Le numérique, mauvais élève insoupçonné du climat
Alors qu’on cite souvent la consommation de viande et l’avion comme postes importants d’émissions de gaz à effet de serre au niveau individuel, on oublie souvent … les vidéos de chats. Les vidéos de chats me direz-vous ? Eh oui, la vidéo en ligne et plus largement le secteur du numérique sont très carbonés. A titre de comparaison, le numérique est chaque année responsable de davantage d’émissions de gaz à effet de serre que la totalité des avions qui parcouraient la planète avant la crise sanitaire. Que savons-nous aujourd’hui de l’impact du numérique ? Quelles prévisions pour demain ? Quelles bonnes pratiques mettre en place à l’échelle individuelle, globale et dans les entreprises pour réduire cet impact ?
Le numérique est responsable de … 4% des émissions de gaz à effet de serre mondiales* !!
Les usages numériques reposent avant tout sur l’utilisation d’appareils électroniques : PC, Smartphone, Tablette… Pour produire ces appareils, il faut de l’énergie et des matières premières. Beaucoup d’énergie et beaucoup de matières premières. Par exemple, pour produire un ordinateur portable d’environ 2kg il faut :
- 200kg de pétrole
- 600kg de minerais
- Plusieurs milliers de litres d’eau
Une partie des minerais utilisés sont ce que l’on appelle des « terres rares ». Leur nom vient du fait qu’il faut extraire énormément de … terre pour récupérer de petites quantités de minerais. Ces méthodes d’extraction sont à la fois très gourmandes en énergie mais aussi tout à fait dévastatrices pour les milieux naturels.
Pour faire fonctionner ces jolies petites choses que nous admirons plusieurs heures par jour, nous avons besoin d’antennes et de serveurs qui gèrent les flux de données entre nos appareils. Ces antennes et serveurs sont eux aussi des équipements électroniques qu’il faut produire en utilisant d’énormes quantités de ressources.
Enfin, il faut de l’électricité pour faire fonctionner tout cela. En France, l’électricité est moins carbonée qu’ailleurs grâce à l’énergie nucléaire. Mais dans le monde plus de 60% de l’électricité est produite à partir d’énergies fossiles (le charbon, le pétrole, le gaz), c’est donc une énergie très carbonée.
Au global, 45% des émissions du secteur numérique sont liées à la production des équipements électroniques utilisés par les utilisateurs finaux (smartphones, PC, tablettes, télévisions). Les 55% restantes sont dues à l’usage de ces équipements : énergie utilisée en propre et pour la production et l’utilisation des serveurs et réseaux qui rendent possible cet usage.
Et les vidéos de chats dans tout ça ?
Côté usage, la vidéo en ligne est de loin le poste d’émissions le plus important. Sur l’ensemble des flux de données mondiaux échangés en ligne, 60% sont dus à l’utilisation de plateforme de divertissements telles que Netflix. Or ces flux de données ont un impact carbone. Par exemple, la chanson Gangnam Style a été visionnée 2,8 milliards de fois sur Youtube. C’est l’équivalent de l’énergie produite par une centrale électrique pendant 1 an. On estime ainsi que le visionnage de vidéos en ligne représente 300 millions de tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent des émissions annuelles d’un pays comme l’Espagne !
Un marché en forte croissance
Tout comme nos usages, les émissions de gaz à effet de serre du secteur du numérique sont en forte croissance. On estime cette croissance à 9% par an. Ainsi, de 4% du total des émissions mondiales de GES en 2018, le secteur pourrait passer en 2025 à .... 8% ! Pourquoi cela augmente-t-il si rapidement ? Pour deux principales raisons : d’abord notre consommation annuelle de données augmente d’environ 25% par an du fait de l’apparition de technologies toujours plus gourmandes en données (l’intelligence artificielle, la blockchain…). Ensuite parce que le rythme de production d’appareils électroniques est étourdissant : 1,5 milliards de nouveaux smartphones sont produits tous les ans et 5 milliards sont actuellement en circulation. En France nous changeons en moyenne de Smartphone tous les 18 mois alors qu’ils sont encore en parfait état et que des filières de recyclage efficaces peinent à se développer.
L’effet rebond : kesako ?
Un autre facteur important de la croissance du secteur est l’effet rebond. Il s’agit d’un concept appelé également le paradoxe de Jevons qui date du début de la révolution industrielle. Les premières machines à vapeur étaient utilisées pour pomper et extraire l’eau présente dans les mines. Un fameux ingénieur du nom de James Watt inventa en 1769 une nouvelle machine à vapeur bien plus performante que la première génération utilisée jusque-là. La logique aurait voulu que la consommation globale de charbon diminue puisque cette nouvelle machine consommait moins de charbon pour le même résultat. C’est en fait l’exact inverse qui se produisit : comme cette nouvelle machine était plus efficace, cela était moins cher de l’utiliser donc d’autres industries purent y avoir accès (textile, transport). Son usage fut de plus en plus répandu et ainsi la consommation globale de charbon augmenta au lieu de diminuer. C’est le premier exemple où l’amélioration d’une technologie, au lieu de faire décroître la consommation de ressources, a en fait provoqué son augmentation en la rendant plus accessible.
Un exemple plus récent est celui du covoiturage : lors de l’apparition de ce nouveau service on estimait à 65% le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées à l’usage de voitures individuelles. Or quelques années plus tard, seule une diminution de 12% a été constatée. Pourquoi ? A cause de l’effet rebond ! En rendant les trajets en voiture plus accessibles, des personnes qui ne voyageaient pas avant se mirent à voyager et des personnes qui prenaient les transports publics se mirent à utiliser le covoiturage.
Bon bah c’est foutu alors, non ?
Cela ne tient qu’à nous de limiter cet impact. Pour cela, nous devons utiliser l’ensemble des leviers à notre disposition. Si notre capacité à innover est clé pour résoudre ce défi, il est également indispensable de lutter contre l’effet rebond, mais aussi de prendre des mesures encourageant la sobriété.
Au niveau individuel
Ce sont nos usages qui déterminent les actions individuelles les plus impactantes. Voici néanmoins quelques exemples qui vous parleront surement :
- Réduire le nombre d’appareils que vous possédez et questionner vos besoins (ai-je vraiment besoin de 2 téléphones portables ? d’une tablette en plus de mon PC ?) ;
- Limiter l’usage de la vidéo en ligne ;
- Privilégier une connexion wifi voire filaire à une connexion mobile (la 4G consomme jusqu’à 23 fois plus que le wifi).
Au niveau global
Les pouvoirs publics ont eux aussi un vrai rôle de régulation à jouer, car les petits pas ne suffiront pas :
- Combattre l’obsolescence programmée des équipements électroniques en imposant des durées de garanties plus longues ;
- Mener des campagnes de sensibilisation pour lutter contre « l’obésité numérique » (i.e. la consommation à l’excès de contenu via des équipements numériques), notamment auprès des enfants pour lesquels les conséquences sanitaires peuvent être dramatiques ;
- Privilégier la mutualisation des réseaux entre opérateurs ;
- Questionner le bienfondé du déploiement de la 5G.
Dans les entreprises
Si les GAFA ont pris des engagements forts sur ces sujets, toutes les entreprises ont un rôle à jouer dans la réduction de l’impact du secteur numérique sur le dérèglement climatique :
• Mieux connaître votre impact en réalisant un bilan carbone ;
• Limiter le stockage de données et bien choisir son fournisseur de cloud (Google a pris des mesures en la matière bien avant ses concurrents) ;
• Intégrer cette dimension dans votre politique d’achats informatiques ;
• Eco-designer vos technologies et services numériques.
Le lien avec ma fonction chez SUEZ ?
Au sein du programme d’accélération numérique que je co-dirige, le Digital HUB, nous organisons des webinars d’inspiration sur des sujets liés au numérique. C’est lors de l’un de ces événements internes en novembre 2020 que ce sujet de l’impact du numérique sur le climat a été mis à l’honneur. Je suis également engagée dans la sensibilisation des collaborateurs SUEZ aux enjeux climatiques via le déploiement de la fresque de l’environnement auprès des 90 000 salariés du groupe. J’ai notamment animé plusieurs conférences au sein du groupe sur les sujets de l’impact du numérique sur le climat.
Note : la plupart des chiffres cités dans cet article proviennent des travaux du think tank « The Shift Project ».
CONSULTANT à la retraite et heureux ! (#Consulting #Communication #Marketing #Digital)
3 ansPour aller plus loin, on peut lire « La guerre des métaux rares » de Guillaume Pitron, la face cachée de la transition énergétique et numérique. Un éveil des consciences sur l’exploitation toujours plus intensive des ressources de notre belle planète.
Co-founder Resilio I B Corp certified 🌱 Green IT Trainer & Speaker
3 ans👏 👏 👏 Pour aller plus loin, lire les travaux de Frederic Bordage et du collectif GreenIT.fr et se former via https://www.greenit.fr/formations/
Responsable de programmes d'entrepreneuriat - Economie Circulaire
3 ansBravo Marion Rosenstiehl !! Un prochain article sur les métaux rares nécessaires à la fabrication de tous ces outils de communication ? :)
Directrice Normalisation Groupe chez Suez
3 ansCela fait bien longtemps que des alertes sur le sujet ont été faites par de nombreuses parties prenantes mais le sujet était peu audible compte tenu des enjeux de marché du digital. Repenser nos usages et développer une IT plus green ne sont pas des réflexes évidents et faciles à mettre en pratique et pourtant c'est clé si on veut faire face au changement climatique. Merci donc pour cette bonne contribution à la sensibilisation de chacun et en espérant que nous serons nombreux à prendre en compte vos messages, en particulier les acteurs du digital !
Energy & technology l Account management, project management, product management, consulting, partnerships management
3 ans"la chanson Gangnam Style a été visionnée 2,8 milliards de fois sur Youtube. C’est l’équivalent de l’énergie produite par une centrale électrique pendant 1 an": un exemple parlant!