Le travail dans les bidonvilles
Nous sommes rentrés dans les bidonvilles par hasard. Nous faisions, bien avant 2006 des ateliers de rue, en Pédagogie sociale, mais nous ne savions pas que cette manière de travailler, convenait également à d’autres enfants, c’est à dire à tous les enfants qui ne trouvent plus dans les institutions des espaces pour grandir.
C’est un étrange paradoxe qu’une seule pédagogie fonctionne avec des publics, tous différents. familles et enfants des hôtels , des quartiers, des squats, hébergées chez des tiers ou des “vendeurs de sommeil” … et des bidonvilles.
Ce qu’il advient de nos actions dans tous les sites où nous nous déployons, est toujours unique ; mais les principes d’intervention restent les mêmes . C’est cette base, cette constance , qui sont nos “invariants” au sens que Freinet donnait à ce mot. C’est notre implication inconditionnelle dans l’environnement réel, qui constitue notre socle, notre posture, notre savoir-faire.
Nous sommes rentrés dans les bidonvilles par hasard, pour expérimenter, pour tenter d’y mettre en œuvre nos actions qui sont à la fois éducatives, sociales, sanitaires et culturelles .
Et nous y sommes restés par amitié!
Nous y sommes restés parce que nous étions bouleversés. Bouleversé par tous ces enfants plein de vie et privés de possibilité. Bouleversé par ces familles courageuses et entreprenantes .
Nous pensions être bouleversés par la précarité et la misère ou par les problèmes sociaux. Mais, en réalité, nous avons été pris de vertige par toutes les possibilités éducatives et sociales, et la richesse de toutes les actions à faire, qui étaient dorénavant à portée de nos mains.
Au début , nous ne parlions pas les mêmes langues, tant avec les adultes, qu’avec les enfants. C’est à dire que nous partagions entre nous le langage primordial. Celui de l’échange, du don, de l’attention et de la disponibilité.
En si peu de temps, les enfants ont appris à parler notre langue et en si peu de temps tout cela n’a plus eu beaucoup d’importance , car notre équipe, s’agrandissant , parlait également toutes les langues.
Nous sommes rentrés dans les bidonvilles en 2006, et nous y sommes restés, comme si nous y étions chez nous.
Nous pensions avoir tout à enseigner et c’est nous qui avons appris. Nous avons appris comment ces enfants avec une relation atypique et précaire vis à vis de l’école, pouvaient entre eux et avec nous … apprendre et apprendre ensemble.
Nous avons appris avec eux, qu’il y avait de la vie en dehors des institutions, que l’on pouvait forcer et modifier les destins.
Nous avons compris au contact de tous ces enfants et de tous ces jeunes, la valeur du moment, du temps présent, que nous pouvons toujours bâtir, dans une époque noire , sans certitude des lendemains, ou parfois avec celle que le pire est à venir.
Il n’y a pas besoin d’avenir pour entreprendre, pour espérer ou pour se lier. Il y a ce que nous pouvons faire, là tout de suite et qui vaudra pour toujours, car ce sera vécu; ce sera acquis.
Aujourd’hui Intermèdes-Robinson déploie des missions dans de nombreux bidonvilles. Nous travaillons pour la socialisation, pour la scolarisation, mais il y a aussi cette forme d’éducation directe et interactive que nous déployons sur nos ateliers de rue, ou dans le cadre de notre troupe d’enfants, Aven savore.
Nous n’arrêtons pas d’agir aux premières difficultés. Nous ne croyons pas que notre travail soit terminé la première fois qu’un enfant rentre à l’école, u qu’une famille a un logement.
Nous savons que la précarité se joue de tels objectifs. Qu’il faudra bien plus; il faudra agir conjointement sur les conditions matérielles de vie, sur la santé, sur les accidents de la vie, sur les problématiques administratives.
Nous savons que nous changerons la donne, que nous bousculerons les destins tout tracés, parce que nous sommes autonomes, que nous agissons sur la globalité des problèmes et que nous ne posons pas de conditions!
Aujourd’hui , Intermèdes-Robinson a une grande expérience du travail dans les bidonvilles et que nous sommes prêts à partager avec nos partenaires.
Mais nous savons également que tout ce que nous avons appris à travers cette expérience vaut dans bien d’autres lieux, et nous est utile également pour notre travail dans les quartiers sensibles ou les hôtels sociaux.
Nous avons appris à travailler dans des situations complexes, alors même que les pratiques traditionnelles éducatives, culturelles, et sociales, traditionnelles , sont devenues inopérantes, dans un contexte de précarisation croissante des milieux populaires.
Doctorante en travail social à l'université de Montréal et Chargée d'étude en diagnostic territorial Formatrice en travail social
3 ansC'est l'une de mes plus belles aventures humaines