Le voyage de nous
Quand on arrive sur terre, on ne sait rien. Pourtant, on est présent. On est le présent. On ne sait rien de ce qui nous attend. On ne sait rien de ce que la vie nous réserve. On ne sait rien de ce que l’on va trouver. On ne sait rien de ce que l’on va aimer ou détester. On ne sait rien de ce que l’on va être. On ne sait rien de ce que la vie va nous pousser faire, à affronter, à dépasser. On ne sait rien de ce qui va nous faire mal, ou qui fera notre joie.
On ne sait rien de l’endroit où l’on va naître. Quel endroit de la planète, quelle culture, quels parents, quel style et niveau de vie ? Tel un véritable héros, on débarque, on arrive. C’est vrai aussi, dans un grand cri. Au début, c’est le commencement. Avec lui, pour certains, l’émerveillement. La vie démarre avec ceux qui sont là, ceux qui nous attendent. Elle peut commencer dans l'idéale, en totale sécurité ou en combat douloureux, parfois tragique. Tout cela marque le début de notre vie. Puis tout le long de notre existence, nous allons vivre et expérimenter de nombreuses situations. Le corps est en première ligne, c’est notre véhicule, l’objet de toute notre attention. Il est là et bien visible. Il va vivre le doux et le moins doux. Il vit de plein fouet tous les impacts provenant de notre environnement. Le système humain, d’une complexité infinie, suit un plan d'une œuvre grandiose, pour maintenir la vitalité de la vie. En arrière plan, mental et émotion agissent de plein pied. Le coeur s'ouvre et se ferme. Il se brise aussi. Nous avons chargé un grand nombre de bagages. Je ne parle pas des stations où l’on se ravitaille. Une cargaison inconsciente et à laquelle on reste longtemps les gardiens, bien attaché.
Ainsi, chacun se tricote et tient à bout de bras une existence à soi. Avec son lot de croyances. En nous défilent des tas de paysages. Certains ont confiance en la vie et d’autres se plaignent de ce fichu sort. Certains se retroussent les manches et travaillent à leur "vie bonne" en dépit de ce qui arrive. D’autres sont abîmés, abattus, fatigués et ne croient plus en rien. Ils sont à la limite de baisser les bras et de ne plus aimer quoi que ce soit.
Comme ces derniers me touchent. Ils me touchent infiniment. Oui je peux comprendre. Oui je peux entendre. Même si dans mon être, au fond de mon cœur, quelque chose veut leur crier que la vie est merveilleuse et qu’elle mérite d’être connue pour être véritablement appréciée. Je réalise que je dis oui à ce qu’ils me confient contre la vie. Et ce oui a une valeur immense, le oui du cœur. Ce oui, c’est surtout la vie. Le ruisseau n’a jamais demandé à être aimé ou jugé. Le ciel non plus. Et pourtant, ils sont là et on peut ou non en profiter.
J’écoute la peine de l’être, celle qui ne comprend pas, celle qui a mal, celle qui aurait tant aimé goûter à la paix, à l’harmonie, à l’amour. Et pour toujours. Et quand vient un événement de trop, la démission, la résignation, ces stocks de sentiments arrivent en renfort. Le ciel même avec son tapis bleu, devient à leurs yeux, terne, indifférent, voire menaçant.
Je regarde beaucoup les yeux. Je vois beaucoup de lumière pourtant. Tout au fond, la vie qui regarde et assiste la vie. La conscience d’être. Si présente. Eux ils ne voient pas ce que je vois. Ils ne voient plus rien. Ils sont perdus dans leur tête qui divague et leur raconte des histoires de borgnes sans fin. Mais à mesure qu’ils parlent et que je les regarde, et que je suis là, quelque chose s’anime. Ils commencent aussi à regarder ce que je vois. Ce qui était enfouie, qui cherche à se mettre à l’entrée du jour. Des fenêtres qui s’ouvrent dans l’expression des pensées et à même la texture de peau. C’est comme si au fond, la peine, l’angoisse, faisaient de la place à tout autre chose. On ne change pas une émotion, une mentalité comme ça. C’est le début, juste par la présence de l’autre, la vie est ressentie et reconnue. C’est le premier pas qui compte. Le premier regard neuf. Comme une actualisation. Avec le regard, ce qui est magique, c’est le sourire en dedans ou en dehors qui suit. La vie se retourne sur elle-même, se retrouve, elle palpite derrière notre peau et l’envie d’avoir envie.
Même si ce qui arrive fait mal, l’homme reste debout. Même si on ne comprend pas la dureté des hommes, le partage fait notre force.
Revenir à soi et se ressourcer. La paix n’est pas à l’extérieur mais à l’intérieur, au-delà du monde, du mental, du corps, elle est là et n’attend que nous. En soi, retrouver la sérénité et même au-delà des horreurs du monde, goûter à la joie d’être vivant. Le temps vu souvent comme un ennemi, peut être notre meilleur allié. Vivre, c'est être présent. Même si on ne comprends rien, on peut se rallier à notre port d'attache, cette puissante force de vie qui est en nous, qui est nous. Puis se mettre au rv avec soi et écouter le rythme de l'énergie profonde du coeur qui nous dit les nouvelles de nous. Etre, c'est apprendre à vivre jusqu'au bout.