Le prix de l’eau ne coule pas de source...
L’eau n’est pas une ressource illimitée. Aussi l’idée d’avoir une tarification appropriée fait son chemin sans pour autant faire l’unanimité.
Serez-vous bientôt à sec pour avoir voulu boire en été ? À Toulouse, la municipalité vient de décider d’une nouvelle tarification de l’eau : elle coûtera plus cher en été et moins en hiver. À première vue, le principe est logique. En été, l’eau se raréfie ; chaque année, le bas niveau de la Garonne, seule source d’eau potable de la ville, inquiète. La mesure divise pourtant l’opinion. Pourquoi ?
D’abord, parce que nous avons du mal à accepter que l’eau soit payante. Contrairement au gaz ou à l’électricité, l’eau est perçue comme un don de la nature – et non pas comme une ressource extraite du sol ou d’une centrale à l’aide de techniques sophistiquées. Nous nous plaisons à la croire fraîche, claire, printanière, vivante, pour user des termes de Gaston Bachelard dans L’Eau et les Rêves ; nous l’imaginons sourdre du robinet comme d’un ruisseau dévalant les pentes d’une montagne – et non pas comme un liquide inerte, pompé d’une usine de production après avoir stagné dans un bac d’assainissement.
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Ensuite, parce qu’il serait plus juste de mettre en place une tarification progressive, avec un prix qui augmenterait en fonction de la consommation. L’idée : épargner les foyers modestes, en leur offrant les premiers mètres cubes d’eau à un tarif très bas (voire gratuit), et cibler les gros consommateurs (le notable et son énorme piscine). Problème : une telle mesure est compliquée à mettre en œuvre, a pointé le Conseil économique, social et environnemental (Cese), rappelant que seule la moitié des foyers français dispose d’un compteur d’eau (30 % à Toulouse).
Enfin, parce que sa gestion nous semble relever du collectif. La tarification saisonnière suit la loi de l’offre et la demande : un principe bien connu du capitalisme. Or l’eau devrait échapper à ce jeu de pouvoir entre producteur et consommateur, juge le citoyen. L’eau est un bien commun. Mais comment gérer ce qui relève de l’intérêt général ? En 1968, Garrett Hardin publiait La Tragédie des communs. Selon ce biologiste américain controversé, la planète est comme un pâturage en libre accès. Le problème, c’est que chaque éleveur a intérêt à y amener le plus de bétail possible ; bientôt, le lopin de terre deviendra inutilisable. C’est le drame des « communs » : lorsque la ressource est limitée et la demande croissante, on ne peut compter sur les intérêts individuels pour gérer un bien collectif. Comme le disait Aristote dans sa Politique : « L’homme prend le plus grand soin de ce qui lui est propre, il a tendance à négliger ce qui lui est commun. »
Pour sortir de l’impasse, deux stratégies s’affrontent. On peut soit réguler par le prix, comme le fait la mairie de Toulouse – ce qui entraîne des injustices, les plus fortunés n’ayant cure de faire à l’économie. Ou bien sélectionner des usages en fonction de leur caractère prioritaire ou non, de la même manière qu’on avait défini des activités comme « essentielles » pendant le Covid – et interdire ce qui relève du loisir comme le golf ou les piscines. Au fond, c’est tout notre rapport à l’eau qui doit être réinventé. De ce point de vue, la décision toulousaine a un intérêt : dissiper l’illusion selon laquelle l’eau serait une ressource illimitée – et nous rappeler qu’en bons Terriens, nous dépendons du climat.
Et si on commençait par augmenter très significativement le prix de l'eau aux "fabricants" d'eau minérale et de source en bouteille ?