Le statut de travailleur handicapé, une farce dans certaines entreprises.
Je vais vous parler de Léa que j'ai connue, il y a une quinzaine d'années, alors que nos filles jouaient ensemble dans le même square.
Comme souvent sur les bancs, les parents, tout en surveillant leurs marmots, discutent un peu.
C'est là que j'ai appris l'histoire de Léa. Je ne sais pas quelle était sa pathologie mais elle était suffisamment grave pour qu'on doive lui enlever un œil. Elle portait un "œil de verre".
Son employeur, au courant de son opération, de sa prothèse l'avait fait venir au bureau des Ressources Humaines et l'avait encouragée à faire une demande de Reconnaissance de Qualité de Travailleur Handicapé(e) auprès de la Maison des Personnes Handicapées. La demande a été faite, le statut attribué.
Le fait d'avoir une vision partielle donnait facilement des céphalées à Léa, surtout si la lumière des endroits où elle travaillait était trop forte.
Elle souhaitait qu'on enlève 2 ou 3 néons dans l'entreprise et qu'on les remplace par des ampoules moins lumineuses. Elle travaillait à temps partiel et préférait, en hiver, ne pas faire les trajets de nuit, car elle voyait mal les voitures arriver et l'on sait que ce n'est pas parce qu'on traverse sur un passage piéton que certains automobilistes laissent la priorité aux piétons.
Des collègues à elle, sans handicap, mais plus "amis" qu'elle avec les managers, avaient droit à des horaires quasiment sur mesure.
Léa est donc allée voir les RH pour demander des ampoules moins lumineuses sur son lieu de travail, des horaires adaptés en hiver ... et c'est tout.
Fin de non recevoir des RH et cette phrase : "tant que la Médecine du travail ne l'écrit pas noir sur blanc, on ne bouge pas".
Léa a joint le "pôle handicap" de sa boîte, la personne en charge du pôle handicap lui a dit la même chose : "nous ne faisons rien si la Médecine du travail n'a rien dit en ce sens".
Léa est allée voir la Médecine du travail qui n'a pas voulu (je n'ai pas bien compris pourquoi) accéder aux demandes de Léa.
Les médecins qui suivaient la jeune-fille ont envoyé des lettres "incendiaires" à la Médecine du Travail qui a fini par demander des horaires adaptés en hiver et le remplacement des néons par des ampoules moins lumineuses.
Léa est donc allée aux RH avec l'avis de la Médecine du Travail.
La réponse des RH : on n'adapte pas les horaires ça ne se fait pas (pourtant des personnes valides avaient des horaires sur mesure), pour ce qui est des néons, on verra.
Des mois plus tard, les néons étaient toujours là.
Je suivais l'histoire de Léa, mois après mois, je la voyais être en colère, d'abord, puis complètement déprimée, ensuite.
Et puis un jour, Léa est allée à l'Inspection du Travail. L'Inspectrice, en deux temps trois mouvements a trouvé une jurisprudence qui indiquait qu'un mobilier, demandé par la Médecine du Travail pour une personne qui n'avait pas de statut de travailleur handicapé, n'ayant pas été fourni par l'employeur dans un délai raisonnable (moins de 3 mois, je crois), devait 1/ fournir au plus vite ce mobilier et 2/ verser des dommages et intérêts à l'employé.
Léa est immédiatement allée communiquer cette information à ses RH.
Le lendemain, les néons étaient enlevés, des ampoules moins lumineuses étaient mises en place. Pour ce qui est des horaires de nuit, je ne me souviens pas si sa boîte a fait des efforts.
Cette histoire m'a absolument consternée, elle a duré des mois et je tenais à la partager pour dire qu'engager des personnes handicapées ou les inciter à demander un statut de travailleur handicapé, avoir, dans son entreprise un "pôle", un "service", une "mission" handicap ne garantit pas systématiquement que l'employeur "joue le jeu".
Pour ma part, j'ai déménagé, je ne vois plus Léa, je ne sais pas si elle travaille toujours dans la même entreprise, si elle peut vivre plus sereinement son handicap au travail ... j'aimerais que la réponse soit positive.