LE REPORT DES DELAIS ECHUS DURANT LA PERIODE D'URGENCE SANITAIRE

L’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 est relative à la prorogation des délais échus pendant la période de l’urgence sanitaire. Une circulaire a également été prise par le Ministère de la Justice le 26 mars afin d’en préciser les termes.

Cette ordonnance a pour objet de reporter tout délai qui arrive à échéance entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’1 mois à compter de la date d’expiration de l’état d’urgence sanitaire déclaré. Il s’agit de « la période juridiquement protégée ».

A ce jour, l’état d’urgence se termine le 24 mai 2020 ; l’ordonnance vise donc les délais qui arrivent à échéance entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020, étant précisé que l'expiration de ce délai pourra varier si la période d'état d'urgence est modifiée ultérieurement.

Je ne traiterai ici que des reports des échéances et termes et de l’interruption des astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et de déchéance ainsi que du renouvellement des contrats (l’ordonnance prévoyant également des dispositions relatives à la matière administrative).

1.      Report des échéances et termes

Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant cette période (état d’urgence sanitaire + 1 mois) sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. 

Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit.

Cela signifie que :

-       Pour les actes, formalités, … qui devaient être accomplis avant le 12 mars 2020 : les délais ne sont pas reportés ;

-       Pour les actes, formalités, … qui devaient être accomplis entre le 12 mars 2020 le 24 juin 2020 (date qui pourra variée) : l’ordonnance ne prévoit pas de suppression de la réalisation de tout acte dont le terme échoit durant cette période mais la possibilité de le réaliser durant un délai supplémentaire de 2 mois à l’issue de cette période, soit en l’état actuel avant la date du 24 août 2020.

A titre d’exemple, une dette est exigible depuis le 20 mars 2015 ; le délai de prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil pour agir en justice devait arriver à expiration le 20 mars 2020. ⇒ le délai courra encore pendant les deux mois qui suivent la fin du délai d’un mois suivant la cessation de l’état d’urgence. Le demandeur pourra donc agir dans ce délai sans que son action puisse être déclarée irrecevable en raison de la prescription.

Attention, ne sont visés que les actes et les paiements « prescrits par la loi ou le règlement », ce qui exclut les actes prévus par des stipulations contractuelles (par exemple le délai de réalisation d’une promesse de vente) et le règlement de sommes dues en vertu d’un contrat qui doivent être payées à l’échéance. 

Néanmoins, la Circulaire précise que les dispositions de droit commun restent applicables le cas échéant si leurs conditions sont réunies et sous réserve de l’appréciation du juge, en particulier les dispositions relatives à la force majeure en matière contractuelle prévue par l’article 1218 du code civil (Cf. mon article publié sur Linkedin le 25 mars 2020 sur la force majeure). 

Il convient également de réserver les dispositions qui ont été prises aux termes des autres ordonnances publiées le 26 mars 2020, notamment celle relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises.

2.      Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires et les clauses de déchéance 

Ces dispositions concernent les astreintes prononcées par une juridiction ou une autorité administrative et les clauses contractuelles ayant pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation par un débiteur (clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance). 

Contrairement aux dispositions précédentes sur les délais, ces mesures visent donc les contrats.

-       Les astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré à compter du 12 mars 2020 et jusqu’à la fin de l’état d’urgence + 1 mois (soit à ce jour jusqu’au 24 juin 2020)

Ces sanctions prendront effet un mois après la fin de cette période, si le débiteur n’a pas exécuté son obligation d’ici là, donc à compter du 24 juillet 2020.

-       Les astreintes et clauses pénales qui avaient commencé à courir avant le 12 mars 2020 voient quant à elles leur cours suspendu pendant la période juridiquement protégée. Elles reprendront effet dès le lendemain, soit dès le 25 juin 2020.

Exemples :

  • Un contrat doit être exécuté le 20 mars, une clause résolutoire étant stipulée en cas d’inexécution à cette date. Le débiteur n’exécute pas le contrat à la date prévue.  ⇒ Dès lors que l’exécution devait intervenir durant la période juridiquement protégée, la clause résolutoire ne produira pas son effet. Elle le produira en revanche si le débiteur n’a toujours pas exécuté son obligation dans le mois qui suit la fin de la période juridiquement protégée, c’est-à-dire dans les deux mois suivant la cessation de l’état d’urgence. 
  • Un contrat de prêt prévoit des remboursements chaque 20 du mois ; le contrat contient une clause permettant au prêteur de prononcer la déchéance du terme en cas de défaut de remboursement d’une mensualité.  ⇒ Si le débiteur ne rembourse pas l’échéance du 20 mars, le prêteur ne pourra pas prononcer la déchéance du terme. Il le pourra de nouveau si l’échéance n’a toujours pas été remboursée un mois après la fin de la période juridiquement protégée, c’est-à-dire dans les deux mois suivant la cessation de l’état d’urgence. 
  • Un contrat, comportant une clause pénale d’un montant de 10 000 euros devait être exécuté le 5 mars. Le 6 mars, en l’absence d’exécution, le créancier a adressé une mise en demeure à son débiteur par laquelle il lui laissait 10 jours pour exécuter le contrat, la clause devant produire ses effets à l’issue de ce délai en l’absence d’exécution.  ⇒ Ce délai expirant lors de la période juridiquement protégée, la clause pénale ne produit pas ses effets si le débiteur ne s’exécute pas. Elle les produira en revanche si le débiteur n’a toujours pas exécuté son obligation dans le mois qui suit la fin de la période juridiquement protégée, c’est-à-dire dans les deux mois suivant la cessation de l’état d’urgence.
  • Par jugement du 1er février 2020, une juridiction a condamné une entreprise à effectuer des travaux de réparation sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement. La décision a été signifiée le 1er mars 2020, et les travaux n’étaient pas intervenus au 12 mars 2020.  ⇒ Le cours de l’astreinte est suspendu à compter du 12 mars et jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation de l’état d’urgence. Elle recommencera à produire son effet le lendemain si l’entreprise n’a pas réalisé les travaux auxquels elle a été condamnée.

3.     La prolongation des contrats

L’ordonnance prévoit la prolongation de deux mois après la fin de la période juridiquement protégée (soit jusqu’au 24 août 2020) des délais pour résilier ou dénoncer une convention lorsque sa résiliation ou l’opposition à son renouvellement devait avoir lieu dans une période ou un délai qui expire durant la période juridiquement protégée.

Exemples :

  • Un contrat a été conclu le 25 avril 2019 pour une durée d’un an. Il contient une clause prévoyant que le contrat sera automatiquement renouvelé sauf si l’une des parties adresse une notification à son cocontractant au plus tard un mois avant son terme. Chaque partie avait donc jusqu’au 25 mars pour s’opposer au renouvellement. ⇒ Ce délai ayant expiré durant la période juridiquement protégée, le contractant pourra encore s’opposer au renouvellement du contrat dans les deux mois qui suivent la fin de cette période, c’est à dire dans les trois mois qui suivent la cessation de l’état d’urgence. 
  • Un contrat d’assurance a été souscrit. En cas de survenance de certains événements, l’article L. 113-16 du code des assurances permet à chacune des parties de résilier le contrat dans les trois mois qui suivent la date de l’événement. Si celui-ci s’est produit le 20 décembre 2020, le délai pour résilier expire le 20 mars soit durant la période juridiquement protégée  ⇒ Par conséquent, chaque partie pourra encore résilier le contrat dans les deux mois qui suivent la fin de cette période, c’est à dire dans les trois mois qui suivent la cessation de l’état d’urgence


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