Le pacte laique en France

Depuis 1905, les relations entre les religions et l’Etat sont régies par la loi de séparation des Églises et de l’Etat.
Le principe de laïcité est inscrit dans la Constitution, Article 2 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
La loi de séparation des Églises et de l’Etat (décembre 1905) qui achève la laïcisation de l’Etat, loi de combat par la rupture unilatérale qu ‘elle impose, est aussi une loi de sagesse et de tolérance « faite de liberté, de franchise et de loyauté » selon ses auteurs ; elle institue une laïcité à la fois radicale et libérale.
Son article 1 renouvelle la garantie donnée aux libertés des citoyens ( « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes » avant que le deuxième énonce le statut de séparation ( « elle ne reconnaît, ne salarie, ne subventionne aucun culte » )
La formule « ne reconnaît aucun culte » ne signifie pas que l’Etat laïque ignore la présence du fait religieux, mais qu’il met fin au statut concordataire des « cultes reconnus ».
L’article 4, âprement discuté, prévoit que les « associations cultuelles » formées par les fidèles se conformeront « aux règles d’organisation générale » de chaque culte.
Pie X en bloque l’application en interdisant aux catholiques français de former des associations cultuelles. Les biens étant alors remis, selon la loi, aux collectivités territoriales, Briand fait décider que celles-ci laisseront gratuitement à la disposition du clergé les édifices et les mobiliers nécessaires à l’exercice du culte.
C’est un texte de compromis qui permit au clan laïque d’imposer une séparation dont l’Église ne voulait pas et aux plus modérés dans les rangs de la gauche ( Jaurès et Briand) d’obtenir contre les plus radicaux des dispositions qui respectaient l’Église catholique.
La neutralité de l’Etat qui en découle signifie que l’Etat ne prend pas partie mais pas qu’il soit indifférent à l’égard des religions.
Jules Ferry : « J’ai toujours pensé que l’oeuvre du gouvernement de la République n’est point une oeuvre de sectaires ; que nous n’avons ni le droit ni le devoir de faire la chasse aux consciences (…) et qu’agissant ainsi nous manquerions à notre premier devoir. (…) Oui, nous sommes entrés résolument dans la lutte anticléricale, je l’ai dit, et la majorité républicaine m’a acclamé quand j’ai tenu ce langage. Oui, nous avons voulu la lutte anticléricale, mais la lutte antireligieuse…jamais ! » (Devant le Sénat, le 10 juin 1881)
A gauche, la position antireligieuse est définie par Viviani. Discours du 9 novembre1906 à la Chambre des députés. : « Tous ensemble, nous avons fait oeuvre d’anticléricalisme, d’irréligion. Nous avons arraché les consciences humaines à la croyance. Nous avons éteint dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus. »
Il est vrai aussi que chez nombre de responsables de l’Instruction publique, cette neutralité est devenue une neutralité d’exclusion mais les attitudes sectaires de combat antireligieux n’ont jamais été érigées en doctrine par les gouvernements.


Les trois grands principes de la laïcité sont la liberté de conscience, l’égalité de droits et le souci d’universalité.
La liberté de conscience est le premier principe fondateur de la laïcité. Les citoyens doivent être libres de choisir une religion, une conviction athée ou agnostique et d’en changer. La liberté de conscience est première, comme l’est la liberté humaine : elle n’est pas un bien que l’on peut perdre, qui serait accordé ou non, car il s’inscrit dans l’être de tout homme, non dans son avoir. Elle est inaliénable.
L’égalité de droits des tenants des options spirituelles est le second principe de la laïcité. L’égalité de principe exclut tout privilège public des religions ou de l’athéisme. La séparation juridique des Églises et de l’Etat est à cet égard une garantie d’impartialité. Elle constitue d’ailleurs une libération mutuelle : la République devient la chose de tous, athées, agnostiques ou croyants ; la religion s’affirme comme libre témoignage spirituel en s’émancipant de ses compromissions théologico-politiques traditionnelles.
La forme tangible de l’égalité est lisible dans une loi commune et un espace public dont la seule raison d’être est de promouvoir ce qui est commun à tous par delà les différences.
Le souci d’universalité de l’espace public s’articule à la distinction juridique du privé et du public. L’assignation des options spirituelles à la sphère privée ne signifie pas qu’on en méconnaisse la dimension sociale et collective : celle-ci est prise en compte par le droit des associations. Elle n’interdit nullement aux religions ou à la libre-pensée de s’exprimer dans l’espace public. Mais elle leur dénie toute emprise sur l’espace public.
On comprend dès lors qu’il est essentiel pour la République laïque de préserver la sphère publique de tout empiètement des communautarismes. L’espace public n’est pas une mosaïque de communautés, mais un monde de référence des individus citoyens libres de choisir leurs appartenances, toujours considérées comme sujets de droit individuels.
La laïcité ne requiert nullement l’effacement des « différences »mais un régime d’affirmation des différences qui reste compatible avec la loi commune, et soit à même d’empêcher tout rapport de dépendance personnelle.
Cette loi est aujourd’hui le fonds même de l’identité laïque du peuple français et de la conscience collective de la République.


Elle est aujourd’hui confrontée à de nouveaux défis :
- L’émergence de l’Islam, seconde religion de France.
- La diversité des appartenances spirituelles, religieuses ou non.
- La crise de l’École.


L’émergence de l’Islam :
La plupart des musulmans vivent sereinement dans le cadre laïc mais certains tiennent des discours qui mettent au premier plan des règles particulières au-dessus des lois républicaines. Ceci n’est pas tolérable et on doit rappeler la prééminence de la citoyenneté sur l’appartenance religieuse dans la sphère politique.
La loi sur les signes religieux voudrait combattre les fondamentalismes, en particulier l’islamique. En interdisant le port du voile à l’école, elle protège la jeune fille de la domination masculine et identitaire d’un certain Islam, elle assure son émancipation. Voir le rapport de la mission d’information de l’Assemblée Nationale présidée par Jean-Louis DEBRE, La laïcité à l’école, un principe républicain à réaffirmer. 2004.

La laïcité - l’affirmation d’un espace public qui respecte la conviction religieuse mais ne dépende pas de l’autorité religieuse - est une vraie chance pour l’Islam.


La diversité des appartenances spirituelles :
Elles ont toute leur place et aussi le droit de s’exprimer dans la sphère publique, à condition qu’elles ne se constituent pas en sectes ou en communautarismes.
La Fédération protestante de France défend cette laïcité qui « puisse accueillir le pluralisme culturel et religieux, le fait social, comme une question posée à la sphère publique tout en restant critique à son égard. En d’autres termes, une laïcité qui permette, à partir d’une éthique du débat, la formation d’une société citoyenne non « communautariste » et non « ethnique » Arnaud STOLTZ.
La Fédération protestante de France en 2005 s’est prononcée pour une adaptation à une situation nouvelle de la loi de 1905 concernant les associations cultuelles.
Le Président de la République y a répondu le 21 octobre 2005 : « J’ai parfaitement compris, à chacun de mes échanges avec ses représentants, les problèmes et les difficultés qu’elle rencontre. Ces questions, j’en ai la conviction, doivent pouvoir trouver réponse sans remettre en cause un texte qui a si profondément contribué à la paix civile dans notre pays. »
L’Église catholique désormais s’inscrit dans ce cadre sans problème : Lettre aux catholiques de France en 1996 : « La laïcité et le pluralisme de notre société induisent sans aucun doute une relation nouvelle de l’Église à la société(…) Il est certain qu’en cette fin du XXème siècle, la situation de l’Église catholique en France est très différente de ce qu ‘elle était au début de ce siècle. Les relations entre l’Église et l’Etat, qu’elles soient d’ailleurs difficiles ou faciles, sont devenues beaucoup moins importantes que la présence de l’Église dans la société tout entière. (…)En termes politiques, on pourra dire que l’opposition entre une tradition catholique, contre-révolutionnaire et conservatrice et une tradition républicaine, anticléricale et progressiste est presque totalement révolue.
Si l’on préfère user des catégories sociologiques, on suggérera que les catholiques sont passés d’une situation majoritaire à une situation minoritaire. (…)
En termes de mémoire et de culture, beaucoup de personnes continuent de se référer à la tradition catholique qui, pour des observateurs étrangers, demeure fondamentale pour caractériser l’identité française. »
.
Le projet laïc de la nation française autorise l’expression des communautés religieuses mais il requiert le sentiment d’appartenance à une nation douée d’un idéal et d’un projet universel qui dépasse les appartenances singulières.

Le rapport MACHELON : remis en septembre 2006 au ministre de l’Intérieur.
La commission Machelon, chargée par le ministre de l’Intérieur, Monsieur SARKOZY à l’époque, d’aménager la loi de 1905, a publié un rapport controversé.
Parmi ses propositions : la possibilité pour les communes de financer la construction de lieux de culte et des modifications concernant le régime juridique des associations, l’immobilier cultuel et les cimetières.
Les réactions des instances religieuses sont mitigées.
L’Eglise catholique n’a pas officiellement réagi aux propositions du rapport Machelon.
Dans une déclaration de l’assemblée plénière des évêques de France, publiée à Lourdes, en juin 2005, elle n’avait pas caché ses réticences envers l’idée d’une modification de la loi de 1905.
Les institutions du judaïsme français se sont toujours déclarées opposés à une modification de la loi de 1905 par attachement à la laïcité.
Les principaux responsables musulmans de France n’ont pas encore jugé nécessaire de rendre publique une réaction détaillée aux propositions du rapport Machelon.
Recteur de la mosquée de Paris et président du Conseil français du culte musulman, Dalil Boubakeur a estimé que le financement public des lieux de culte relève d’une « excellente intention » à condition qu’il s’effectue avec « transparence, clarté, pour que soient respectés la laïcité, légalité (…) et l’indépendance totale de fonctionnement. »
La Fédération protestante de France est la seule à avoir rendue publique une lettre, adressée à Nicolas Sarkozy. Le pasteur Jean- Arnold de Clermont y dit sa satisfaction : « Toutes les questions que la Fédération protestante de France avait posées ont été prises en compte et traitées avec attention. »
En revanche, la FPF est « résolument opposée au financement direct pour la construction d’un lieu de culte. »
Nicolas Sarkozy, devenu Président de la République, est revenu en arrière sur la proposition d’un financement public des lieux de culte. Par contre, les évolutions possibles quant au statut des associations cultuelles sont prises en compte.
Nous attendons les nouveaux développements.
La crise de l’École :
En manque de repères et de sens, la jeunesse attend beaucoup de l’École. Celle- ci se doit de renouveler le sens de la citoyenneté et redonner un idéal commun à chaque citoyen.
Cet idéal s’inscrit dans l’histoire de la France et de l’identité nationale.
N’oublions pas la célèbre Lettre à l’instituteur de Jules FERRY: « Au moment de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez- vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi, refuser son assentiment à ce qu’il entendrait dire. Si oui, abstenez -–vous de le dire ; sinon, parlez hardiment ; car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas que votre sagesse, c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité. » ( 17 novembre 1883)
Le respect que prône Jules Ferry n’est pas abandon des valeurs et de la culture française.
Si aujourd’hui, on ne peut ignorer la diversité des origines et des cultures des élèves, il est aussi nécessaire de donner le sens de cette citoyenneté française qui ne nie pas les différences mais les intègre dans un idéal commun.
Il n’est pas tolérable, sous couvert de respect des différences, de laisser faire les contestations des cours d’histoire, de français ou de sciences et vie. Le bien commun de la culture doit être proposé à tous, qu ‘elle que soit son origine et même si elle va à l’encontre des fondamentalismes religieux.
A trop vouloir valoriser la différence, on en vient par exemple à justifier l’antisémitisme, sous couvert d’une culture différente. C’est un abandon de nos valeurs.
L’introduction de l’enseignement du fait religieux à l’École, s’il a pour fonction de faire reculer l’ignorance et l’intolérance, a surtout pour objet de passer « d’une laïcité d’incompétence (le religieux, par construction, ne nous regarde pas) à une laïcité d’intelligence (il est de notre devoir de le comprendre) » Régis DEBRAY, Rapport au ministre de l’Education Nationale, l’enseignement du fait religieux dans l’école laïque.
Il s’insère dans le projet émancipateur de l’école : la connaissance permet le vivre-ensemble et la relativisation des identités particulières, elle s’inscrit contre tous les fanatismes, laïques ou religieux, et les communautarismes.
Ainsi, le pacte laïc qui régit la France est un cadre émancipateur et respectueux des différences. Il institue un projet de citoyenneté, l’idée que le peuple se perpétue dans un creuset de valeurs communes où chacun reconnaît une part de lui –même et s’inscrit dans une nation, riche de son histoire et de ses citoyens si divers soient–ils.
« La laïcité peut être le levain de l’intégration de tous dans la société : elle équilibre la reconnaissance du droit à une identité propre et l’effort nécessaire pour tisser les convictions individuelles avec le lien social. L’apprentissage de la citoyenneté dans notre société riche de cultures et d’origines diverses, suppose qu’on apprenne à vivre ensemble. En articulant unité nationale, neutralité de la République et reconnaissance de la diversité, la laïcité crée, par delà les communautés traditionnelles de chacun, la communauté d’affections, cet ensemble d’images, de valeurs, de rêves et de volontés qui fondent la République. » Rapport au Président de la République, Laïcité et République, commission présidée par Bernard STASI. (11 décembre 2003)
Deux tentations sont à éviter :
-La sacralisation de la laïcité ;
-Le refus du dialogue avec les autres traditions.
En évitant ces deux écueils, il sera possible de vivre-ensemble selon le pacte laïc.
Marie-Hélène CLOCHARD
Professeur agrégée d’histoire

Bibliographie :
BAUDOIN et PORTIER La laïcité, une valeur d’aujourd’hui ? Res Publica PUR 2001.
BAUBEROT Jean Laïcité 1905-2005 entre passion et raison Deuil Avril 2005
DEBRAY Régis Rapport au ministre de l’Education nationale. L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque. Odile Jacob 2002
DEBRE Jean-Louis Rapport de la mission d’information de l’Assemblée Nationale. La laïcité à l’école, un principe républicain à réaffirmer. Odile Jacob 2004.
PENA-RUIZ Henri La laïcité, Textes choisis Corpus Flammarion 2004.
Histoire de la laïcité, genèse d’un idéal Découvertes Gallimard 2005.
STASI Bernard Rapport au Président de la République Laïcité et République, Commission présidée par Bernard STASI. La Documentation française Décembre 2003.
TERNISIEN Xavier Etat et religions Odile Jacob, La Documentation française 2006.
MACHELON Rapport au ministre de l'Intérieur. Septembre 2006.

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets