LE REGIME DE LA REPARATION DANS L'ESPACE CIMA
Si le régime de la responsabilité a connu de profondes mutations au cours des dernières années, il reste néanmoins une constante sur les conditions de sa mise en œuvre. Celle-ci suppose un préjudice relié à un fait générateur par un lien de causalité. Le préjudice reste donc, malgré les évolutions, « la pierre angulaire ». « L’alpha et l’oméga » de la réparation.
Or, de plus en plus, le préjudice se démarque de la réparation. Les dommages et intérêts forfaitaires constituent un exemple de cette prise de distance entre le préjudice et la réparation. Pour s’en convaincre il serait nécessaire d’analyser la notion de forfait. Car, c’est la transposition de ce terme en matière de responsabilité civile qui a abouti à la notion de réparation forfaitaire.
Mais, en l’absence de ligne directrice autour de son régime, le législateur en fait un « fourre-tout » c’est comme ça que le montrent les différents types d’indemnisations forfaitaires. Historiquement, un forfait est une adaptation de l’anglais forfeit (1829) emprunté lui-même à l’ancien français (forfet, forfait, crime) au XIVe siècle.
Au XVIIe siècle, il a été employé pour désigner, dans le vocabulaire hippique, une indemnité que devait payer le propriétaire s’il ne faisait pas courir un cheval qu’il avait engagé dans une course. Ainsi, l’expression « déclarer forfait » signifie abandonner une épreuve.
En matière conventionnelle, un forfait est un mode de détermination du prix par lequel une des parties s’oblige à faire ou à fournir quelque chose pour un certain prix fixé à l’avance. Il correspond également à une convention par laquelle une des parties s’oblige à faire ou à fournir quelque chose pour un prix global immuable, fixé dès l’origine invariablement (à perte ou gain).
En matière fiscale, enfin, un forfait renvoie à une évaluation approximative du revenu des personnes non salariées pour déterminer leur imposition.
Il faut déduire de ce qui précède qu’un forfait suppose au moins deux éléments : la fixation ou la détermination à l’avance d’un montant et/ou une certaine approximation, voire une déconnexion entre ce prix et la réalité.
Ainsi, dans l’hypothèse d’un forfait, il serait difficile de prendre en compte toute l’étendue réelle d’une situation ou de prendre en compte les spécificités liées à une activité et les conséquences qui en découleraient. Le forfait serait alors le domaine d’une approche abstraite.
Lorsque, le législateur emploie la notion de forfait dans des domaines autres que la responsabilité civile, il prend soin soit de prévoir les modalités de calcul de ladite somme, soit d’en déterminer le montant, soit de définir l’existence d’un plafond ou d’un plancher.
Parfois, il reste muet, notamment lorsqu’il emploie le mot « forfait » pour indiquer qu’un montant doit être déterminé à l’avance par une autorité compétente. Dans le domaine de la propriété intellectuelle, l’intérêt du forfait serait de dispenser le titulaire des droits (de propriété intellectuelle) d’avoir à démontrer l’ampleur de son préjudice.
Mais, quel que soit le domaine où le forfait est envisagé, il existe un flou autour des différents régimes d’indemnités forfaitaires.
Le risque inhérent à un système d’indemnisation forfaitaire est en effet celui d’une « mauvaise » réparation qui se traduirait par l’octroi à la victime d’une indemnité d’un montant trop important ou trop faible ; c’est là l’une des conséquences de son détachement par rapport à la notion de préjudice.
Néanmoins, l’indemnité forfaitaire ne consiste pas nécessairement à limiter l’indemnisation de la victime, mais elle procède de la volonté d’introduire une certaine égalité de la réparation, à favoriser certaines activités ou à assurer la sécurité juridique.
Cet argument est d’ailleurs régulièrement mis en avant par le législateur français lorsqu’il envisage de déroger à la réparation intégrale du préjudice.
En effet, les dommages et intérêts forfaitaires contribuent à corriger la rigueur du principe de la réparation intégrale pour l’auteur de l’acte dommageable, le système de la réparation intégrale étant exclusivement tourné vers la protection de la victime.
L’indemnisation forfaitaire apparaît alors, d’un certain point de vue, comme un outil de rééquilibrage du droit de la responsabilité civile.
Le défi consiste alors à clarifier son régime afin qu’elle reste le plus possible, connecté au préjudice. C’est à ce prix que l’indemnité forfaitaire jouerait pleinement son « rôle » au moment de la réparation.
Dans le cas contraire, l’indemnisation forfaitaire serait une porte ouverte à l’arbitraire du juge au moment de l’évaluation du préjudice.
Ce risque d’arbitraire est d’ailleurs entretenu par une consécration désorganisée des dommages et intérêts forfaitaires.
Maître Cheikh Fall.
Avocat à la Cour.