Le rayon bière est en pleine mutation : quelques parallèles avec l’univers du vin
Lame de fond depuis plusieurs années, la bière artisanale prend de plus en plus de place dans le quotidien des consommateurs. Leurs envies évoluent, et le marché avec elles. Alors qu’il était jusque-là massivement dominé par les grands industriels, il a vu émerger de nombreuses brasseries indépendantes. Le segment Craft pèse désormais environ 7% du marché en France (près de 15% aux Etats-Unis) et gagne rapidement des parts de marché. Fini l’uniformité, ce mouvement a fait exploser les styles, les approches gustatives, les clés d’entrée…
Une offre bouleversée : mouvement Craft, appétence pour le local, progression du no-low
La production de bière a été dynamisée ces dernières années par une tendance forte. La Craft beer, ou bière artisanale, s’est installée durablement et impose ses codes : créativité prolifique, exploration des limites, renouveau gustatif... Elle a conquis le vieux continent, et particulièrement la France, qui s’affiche comme l’un des leaders européens en termes de nombre de brasseries. Pale Ale, IPA, Stout… toutes ces dénominations autrefois inconnues des amateurs sont désormais plus familières pour les consommateurs, grâce à une pénétration toujours plus poussée des assortiments bière.
La quantité de brasseries artisanales a explosé, passant de 246 en 2006, à 1100 en 2018 et environ 2000 aujourd’hui. Si leur production a été démocratisée, elles défendent cependant quelques fondamentaux : l’indépendance, une forme d’artisanat et l’utilisation de matières premières nobles. Des valeurs en parfait accord avec une autre tendance actuelle, l’appétence pour le local. Notre société, en pleine quête de sens, apprécie cet acte engagé à l’image qualitative qui occasionne généralement un surcoût que 74% des consommateurs sont prêts à payer selon une étude Nielsen. Les enseignes de grande distribution ne s’y trompent pas, et les références produites localement s’invitent largement dans les rayons bières. Les bières régionales représentent a minima 10 à 15% du rayon, parfois jusqu’à 50 à 60% chez les indépendants !
Enfin, la montée en puissance du no-low, soit les boissons sans ou faiblement alcoolisées, a elle-aussi un impact de taille sur le rayon bière. Le grand public, soucieux de sa santé et/ou d’une consommation plus modérée, recherche des alternatives considérées comme plus « healthy ». D’après les Brasseurs de France, les ventes de bières sans alcool ont augmenté de 15% en 2020. Logiquement, les gammes s’étoffent donc pour répondre à cette nouvelle demande, et le rayon bière pousse littéralement les murs.
Une complexification qui ramène le consommateur au caractère anxiogène du vin ?
Selon une étude du cabinet Xerfi, la consommation de bière profite d’une croissance continue depuis 2015. Les férus de cette boisson en boivent donc davantage, mais surtout mieux. Bien conscients de l’attention portée à ce rayon, les distributeurs ont multiplié le nombre de références à leur disposition. Lorsque l’on sait que les brasseries françaises, à elles-seules, représentent plus de 10 000 bières différentes, on imagine facilement l’opulence de l’offre actuelle.
Les bières dites premium et spéciales constituent plus de 2/3 des volumes en grande distribution. Le rayon devient raffiné, au même titre que celui du vin. Et bien qu’il suive les envies du consommateur, il ne lui rend pas la tâche aisée en devenant de plus en plus complexe. En effet, il était jusqu’ici balisé avec des styles intemporels tels que les bières blanches, ambrées ou belges. Des points de repère qui semblent s’effacer doucement face au déferlement des bières artisanales.
Plus difficile à cerner encore, le manque d’homogénéité au sein d’un même style de bière. Ainsi, on pourrait qualifier une IPA (India Pale Ale) de bière fruitée avec une belle pointe d’amertume. Toutefois, l’intensité de l’amertume est très variable d’une IPA à l’autre, ce qui peut entraîner la confusion du consommateur, même dans un style qui fait désormais partie des “classiques” parmi les nouveaux venus.
On comprend que ce même consommateur puisse nager quand on lui présente une DIPA, une NIPA ou encore une Saison IPA !
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Une situation qui fait écho à celle du rayon vin et de sa pléiade d’appellations et clés d’entrée, entraînant un problème structurel de lisibilité pour le consommateur. Et ce sentiment d’être déboussolé est accentué par le dynamisme de brasseurs, qui rivalisent d’inventivité pour leurs nouveaux brassins. Ils recherchent l’originalité, jonglent avec les arômes et les saveurs : bières acides, fumées, aromatisées aux fruits, aux épices...
La bière est passée du statut de simple produit de consommation à véritable objet de dégustation. Cela vous rappelle quelque chose ?
Mais le rayon bière se singularise aussi
Attention ! Ce manque d’homogénéité, même s’il rappelle celui du vin, s’en distingue. En effet, les styles de bières sont bien moins délimités et normés que leurs équivalents viticoles : les appellations. Notion ambigüe pour la plupart des consommateurs, qui se tournent de plus en plus vers une approche cépage, ces dernières incarnent cependant des repères stables. Repères que les consommateurs peinent pour l’instant à retrouver côté bière.
Mais la singularité du rayon bière, c’est avant tout son dynamisme. Car cette boisson reste un produit de consommation rapide, devant être bu dans les mois qui suivent sa mise en bouteille pour bénéficier d’une dégustation optimale. Très différente du vin de ce point de vue, la bière a constamment besoin de se réinventer. Évolution des codes très rapide, inventivité des recettes, des packagings & étiquettes, cuvées saisonnières ou expérimentales ….
Et cela va de pair avec une rotation plus marquée des références au sein du rayon bière, que l’on attribue notamment au manque de maturité du segment craft. De nouvelles brasseries font régulièrement leur entrée sur le marché, la concurrence entre elles est rude. Et alimente très souvent cette créativité !
Un besoin profond de conseil, à l’instar du rayon vin
Le marché de la bière artisanale n’est pas encore arrivé à maturité et continue d’évoluer. La quasi-totalité des enseignes investissent ce domaine, avec une nette préférence pour la distribution physique, par opposition au e-commerce. Si l’e-commerce du vin continue de séduire, malgré des facteurs clés de succès difficiles à réunir, l’équation économique est encore plus complexe pour la vente online de bières. La bouteille de bière, par sa valeur unitaire faible et son coût de stockage élevé, engendre notamment des coûts logistiques non négligeables. Quelques exceptions confirment la règle : Saveur Bière, n°1 français de la vente de bière en ligne racheté par AB InBev en 2016. Ou encore Beerwulf, rattaché à Heineken. Dans le monde physique, le succès de l’enseigne V&B fait des envieux. L’enseigne Nicolas, incontournable dans le vin, a ainsi lancé des magasins dédiés à la bière artisanale.
Des enseignes où le conseil tient un rôle de plus en plus important, face à une offre pléthorique, aux aspérités toujours plus nombreuses et aux limites non définies ! Un besoin de conseil jusqu’alors réservé au rayon vin, qui devient une nécessité pour animer et dynamiser un rayon bière à l’appétit vorace. Une étude Ipsos Shopper de 2021 montre ainsi que 34% des consommateurs de bières ont rencontré des difficultés dans leur parcours d'achat. Un changement bien identifié par Heineken France, qui s’est associé à Matcha pour proposer une solution d’aide au choix à tous les acheteurs de bières, en e-commerce et en magasins.
Backend Dev/Data Scientist at Matcha Wine
3 ansExcellent text! I was particularly surprised by ";orsque l’on sait que les brasseries françaises, à elles-seules, représentent plus de 10 000 bières différentes, on imagine facilement l’opulence de l’offre actuelle."
Growing impactful businesses / Investor in WineTech, FoodTech & Sustainability / Wine Lover / Entrepreneur
3 ansTrès bon article Thomas ! Le vin va devoir se révolutionner lui aussi … stay tune …
VP Sales & Partnerships chez Hey Pongo | Stratégie de développement commercial, Ventes SaaS
3 ansMerci pour l'article Thomas. Très instructif.
Director Global Audit IT at The HEINEKEN Company
3 ansTrès intéressant, merci Thomas Dayras