Le point sur l'enquête effective en matière de violences domestiques
Un sujet toujours d'actualité qui a pris une résonance particulière en période de confinement, les violences domestiques - et familiales en général - sont une source d'attention même si les réponses envisagées ou mises en oeuvre suscitent parfois plus de questions.
Hasard du calendrier, la Cour européenne des droits de l'Homme a rendu en février un arrêt tout à fait intéressant sur cette question, étendant le champ d'application des violences domestiques à la cyber-violence.
Mais d'abord, reprenons. L'arrêt phare de la Cour en la matière est Opuz c. Turquie (req. n°33401/02) rendu en juillet 2009 qui non seulement reconnaissait l'applicabilité de l'article 3 de la CEDH aux violences domestiques (personne n'en doutait) mais qualifiait la passivité des autorités de police face aux plaintes répétées de la requérante de discrimination à l'égard des femmes. L'article 14 CEDH entre donc également en jeu face à une situation de "passivité généralisée [...] des juridictions turques" (ibid., §200). Ainsi, la carence de l'Etat, qu'elle soit intentionnelle ou pas, dans la protection des femmes face aux violences domestiques qu'elles dénoncent constitue une discrimination au sens de la CEDH. Cette approche a été confirmée dans des arrêts postérieurs.
Cependant, au niveau interne, l'article 14 CEDH n'est pas encore évoqué aussi souvent qu'il le faudrait devant les juridictions nationales pour épuiser les voies de recours.
Arrive le mois de février 2020. La Cour prononce un arrêt dans une affaire concernant la Roumanie qui mettait en cause des faits de violence domestique d'un mari envers sa femme. A la différence des affaires précédentes, celle-ci comprenait également l'allégation de la violation du secret de correspondances: le mari s'était connecté, de manière abusive, au compte Facebook de sa femme pour copier des conversations privées et des images. Les juridictions internes avaient tout simplement refusé de procéder à une perquisition électronique indiquant que ces éléments étaient sans rapport avec les violences dénoncées par la requérante.
La Cour européenne nous indique sans ambage que le phénomène de violence domestique doit être apprécié dans sa globalité.
Prenant appui sur le travail des Nations-Unies et, donc, sur une interprétation globale de la CEDH (à la lumière des autres textes internationaux), la Cour inclut le cyberviolence à l'égard des femmes à sa définition de la violence domestique. Il s'agit de prendre en compte "les différentes manières dont Internet exacerbe, amplifie ou diffuse l’abus".
La Cour affirme que "des actes tels que surveiller, accéder à ou sauvegarder sans droit la correspondance du conjoint peuvent être pris en compte lorsque les autorités nationales enquêtent sur des faits de violence domestique". Sans formellement les combinés, la Cour européenne va alors traiter la question sous l'angle des articles 3 et 8 dans un même ensemble logique. Ils sont mêlés tout au long des développements de l'arrêt et conduisent à un constat global de violation de la CEDH.
Ce faisant, elle précise davantage l'obligation positive spécifique à la charge de l'Etat en matière de violence domestique: l'enquête menée doit alors revêtir des caractéristiques spécifiques précisées au fur et à mesure de la jurisprudence de la Cour.
Rappel de l'exigence d'enquête effective en matière de violence domestique
L'enquête interne doit prendre en compte les spécificités des plaintes de violence domestique ce qui constitue une obligation positive particulière à la charge de l'Etat: les différents actes d'enquête doivent avoir pour objectif d'identifier l'auteur des violences domestiques portées à la connaissance des autorités (se contenter, comme en l'espèce, d'entendre quelques témoins proches de la requérante n'est pas suffisant; l'audition de témoins supplémentaires ou des confrontations auraient dû être envisagées). Cette conclusion n'est pas remise en cause ni par l'obtention, en parallèle, d'une ordonnance de protection, ni par le caractère ponctuel de la violence dénoncée. Elle inclut désormais la nécessité d'enquêter sur les allégations d'atteinte au secret de la correspondance, y compris d'office, sans exiger de la victime qu'elle doive déposer une plainte spécifique pour déclencher l'action publique.
Cet aspect peut donc être invoqué y compris par l'avocat de la personne qui dépose plainte, dès le stade de l'enquête, lorsque la violation de la vie privée est liée aux allégations de violence.
Et si l'article 14 CEDH n'était pas présent dans cette affaire, il continue de constituer un outil supplémentaire pour l'épuisement des voies de recours internes en matière de violence domestique. Pensez-y!