Le superhéros hollywoodien et l'ennemi à fabriquer

On entend souvent dire quand on parle du cinéma de l’ex-Union Soviétique que les films sont souvent marqués par la présence de superhéros, d’une construction manichéenne et d’une fin heureuse, le héros finit par triompher. Il se trouve qu’au-delà d’un certain cinéma de l’époque soviétique, il y a aussi des cinéastes qui donnent à voir des univers complexes : Eisenstein, Poudovkine, Vertov, Kontchalovski et bien d’autres cinéastes. Il y avait, malgré le manque de liberté, des ilots autonomes. En littérature, c’est la même chose, il y avait des écoles extrêmement autonomes comme les formalistes (de Moscou et de Saint-Pétersbourg) autour de Bakhtine, Jakobson, Tynianov, Tomachevski et Chklovski et leur pendant au cinéma avec les travaux théoriques d’Eisenstein, le cercle de Prague (autour de Jakobson et de Troubetzkoy), le travail conduit par Meyerhold, tout cela se faisait, certes, de manière presque informelle, simplement tolérée par les autorités, la prison, même la liquidation, les suicides n’étaient pas absents. En Amérique, il y eut aussi le maccarthysme. La liberté et un monde moins manichéen seraient-ils de simples illusion?

Très peu interrogent la production hollywoodienne ou européenne qui présente également des situations duales, des héros positifs, fonctionnant comme des machines idéologiques mettant en œuvre la fabrication de l’ennemi et de la dualité du bien et du mal. Nous retrouvons ainsi les termes essentiels du discours de Washington.

Hollywood qui, il faut le souligner est une grande machine cinématographique qui a produit du bon et du moins bon, mais souvent, de nombreux producteurs expriment le discours idéologique dominant. Ainsi, l’Américain, même dans des situations d’opérations génocidaires, comme la liquidation des Indiens, le personnage principal est présenté comme un superhéros, ses actions sont considérées comme légitimes, les Indiens seraient des « barbares » et des « sauvages ». C’est ce qu’on trouve dans le cinéma et le roman colonial. Nous avons souvent affaire à un univers manichéen, excluant toute complexité et les jeux médians ou médiateurs.

Les films sur le Vietnam donnent à voir le « courage » des Américains et la « barbarie » des Asiatiques, censurant les origines de la résistance des Vietnamiens. Tout y passe, l’Indien, le Noir, le Russe, le Musulman, tous sont décrits négativement : le Blanc vs les autres. On surfe sur la peur et la fabrication de l’ennemi. Les films western, les longs métrages mettant en scène des Russes, des Vietnamiens ou des Musulmans s’inscrivent dans cette manière de faire. Le schéma est simple : équilibre-déséquilibre (les responsables seraient l’Indien, le Russe ou le Musulman), construction de l’ennemi méchant et dangereux, mise en scène de la peur, puis triomphe du superhéros. Aujourd’hui, la cible privilégiée est le Musulman.

Hollywood a été un espace important permettant la fabrication d’un musulman et d’un immigré foncièrement méchant et négatif. Jack Shaheen, professeur à l’université du sud de l’Illinois qui a, dans le cadre d’une recherche sur le traitement de l’Islam dans le cinéma hollywoodien, visionné un millier de films, arrive à des conclusions tragiques : « Les Arabes y sont décrits comme des brutes sanguinaires, des terroristes qui veulent s’attaquer aux braves occidentaux. (…) Depuis 30 ans je m’intéresse à l’image des Arabes dans les films”, explique Jack Shaheen, également l’auteur du livre “Real bad arabs”.

Dans la plupart des films la même image revient “l’Arabe haineux qui dépouille l’humanité ». Il donne à lire dans un documentaire de l’émission canadienne, « Zone Doc », des images dégradantes et le regard porté sur l’Arabe, décrit comme un être barbare, sauvage et violent. Il considère que “Les Arabes forment le groupe ethnique le plus dénigré de l’histoire du cinéma hollywoodien” depuis l’époque du muet aux blockbusters d’aujourd’hui. (…) Plus les femmes arabes s’épanouissent et plus Hollywood les enferme dans leur carcan ».

Laurence Michalak, professeur à Berkeley et grand spécialiste du Moyen-Orient va dans ce sens, déconstruit le discours essentialiste et révèle les différents clichés et stéréotypes participant de la construction du personnage de l’Arabe présenté comme violent, idiot opposé au Blanc, un superhéros. Dans The Cheikh (1921), Rudolph Valentino interprète le rôle d’un cheikh arabe, obsédé sexuel, qui enlève des occidentales. Le personnage principal arrive à en finir avec ces musulmans.

Le cinéma accompagne et justifie souvent l’entreprise coloniale. Casablanca (1942) est l’expression de ce travail de légitimation donnant à voir deux univers, l’un « civilisé », alors que l’autre est plongé dans la barbarie.

C’est souvent l’histoire de terroristes qui tentent de sauter un avion, mais l’intervention des soldats américains évite le massacre en éliminant les terroristes. « Le Siège » d'Edward Zwick met en scène des terroristes musulmans qui commettent d’horribles massacres à New York, incendiant des bâtiments et des institutions, assassinant des centaines de civils, l’armée finit par appliquer la loi martiale, parquant tous les Arabes dans des camps d’internement. Le personnage du musulman terroriste est désormais un thème classique du cinéma et de la télévision américaine qui use souvent d’une extrême caricature comme la série « 24 heures chrono ». Le sujet est simple : des Arabes ou des musulmans tentent de commettre des attentats terroristes. Mais il existe aussi quelques rares films qui montrent autrement le monde de l’Islam, à l’instar de Snow in Paradise d'Andrew Hulme.

A côté du cinéma et de la littérature, les jeux vidéo présentent une image extrêmement négative du Russe, du Chinois et du Musulman dépeints comme de fieffé terroristes. Le discours crée un territoire fantasmé, exotique, le personnage musulman reste toujours confiné dans le désert, chameau, turban, danseuses du ventre…Ce sont des pays indifférenciés, avec souvent des personnages de terroristes, notamment après la guerre du Golfe et les événements du 11 septembre : War in the Gulf (1993), Delta Force (1998), Desert Storm (2002), Conflict: Global Terror(2005), Call of Duty: Modern Warfare (2007)…L’Arabe est l’ennemi à abattre.

Vít Sisler, Professeur à Charles University à Prague, éminent spécialiste des jeux vidéo et de la représentation de l’islam explique : « Les discours dominants présentent de manière écrasante les fidèles de l’islam comme une menace. L’islam est régulièrement associé au terrorisme, la représentation des musulmans ordinaires est marginalisée, et le cadre scénaristique qui prédomine est celui du conflit. »

Pour le cinéma européen et américain et les jeux vidéo, le désert constitue le lieu essentiel dans lequel se déroule le récit, l’exotisme marque la représentation. Le regard négatif correspond au discours dominant, marqué par les jeux de l’Histoire et de la mémoire et le conflit israélo-palestinien qui structure les différentes instances de la représentation artistique et littéraire.

Ces constructions, produit de l’imaginaire « occidental », fabriqué à l’aide de clichés, de stéréotypes et de remodelages médiatiques fortement marqués par l’Histoire et une mémoire sélective trouée et oublieuse, s’inscrivent dans la perspective d’une confrontation virtuelle justifiée par la quête d’un ennemi. Ainsi, le monde dit de l’Islam, souvent territorialisé, mais indifférencié, prend la place dans le discours « occidental » des « barbares » russes. Le musulman dans l’imaginaire américain est indifférencié, perse, arabe, nord-africain. L’intellectuel libanais, Georges Corm confirme cette manière de voir l’Islam : « L’islam n’est pas un lieu, ni une nationalité ; or, il est de plus en plus employé comme s’il était une religion nationale ou ethnique située dans un lieu particulier […] Il n’est pas davantage une culture […] L’islam n’est donc qu’une religion »

Le propos de  Georges Corm permet de montrer comment le discours sur l’Islam, les Musulmans et les Arabes est façonné pour justifier des attitudes et des pratiques guerrières.

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