Le vieux radin Français-12
-« Le vieux radin Français et sa baguette ! J’adore tes expressions, tellement imagées, mais arrête sinon je vais m’étouffer !
-Pas du tout, alors le vieux radin s’habille pareil depuis 20 ans. Il a juste changé de lunettes, a acheté un appartement à Paris et a fait des enfants. Il passe toujours inaperçu. Depuis qu’il t’a rencontrée, il ne te lâche plus. Il a beau faire son sourire désinvolte, tu es le sel de sa vie, ma chère Line.
-Tu devrait écrire des sketchs, c’est en plus très tendance en ce moment.
-Pourquoi pas, on se marre bien toutes les deux depuis le confinement, je trouve. Tu passais toujours en coup de vent, là on est bien, on refait le monde, on rigole sans regarder l’heure.
-Alors tu le vois comment mon type ?
-Alors le vieux radin n’est ni vilain, ni séduisant, un genre « in between ». Il faut le connaître un peu pour le trouver attrayant, ou être au fond du trou. Il parle un langage châtié, il cite Bukowski comme toi Carrie, ça lui vient tout naturellement. Il adore utiliser les termes désuets et incompréhensibles du commun des mortels, sauf des abonnés du Monde Diplomatique et des livres de la collection PUF.
-Tu as l’air de bien connaître cet énergumène, je me trompe ?
-Absolument. Il faut arrêter de voir des allusions à ma vie partout, de croire que je pourrais raconter des événements aussi personnels à haute voix, franchement Line, quelle idée ! L’étape suivante, tu verras des règlements de compte dans mes griffonnages du soir. 😊
- Mais alors qu’est-ce qu’il t’a fait ce charmant monsieur pour que tu saches le décrire si bien ? Car à la base, c’est moi qu’il tente de séduire, je te le rappelle, tu ne l’as jamais vu, ce type.
-Rien, c’est justement le problème et tu le verras rapidement. Il ne fera jamais rien, car il sera trop marié, ton mec. A part tromper sa femme. Et encore, il faudra le violenter un peu entre deux portes, car il manquera d’initiative, le vieux radin.
-Il vaut le détour, au moins, ton radin ?
-Oui, souvent les moins séduisants sont les plus intéressants, enfin je ne vais pas te faire de dessin. En revanche pour offrir un cadeau ou un restaurant, c’est une autre histoire. Tu auras l’impression de lui demander son héritage.
-Je crois que je le visualise ton mec: un mélange de Michel Cymes et de BHL physiquement, non ?
-Oui, voilà, c’est parfaitement son style, un peu plus jeune toutefois, il n’est pas encore grabataire, le radin, tant mieux, sinon il porterait un béret. Il zozote un peu, mais il le planque très bien, même quand tu l’écoutes sur le répondeur, tu ne remarques rien.
-Le mien ne fait jamais de sport, prend des cours de guitare et m’envoie 10 WhatsApp par jour.
-Je parie qu’il écrit des poèmes et quand il fait la cuisine, tu as le temps d’oublier que tu avais faim ?
-Tu sais bien qu’il est juste au stade des préliminaires, je ne connais pas encore toutes ses manies. Je trouve cependant que lorsqu’il tente de séduire, c’est comme s’il faisait des petits pas de vieux. Il écrit des messages survoltés, puis disparait quelques jours, revient avec plein d’idées, de belles photos, et veut me voir en urgence. C’est agréable, mais ça manque de panache.
-C’est mou, comme approche. Le genre de mec qui a des névroses, et qui ne sait pas ce qu’il veut, il vit dans ses fantasmes. Et quand tu le vois ?
-C’est assez rare, car nos agendas ne se synchronisent que très rarement, et franchement, c’est tant mieux. Il est toujours partant pour un musée, une galerie, la découverte d’une voie ferrée désaffectée, mais alors avec des horaires impossibles.
-Quoi, la nuit ou le matin ?
-Non, uniquement en journée. Je sais qu’il ne peut pas être aussi souple que notre livreur, mais là, c’est impossible. Je dois reconnaître qu’il fait des efforts, il vient parfois pendant ma pause déjeuner. Tiens, la dernière fois, je suis restée bloquée sur ses chaussures, pourtant habituellement je m’en fous.
-Il était en tongs ?
-Pire, il avait de vieilles chaussures, comme celles que tu peux trouver dans les magasins d’orthopédie et de matériel médical. Un cauchemar, j’avais l’impression qu’il sentait la naphtaline.
-Alors là, il ne t’a pas encore séduite le bonhomme. Je résume, pas très musclé, pingre, sans disponibilités, habillé comme un vieux dans un Ehpad et un peu casé ? C’est ce que j’appelle un plan parfait pour le 11 mai.
-Je l’ai mis en pause en ce moment, les chaussures c’était trop. Le même jour, il m’a d’ailleurs expliqué qu’il repassait ses chaussettes et les rangeait par couleur.
-« Je vous promets du sang et des larmes » pour le déconfinement, disait Churchill. Je ne veux pas être rabat-joie, mais ça me paraît plus proche de la réalité, que tes éventuelles escapades au musée avec ton radin qui sent le formaldéhyde.
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