Le Shadow Banking crée-t-il de la monnaie ?
Le projet de loi dit « Sapin 2 » que vient de présenter le gouvernement, prévoit d’autoriser des fonds à faire directement des crédits. Simultanément, l’AMF a lancé une consultation sur un projet de règlement permettant aux gestionnaires d’actifs à faire des prêts à long terme. De manière progressive, mais systématique, un aspect du « monopole bancaire » (défini dans le Code Monétaire et Financier, et qui porte sur les dépôts, les moyens de paiement et le crédit) est remis en cause et une place est faite au shadow banking dans certaines des activités emblématiques de la banque. Mais si le Shadow Banking est un « système d’intermédiation de crédit auquel concourent des entités extérieures au système bancaire régulé », comme le définit le Conseil de Stabilité Financière, c’est à dire s’il remplit certaines des fonctions essentielles des banques (ici, faire du crédit), il est naturel de se demander pourquoi il n’est pas régulé comme les banques. C’est sans doute que ce qui justifie la régulation spécifique des banques, c’est leur faculté de créer de la monnaie et que le Shadow Banking System ne dispose pas de cette faculté. Mais est-ce si simple ?
Comparons ce qui se passe lorsque l’on fait 100 euros de crédit supplémentaire selon que c’est une banque qui octroie le crédit ou (pour prendre un exemple) un asset manager.
Si c’est une banque, elle fait 100 de crédit et crédite aussitôt à due concurrence le compte de l’emprunteur. Ce dernier va dépenser cette somme pour faire l’investissement ou le paiement qui motive son emprunt, mais, à l’échelle de l’ensemble des banques, les 100 euros vont se déplacer mais ne disparaîtront pas. Certes, des mécanismes limitent cette création : les banques sont tenues de faire des réserves obligatoires (si faibles, désormais, de l’ordre de 1% des dépôts) ; une partie des sommes vont être transformées en billets (en moyenne 9 à 10% en France) ; et une partie des sommes prêtées doit être financée sous forme de fonds propres ou de titres longs, mais peu ou prou, « les crédits font les dépôts » et les banques ont collectivement créé 100 de monnaie.
Dans le cas d’un OPCVM, le crédit suit la souscription de parts à hauteur de 100 euros. Le nouveau souscripteur a dû d’abord détruire de la monnaie en transférant 100 euros de son compte en banque vers celui de l’OPCVM mais ce dernier a aussitôt transféré ces 100 vers son emprunteur. Et, à partir de là, le processus est le même que dans le premier scénario : l’argent circule tandis que le bénéficiaire de crédit paie son fournisseur, et ainsi de suite.
La comparaison des deux situations montre deux différences et une similitude :
- Dans un cas, « les crédits font les dépôts », tandis que dans l’autre, « les parts de fonds créent les crédits » ;
- Dans un cas, il y a création monétaire au sens où il y a eu 100 de « monnaie », au sens strict (dépôts ou billets) qui a été créé, contre 0 dans le second cas ;
- Dans les deux cas, il y a eu gonflement du système financier, et dans le cas du fonds, sans épargne supplémentaire ex ante, il y a bien eu 100 de crédit supplémentaire. Pas de création monétaire, mais une « création financière ».
Si le fonds offrait à ses porteurs de parts une liquidité garantie à tout moment, cette création financière serait assez peu différente d’une création monétaire et le fonds ferait de la transformation des maturités (maturity mismatch) exactement comme une banque.
Ce n’est pas ce que prévoit l’AMF, puisque les fonds concernés sont les fonds européens d’investissements à long terme (plus connus sous l’acronyme anglais d’ELTIF (European Long Term Investment Funds)) et que le projet n’autorise pas une telle transformation et oblige les porteurs de part à renoncer à la liquidité pendant la durée du prêt. Mais ce n’est peut-être qu’une étape vers une évolution plus profonde du système financier. Et cela pose deux questions pour l’avenir :
- Si le shadow banking peut ainsi faire une « création financière », ne doit-il pas être inclus dans la supervision « monétaire » à laquelle se livre la Banque centrale ?
- Et, dans ce cas, de quels moyens dispose la Banque centrale pour agir ? Quel partage des tâches entre l’AMF et la Banque ?
En réalité, nous allons assister encore à de nombreux coups de canif dans le monopole bancaire, et c’est sans doute une évolution normale. Mais elle pose un redoutable dilemme aux Banques centrales. Si elles retiennent la création monétaire comme strict critère d’intervention et de justification de la régulation dont elles ont la charge, elles laissent échapper à leur contrôle un pan de plus en plus important du système financier. Et, si, au contraire, elles souhaitent éviter cette évolution, c’est tout leur mandat qui doit être revu. Nul doute que ce dilemme devra être résolu, et en qu’en tous cas, les rôles et les moyens des uns (l’AMF) et des autres (la Banque centrale) devront être précisés.
La stabilité financière n’est-elle pas à ce prix ?
Enseignant, anglais langue maternelle, a Antibes 06600, pour des cours privatif. Contactez moi pour un renseignement.
8 ansMerci pour vos pensees. Pour nous, pas connaissant des acronyms francaises, pourriez vous expliquez AMF et OPCVM. Bien cordialement.
Lawyer - Co-founder GB Avocats (Law Firm) chez GB Avocats
8 ansPetite précision d'ordre juridique. Les OPCVM n'ont pas, en principe, le droit d'accorder des crédits (prohibition de l'article 88 de la Directive EU sur les OPCVM). Les fonds d'investissement alternatifs (FIA) disposent d'une plus grande marge de manœuvre en revanche. Pour alimenter le débat, l'ESMA a publié une Proposition (2016/596) visant à harmoniser sur le plan européen le régime juridique les fonds de dettes.
Fondateur et coach chez Mesnil
8 ansC'est symptomatique mais laisser des fonds créer de la monnaie alors qu'ils ne sont pas des banques va probablement améliorer les choses :-( enfin c'est du Sapin :-) dont on fait les cercueils économiques...
Capital Croissance
8 ansArnaud Fraslin, CFA
Former Entrepreneur Manufacturer GeoEconomy ThinkTanks 10 Years Hong Kong 4 Years Africa Part time USA Visits +100 Pays/countries-Futurist-Apolitic-Management coaching+40 Years Int'l experience
8 ans@ Marc Pilkington Cette pseudo "modernisation" de l'industrie financière me rappelle, les théories sur « la révolution managériale » du début des années 80’ qui avaient trouvé un écho durable chez certains, une petite minorité de la haute fonction publique technocratique et faussement modernisatrice comme chez bon nombre de chercheurs en sciences sociales, n’ayant jamais mis les pieds dans une entreprise de province. A la fin c'est toujours le réel, qui revient rentrer par effraction dans ces utopies ........