Titans ? Les Titans résisteraient-ils à d’autres forces, encore plus puissantes, telles que le changement climatique, l’épuisement des ressources de la planète, les inégalités croissantes ou les migrations massives, autant de phénomènes qu’ils contribuaient à aggraver ? La survenue d’une pandémie mondiale ne faisait pas partie des scénarii. Et pourtant, il a vite fallu nous rendre à l’évidence : nous étions bien submergés par une sorte de déluge, une révélation soudaine de notre fragilité. Le virus allait-il également ébranler les Titans ? Alors que nous ne cessons d’imaginer à quoi pourrait ressembler le « monde d’après », il n’est pas certain que ce dernier soit si différent.
De la révélation au « reset »
C’est là que le préfixe « re- » prend tout son sens. A propos de la pandémie de Covid-19 et de ses conséquences en cascade, il a beaucoup été question d’Apocalypse, la fin des temps telle que décrite dans le dernier livre du Nouveau Testament. Mais la connotation négative et anxiogène qu’a pris ce terme dans le langage courant nous fait oublier qu’Apocalypse signifie littéralement « révélation », « lever le voile sur ». Plus qu’une fin du monde, la pandémie fut bien une révélation, une mise au grand jour des déséquilibres insoutenables de nos économies et de nos sociétés.
Dès lors, cette mise à l’arrêt du monde offre l’occasion d’un « reset » : le World Economic Forum a insisté sur la nécessité de remettre les humains et la planète au centre des réformes structurelles à venir. Les Nations Unies ont appelé à « réimaginer et réinventer le monde que nous partageons », tandis que la Future Investment Initiative (FII) appelle les dirigeants à saisir de nouvelles opportunités participant d’un futur durable et de la « tech for good ». Encore faut-il, pour cela, comprendre ce qui s’est passé au cours des dernières années, et comment nous en sommes arrivés là. C’est ce que j’ai essayé de faire dans mon dernier ouvrage qui paraît chez Grasset aujourd’hui, le 21 octobre : L’ère des nouveaux titans. Le capitalisme en apesanteur.
J’avais été frappé de constater, à l’automne 2019, à quel point le roman de Dickens Un conte de deux villes, était présent dans les discussions entre dirigeants, dans les grands forums internationaux. Or l’actualité de ce texte, qui évoque la Révolution française vécue, entre Paris et Londres, par une famille qui se trouvera déchirée dans les évènements révolutionnaires, n’est pas si simple à comprendre. En se référant à ce livre, les dirigeants d’entreprises expriment-ils de façon subliminale la crainte d’une révolution mondiale ? C’est peu probable. Ils témoignaient surtout de leurs interrogations sur l’extraordinaire polarisation du monde, dans tous les domaines, technologique, social et économique.
Comprendre pour agir
Les titans modernes qui ont pris le pouvoir sont nés de la fusion du capital et des mathématiques. De l’abondance de liquidités déversées sur les marchés après la crise financière de 2008, des taux d’intérêts devenus négatifs et de la spirale déflationniste qui a encouragé les investissements les plus risqués dans la tech, au détriment de l’investissement dans le capital humain, fragilisant les modèles économiques et sociaux traditionnels. Ces trois ingrédients - une révolution monétaire qui libère les moyens d’action du capitalisme ; une révolution technologique qui accélère le temps au point que le cerveau humain peine à s’y adapter ; une révolution sociale qui éloigne de plus en plus ceux qui profitent des deux premières et ceux qui les subissent – ont provoqué un changement total de modèle, la création d’un monde nouveau où toutes les règles anciennes deviennent obsolètes. Le Covid sera-t-il un explosif assez puissant pour enrayer cette marche du monde ?
En réalité la pandémie ne nous a pas appris grand-chose que nous ne sachions déjà. Elle a même permis de tester à grande échelle un certain nombre de choses qui étaient (heureusement ou malheureusement) dans l’air du temps : le recul des libertés publiques au nom de la sécurité, la possibilité de formes de revenu universel à travers le chômage partiel, ou la virtualisation totale de nos relations sociales, comme si nous étions dans le film Matrix.
Dans ces temps étranges, où l’on oscille entre réalisme et espoir, entre résignation et volonté, se « retourner en arrière » pour « aller au fond des choses » comme nous y invite le préfixe « re- » est la meilleure préparation pour l’avenir. Je vous proposerai, dans les mois qui viennent, d’approfondir ces réflexions sur les dynamiques technologiques à l’œuvre et leurs causes, les différents visages des nouveaux titans, les nouveaux modèles économiques et sociaux qui en découlent. Autant de phénomènes qui pourraient s’approfondir dans les années à venir et dont nous devons prendre la mesure si nous voulons les traverser.
Maire-adjointe déléguée à l’Enfance, la Démocratie Locale et la Modernisation de l’action municipale
4 ansLa technologie est au service de l’innovation et l’innovation est au service de l’humanité. in fine c’est a l’Humanité de décider de l’usage des technologies sans oublier notre planète , notre plus chère Amie à préserver avant tout.
Ancien DG de l'EPITA | CEO startup acquise par Apple | Cofondateur de Wanadoo | Inspirateur de La French Tech | Conférencier | Auteur
4 ansÉcho intéressant à ce post publié dans la Harvard Business Review en mai dernier — https://bit.ly/hbr-fr-reset
Coach professionnelle certifiée RNCP
4 ansComme le dit Eric Salobir président Human Technology Foundation, les technologies ne sont ni bonnes, ni mauvaises, elles ne sont pas neutres. et posent la question des limites éthiques et des règles politiques et juridiques.