Le prêt de bitcoin qualifié de prêt de consommation
Le Tribunal de Commerce de Nanterre a considéré, le 26 février dernier, que le bitcoin est un actif incorporel fongible et consomptible au même titre que la monnaie légale « quand bien même il n'en n'est pas une ». Cette décision importante devrait faciliter les opérations en bitcoins et assurer une meilleure liquidité du marché.
Les décisions de justice concernant les cryptomonnaies étant rares elles méritent une grande attention dans un univers en voie de régulation. Aussi le jugement nanterrois révélé par « L'Agefi » fera date à double titre. C'est une première en France, d'autant plus qu'elle sort de la jurisprudence habituelle. De plus, elle permet de qualifier la nature juridique du bitcoin, la plus célèbre et ancienne cryptomonnaie.
De fait, il a qualifié le prêt de bitcoin de prêt de consommation (prévu par l'article 1892 du Code civil), considérant le bitcoin comme un actif incorporel fongible, qui relève juridiquement « de la chose de genre », c'est-à-dire d'un bien interchangeable, mais non individualisable, au même titre que la monnaie fiduciaire.
On rappellera que la qualification juridique du prêt de bitcoin n'avait pas été précisée dans le cadre de la « loi Pacte » qui établit un régime spécifique pour les crypto-actifs.
Cette décision fait suite à un contentieux entre la plate-forme française d’échange de cryptomonnaies Paymium et la société anglaise de conseil financier BitSpread, qui a eu lieu entre 2014 et 2018.
En mai 2014, BitSpread a ouvert un compte sur Paymium, obtenant un prêt de 1 000 bitcoins (BTC). Le 1er août 2017, le bitcoin a fait l’objet d’une scission, le hard fork, créant une nouvelle cryptomonnaie : le bitcoin Cash (BCC). Au moment de celui-ci, les sociétés détentrices de BTC ont reçu un nombre égal de BCC.
Selon les juges nanterrois, «Paymium allègue que BitSpread aurait reçu des BCC au titre des BTC qu’elle détenait sur son compte ouvert sur la plate-forme Kraken au jour du 'fork'. De son côté, BitSpread soutient que l’attribution par les plates-formes de nouvelles cryptomonnaies issues du 'fork' n’a rien d’automatique mais résulte du choix de la plate-forme concernée qui est libre de les attribuer, ou non, à ses clients en fonction de son aptitude à traiter la nouvelle cryptomonnaie». En octobre 2017, BitSpread a restitué les 1.000 BTC, sans les intérêts.
L’enjeu de la décision reposait notamment sur le retour des bitcoin cash au prêteur dès lors qu’en novembre 2017, Paymium a demandé à BitSpread la restitution des bitcoin cash issus du hard fork.
Le Tribunal de commerce de Nanterre a donc tranché en rejetant la demande de Paymium de recevoir les 1 000 BCC. BitSpread a été condamnée à verser 42 BTC à titre d’intérêts et 100.000 euros en remboursement d’un prêt. Paymium de son côté devra libérer 53 BTC qui avait été bloqués sur le compte de Bitspread à titre conservatoire.
De fait, lorsque l’on prête le bitcoin ou quand on l’emprunte c’est un prêt de consommation qui oblige à rendre la même qualité et quantité et fait supporter en conséquence les risques ou bénéficier des fruits l’emprunteur. Cela s’applique aussi au bitcoin cash, à l’ethereum ou à d’autres cryptomonnaies.
En qualifiant ainsi le prêt de bitcoin de prêt de consommation, l’emprunteur peut collecter les fruits des bitcoins et remplit son obligation quand il rend des bitcoin sans nécessairement remettre des bitcoin cash.
Il reste à s’interroger sur la portée de ce jugement. Il est vraisemblable que dans des cas similaires, les décisions iront dans le même sens. Dans la mesure où le bitcoin n’est pas une monnaie régulée, hormis certains services visés par la « loi Pacte », il convient de prévoir le maximum contractuellement. Cette décision aura ainsi un impact certain dans les contrats. Néanmoins elle sera différemment appréciée notamment quant à l’interprétation faite de la qualification et les droits des détenteurs du bitcoin avant et après le hard fork.