De pures banques de dépôt, est-ce réaliste ?
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De pures banques de dépôt, est-ce réaliste ?

Paru dans l'Agefi du 30 mars 23.

La soudaineté du choc de liquidité qu’ont subi Silicon Valley Bank (SVB) et, de façon différente, Credit Suisse, réanime les débats sur la stabilité financière. Elle fait en particulier ressortir des cartons une proposition assez radicale, mais à la vérité très ancienne, puisqu’elle remonte au début du 19e siècle quand la monnaie fiduciaire s’est mise en place.

Cette proposition consiste à séparer la fonction de crédit et celle de gestion de la monnaie et des paiements. En clair, les banques de dépôt ne feraient plus de crédit et se contenteraient d’une gestion par adossement à des actifs sûrs et liquides. Le terme retenu aujourd’hui pour cette proposition est narrow banking, quand une votation récente en Suisse (qui a finalement échoué) sur un schéma proche, parlait de Vollgeld, monnaie pleine, c’est-à-dire bien adossée, un terme plutôt bien trouvé. Notons ironiquement que SVB anticipait un tel modèle : elle collectait des masses de dépôts sans que cela corresponde, et de loin, à des crédits à son actif. Son point faible, si l’on peut dire, n’était que l’adossement.

Trois objections à ce modèle

1- N’ayant plus accès à la ressource que sont les dépôts, la banque de crédit perdrait une information précieuse, puisque la vision du fonctionnement du compte de l’emprunteur, c’est-à-dire ses mouvements et sa régularité, lui échapperait. Cet argument est devenu moins pertinent depuis quelque temps, à la fois parce que ménages et entreprises semblent ne plus avoir la fidélité d’antan vis-à-vis de leur banque ; et surtout parce que le monde numérique où nous vivons procure des données de crédit plus facilement (ce qui donne un gros avantage aux big techs par rapport aux banques classiques).

2- Cela oblige à produire inutilement des titres financiers, avec les coûts d’intermédiation associés. Aujourd’hui, la banque qui vend tout à la fois des services de crédit et de liquidité gère aisément la création de titres financiers ou plutôt de collatéral : quand quelqu’un tire sur une ligne de crédit, il dépense l’argent qui va automatiquement en dépôt chez cette banque ou chez une autre banque.

Au niveau du système financier, il y a adéquation immédiate entre le dépôt et le collatéral (en l’occurrence un prêt, qui est un titre financier particulier). Si deux agents indépendants rendent séparément les deux services, la banque de crédit se trouve obligée de se financer en émettant un titre ; et la banque de dépôt en achetant un titre, ce qui implique des coûts de placement auprès de multiples agents, alors que le crédit est un face à face de la banque avec un unique demandeur.

3- La «transformation» est moins commode. Le titre acheté par la banque de dépôt coïncide-t-il avec celui qu’émet la banque de crédit ? Il faut des collatéraux à duration faible côté dépôts ; des financements à duration longue côté crédits. On imagine bien que la banque de dépôt pourra acheter des titres longs dont l’échéance est proche, mais qui ira porter ces titres dans l’attente de l’échéance ?

Dans la banque commerciale classique, le déposant ne se rend pas compte de cette transformation. Il veut avant tout un service de liquidité. Il ne sait même pas qu’il est créancier de sa banque et, qui plus est, un créancier «statistiquement» à long terme. Il n’ouvre les yeux que dans le cas de panique, car tous alors courent pour être remboursés. C’est tout le problème, toujours mal réglé, de la régulation.

Si ces arguments sont vrais, il peut en résulter au bout du compte une hausse du coût des crédits. Ce qui fait dire à certains que les banques dans ce modèle dual chercheront rapidement les moyens de restaurer un modèle intégré.

Il est amusant de se rappeler qu’aux origines de la banque de dépôt (ou plutôt de services de liquidité), vers le 12e siècle, ce sont les déposants qui exigeaient que la banque fasse du crédit (certes, de préférence pour eux) : ils préféraient, en bonne théorie du portefeuille, que la banque dispose de prêts diversifiés à son actif plutôt qu’un gros paquet d’or dans un coffre, soumis aux hasards de l’honnêteté du banquier ou de l’habileté du larron.

Prolongement du débat sur la MNBC

Si ces arguments sont vrais, ils s’insèrent aussi dans le débat sur la monnaie numérique de banque centrale. Une MNBC trop attractive assécherait en partie les dépôts à vue des banques qui devront chercher des financements externes, et devenir ainsi davantage des banques de crédit. D’où les suggestions d’un «bridage» de la MNBC.

Ces critiques ne sont pas sans réponse. Il est clair qu’un modèle bancaire dual requiert une intervention plus directe de la banque centrale, notamment pour faciliter le financement long des banques de crédit et, à cette occasion, permettre la création monétaire. Nous avons eu quelque chose de proche dans l’après-guerre européen (le fameux circuit du Trésor en France) qui ne fonctionnait pas si mal que cela.

Notons en contrepartie de cet interventionnisme qu’un tel modèle requiert une régulation et une supervision du système bien plus légères.

Dernier point, il faut prendre la mesure de cette révolution en cours dans le monde du crédit, à savoir la montée en régime des fonds de dette, copiant trente ans après, l’immense succès des fonds de private equity. Naissent ainsi, en quelque sorte, de pures «quasi-banques» de crédit. On voit dans tout cela qu’un tel débat est on ne peut plus pertinent.

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