Le rôle des fonds de garantie bancaires en Afrique pour répondre à la crise économique et sociale liée au COVID-19
Photo : pixabay

Le rôle des fonds de garantie bancaires en Afrique pour répondre à la crise économique et sociale liée au COVID-19

Par Rémy Sourdois, consultant associé chez Aliénor Consulting et François Lécuyer, Directeur de IFRI Finance Consulting

La crise sanitaire mondiale qui nous frappe depuis mi-mars sur le continent n’est pas encore terminée mais nous savons que les économies africaines seront durement touchées[1]. Les conséquences sociales et sur la sécurité alimentaire sont particulièrement redoutées sur l’ensemble du continent africain.

Les économies comme les entreprises vont être fragilisées par cette crise et le tissu économique doit absolument être préservé[2]. Les micros, petites et moyennes entreprises représentent près de 90% des entreprises, constituent un socle important des économies et sont pourvoyeuses d’emplois.

Souvent autofinancées avec peu d’accès au crédit bancaire, ces entreprises vont rencontrer des difficultés de trésorerie pour relancer leur activité arrêtée ou réduite durant plusieurs semaines. Aussi, pour répondre à une crise d’envergure exceptionnelle, il faut adopter des mesures exceptionnelles.  

 Les mesures des Banques Centrales

Les principales Banques Centrales en Afrique, tels que la BCEAO dans l’UEMOA, la BEAC dans la CEMAC, la Bank Al-Maghrib au Maroc, ont pris la décision dès fin mars 2020 d’alléger les conditions d’accès aux financements pour les acteurs économiques.

Dans l’UEMOA, par exemple, pour atténuer l'impact de la pandémie sur le financement des économies, la BCEAO a autorisé les établissements de crédit à classer les créances saines portées sur leur clientèle ayant fait l'objet d'un report d'échéances du fait des effets de la crise sanitaire, dans un compte spécifique à l’intérieur de la catégorie des créances saines, et non dans celle des créances en souffrance.

Sur cette base, les établissements de crédit pourront ainsi accorder à leurs clients affectés par les effets de la pandémie et qui le sollicitent, notamment les entreprises, un report d'échéances sur leurs prêts, pour une période de trois mois renouvelable une fois, sans charge d'intérêt, ni frais, ni pénalité de retard.

Ces mesures certes importantes, seront insuffisantes pour financer la reprise d’activités. Les banques ne seront pas encouragées à prendre des dispositions pour prêter. Elles demanderont que des  mesures d’accompagnement et de partage du risque fortes soient prises par les pouvoirs publics.

Les fonds de garantie comme mesure complémentaire

Les Etats vont être sollicités pour à la fois soutenir les entreprises, prendre des mesures sociales ou pour assurer la sécurité alimentaire menacée pour une frange importante de la population. Les arbitrages sont difficiles et les Etats ne pourront pas satisfaire tous les besoins, ni prêter directement aux entreprises en particulier celles du secteur informel[3].  

Il existe au niveau de l’Afrique, des dispositifs de garantie bancaires aptes à répondre à cette préoccupation de soutien aux entreprises dans la période actuelle.  

La mission de ces fonds de garantie, dont tout ou partie des ressources sont d’origine publique, est de soutenir le développement du secteur privé par un partage du risque avec les banques.

L’un des atouts pour répondre rapidement à la crise actuelle est que ces institutions de garantie existent déjà et qu’elles sont bien intégrées dans le système financier. Leurs garanties sont éligibles au dispositif prudentiel des banques centrales et elles offrent différents produits qui couvrent l’essentiel des besoins de partage du risque des crédits octroyés aux entreprises par les banques.

Ces garanties accordées sont utiles pour les banques à trois niveaux[4] :  

  • Elles atténuent la dépréciation des créances douteuses et la constitution des provisions grâce au  partage du risque et améliorent ainsi la marge bancaire,
  • Elles améliorent la trésorerie de la banque en cas d’impayé par le versement d’une avance du Fonds de Garantie dès la constatation de la déchéance du terme et l’appel de garantie,  
  • Elles diminuent les besoins nécessaires en fonds propres pour couvrir les risques de crédit.

Ces avantages, en complément des mesures prises par les banques centrales, sont susceptibles de donner l’impulsion nécessaire pour que les banques se mobilisent pleinement et prêtent aux entreprises touchées par la pandémie. Dans ce cas, les mesures exceptionnelles à mettre en œuvre avec les Etats et le secteur bancaire pourraient être les suivantes :  

  • La prolongation des garanties classiques des crédits d’investissement, pour accompagner les réaménagements opérés par les banques, et sans frais de gestion supplémentaires,
  • L’octroi de garanties à hauteur d’au moins 80% pour les prêts de trésorerie accordés par les banques aux entreprises affectées par les conséquences du COVID-19 et aux Systèmes Financiers Décentralisés qui financent le secteur informel et les exploitations familiales agricoles.

Le Maroc a pris ce type de mesure et la Caisse Centrale de Garantie, a mis en place un nouveau mécanisme, Damane Oxygène, qui vise la mobilisation des ressources de financement en faveur des entreprises dont la trésorerie s’est dégradée à cause de la baisse de leur activité. Il couvre 95% du montant du crédit et permet ainsi aux banques de mettre en place rapidement des découverts exceptionnels pour financer le besoin en fonds de roulement des entreprises cibles[5].

Pour soutenir ces mesures, les Etats avec leurs partenaires techniques et financiers devront s’engager à renforcer les fonds de garantie existants et à adapter les règles de gestion au contexte (quotité garantie, critères d’éligibilité). C’est à cette condition que les dispositifs de garantie pourront contribuer à atténuer les effets de cette crise et sauver des entreprises, des emplois, et aider à assurer la sécurité alimentaire de l’ensemble de la population, en complément des nécessaires mesures sociales.

Une réflexion pour le futur

Au-delà de ces mesures exceptionnelles à prendre, la période actuelle est également propice à l’innovation financière dans ce domaine. Ce sera l’occasion de réfléchir avec les banques et les pouvoirs publics à la mise en place[6] ou au renforcement de dispositifs de garantie plus efficaces dans le cadre d’un partenariat public-privé avec ces établissements financiers spécialisés.

Le mécanisme recommandé permet d’isoler juridiquement les fonds de garantie par rapport aux fonds propres du gestionnaire qui se voit confier une mission d’intérêt général par l’Etat. Chaque fonds est géré indépendamment avec ses règles spécifiques définies entre les pouvoirs-publics et le secteur financier. L’Etat peut doter ainsi des fonds de garantie en fonction d’objectifs de développement et en fonction d’activités stratégiques (entreprises en développement, agriculture, secteur informel, microfinance, création d’entreprises, énergies renouvelables, etc.).

Cet outil souple est particulièrement bien adapté pour soutenir les innovations des plans de relances à venir. Une telle crise devrait avoir pour conséquence la nécessité d’adapter nos économies par rapport aux risques nouveaux et poursuivre les efforts sur la transition écologique et l’économie numérique[7].   

Au-delà de cet intérêt de disposer en permanence d’un instrument de politique économique favorable au financement de l’économie et à la sécurisation du système financier, ces mécanismes sont moins coûteux pour les finances publiques. A la différence de fonds de garantie « classique », chaque fonds est doté en fonction des besoins pour répondre aux objectifs qui lui ont été assignés. La solvabilité du gestionnaire est assurée par ses fonds propres et son compte d’exploitation n’est pas affecté par les sinistres indemnisés[8].

Les dispositifs qui permettent d’isoler les fonds de garantie (gestion en fiducie) et ne pas mettre en risque l’institution financière de garantie permettront d’impliquer le secteur bancaire dans le capital et la gouvernance de ces institutions et favoriseront le travail avec les pouvoirs-publics pour définir les produits de garantie les plus adaptés.

Les grandes institutions de garantie régionales ou internationales avec leurs dispositifs de partage de risque existants[9] peuvent venir soutenir et compléter les dispositifs nationaux en intervenant en co-garantie ou en contre garantie. Cela augmentera les capacités d’intervention des institutions de garantie nationales et améliorera l’efficience des fonds de garantie en gestion. 

Conclusion

Ces dispositifs de garantie peu coûteux et bien adaptés au secteur bancaire, peuvent à tout moment être renforcés et adaptés pour faire face à des crises imprévues comme celle à laquelle le monde doit faire face aujourd’hui. Ils sont utiles pour accompagner les plans de relances qui les suivent et facilitent l’adaptation des économies (fonds de garantie sur les énergies renouvelables, les start-up de l’économie numérique, l’agriculture raisonnée, etc.).

[1] Selon les projections de la Banque mondiale (décrites dans le rapport Africa's Pulse 2020-Évaluation de l'impact du Covid-19 et des réponses politiques en Afrique subsaharienne publié le 8 avril), la croissance économique en Afrique subsaharienne devrait chuter de 2,4 % en 2019 pour devenir négative et comprise entre - 2,1 % et - 5,1 % en 2020. Les pertes de production dans la région pour 2020 vont se chiffrer entre 37 milliards et 79 milliards dollars.

[2] Selon l'Union africaine (UA), « près de 20 millions d'emplois, à la fois dans les secteurs formel et informel, sont menacés de destruction ». Pour l'ONU, ce nombre pourrait aller jusqu'à 50 millions.

[3] « avec moins de 20 % de la population employée dans le secteur formel, avec des systèmes de protection sociale inexistants pour le secteur informel, sans régime d'assurance chômage, avec des possibilités très restreintes de soutien de l'économie par les finances publiques, la situation est particulièrement critique pour l'Afrique », souligne le cabinet d'analyse Finactu.

[4] Cf. étude opportunités et avantages des fonds de garantie pour les banques de l’UEMOA – cas du financement de la PME – Aliénor Consulting – juin 2019

[5] https://www.ccg.ma/fr/espace-media/actualites/covid-19-la-ccg-lance-la-garantie-exceptionnelle-damane-oxygene-pour-venir

[6] De nombreux pays dans l’UEMOA ou la CEMAC ne disposent pas de dispositifs de garantie nationaux de type bancaire.

[7] « La crise du coronavirus signale l’accélération d’un nouveau capitalisme, le capitalisme numérique ». Daniel Cohen. Le Monde du 2 avril 2020.

[8] Il n’est donc pas nécessaire de renforcer le capital de l’institution de garantie pour équilibrer ses comptes et répondre aux exigences réglementaires (Cf. méthodologie d’approche des fonds de garantie – Aliénor Consulting – janvier 2017).

[9] Dispositif SFI Groupe Banque Mondiale, ARIZ/EURIZ Groupe AFD, African Guarantee Fund, Fonds de Solidarité Africain



Et comme tu le sais, surtout les fonds de garanties permettant les crédits de campagne !

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Rémy Sourdois

Autres pages consultées

Explorer les sujets