Le nouevl ére de la médiocratie par : Alain Deneault
Résumé | Extrait
Alain Deneault Zone franche La médiocratie Candidatures exceptionnelles s’abstenir. Rangez ces ouvrages trop compliqués, les livres comptables feront l’affaire. Ne soyez ni fier, ni spirituel, ni même à l’aise, vous risqueriez de paraître arrogant. Atténuez vos passions, elles font peur. Surtout, aucune « bonne idée », la déchiqueteuse en est pleine. Ce regard perçant qui inquiète, dilatez-le, et décontractez vos lèvres – il faut penser mou et le montrer, parler de son moi, tout en le réduisant à peu de chose : on doit pouvoir vous caser. Les temps ont changé. Il n’y a eu aucune prise de la Bastille, rien de comparable à l’incendie du Reichstag, et l’Aurore n’a encore tiré aucun coup de feu. Pourtant, l’assaut a bel et bien été lancé et couronné de succès : les médiocres ont pris le pouvoir. La principale compétence d’un médiocre ? Savoir reconnaître un autre médiocre. Ensemble, ils organiseront des grattages de dos et des renvois d’ascenseurs pour rendre puissant un clan qui va s’agrandissant, puisqu’ils auront tôt fait d’y attirer leurs semblables. L’important n’est pas tant d’éviter la bêtise que de la couvrir sous les images du pouvoir. Toutefois, la médiocratie ne relève pas de la pure incompétence. On ne veut pas d’incapables. Il faut pouvoir faire fonctionner la photocopieuse, comprendre un formulaire, le remplir sans rechigner et dire bonjour au bon moment. Médiocrité est en français le substantif désignant ce qui est moyen, tout comme supériorité et infériorité font état de ce qui est supérieur et inférieur. Il n’y a pas de moyenneté – la médiocrité, c’est le stade moyen en acte plus que la moyenne. Et la médiocratie est ce stade moyen hissé au rang d’autorité. C’est insidieux. Parce que le médiocre ne chôme pas, il croit travailler dur. Il en faut des efforts, en effet, pour réaliser une émission de télévision à grand déploiement, remplir une demande de subvention de recherche auprès d’une instance gouvernementale, concevoir des petits pots de yaourt à l’allure aérodynamique séduisante ou organiser le contenu rituel d’une rencontre ministérielle avec une délégation d’homologues. Ne produit pas du moyen qui veut. La perfection technique sera même indispensable pour masquer l’inénarrable paresse intellectuelle qui est en jeu dans autant de professions de foi conformistes. On a longtemps dépeint le médiocre en situation minoritaire. Pour Jean de la Bruyère, il est surtout un étourdi qui tire son épingle du jeu grâce à sa connaissance des ragots et des intrigues en vigueur chez les puissants. « Celse est d’un rang médiocre, mais des grands le souffrent ; il n’est pas savant, il a relation avec des savants ; il a peu de mérite, mais il connaît des gens qui en ont beaucoup ; il n’est pas habile, mais il a une langue qui peut servir de truchement, et des pieds qui peuvent le porter d’un lieu à un autre. » Devenus dominants, les Celse du monde n’ont personne d’autre à imiter qu’eux-mêmes. Le pouvoir, ils le conquièrent progressivement et presque à leur insu. À force de chapeautage, de passe-droits, de complaisance et de collusion, ils coiffent les institutions. Laurence J. Peter et Raymond Hull ont témoigné les premiers de cette structure. Leur thèse est d’une netteté implacable : les processus systémiques encouragent l’ascension aux postes de pouvoir des acteurs moyennement compétents, écartant à leurs marges les « super compétents » tout comme les parfaits incompétents. Un exemple frappant : dans une institution d’enseignement, on ne voudra pas de la professionnelle qui ne sait pas respecter un horaire et qui ne connaît absolument rien de sa matière, mais on n’endurera pas davantage la rebelle qui modifiera en profondeur le protocole d’enseignement pour faire passer la classe d’étudiants en difficulté au stade des meilleurs de toute l’école.
Alors qu'est ce que vous en pensez???