L’eau coulera-t-elle encore sous les ponts ?
Dans un rapport publié début mai 2017, la Banque Mondiale faisait part de son inquiétude quant à la raréfaction des ressources en eau dans le monde et de ses impacts socio-économiques sur les pays les plus exposés. L’agriculture, grande consommatrice d’eau, est aussi un secteur clé dans la gestion et la conservation de cette ressource. Si la France dispose encore de réserves abondantes comparativement aux pays en position de stress hydrique, la recrudescence des phénomènes climatiques et les enjeux géopolitiques liés à cette ressource doivent positionner l’agriculture française comme un acteur majeur sur ces questions.
Le caractère multidimensionnel des liens entre eau et agriculture
La problématique de l’eau relève d’un caractère multidimensionnel qui dépasse le seul cadre de la thématique agricole. Alors que la population mondiale devrait atteindre plus de 9 milliards d’individus à l’horizon 2050, les principaux moteurs de cette croissance démographique se situent dans des zones déjà en position de stress hydrique, principalement en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient.
« Les besoins en eaux de l’agriculture pourraient s’accroître de 50 % d’ici 30 ans»
Ainsi, les besoins en eaux de l’agriculture pour nourrir cette population pourraient s’accroître de 50 % d’ici 30 ans, en sachant que le secteur agricole mondial consomme actuellement près de 70 % de l’eau douce disponible (ce taux est de 45 % dans les pays de l’OCDE). Une tendance de fond qui risque de renforcer la concurrence pour le contrôle des ressources en eau, aussi bien entre les pays qu’entre les secteurs économiques. Des phénomènes sont déjà à l’œuvre quand on observe le nombre de conflits qui se multiplient pour le contrôle des bassins fluviaux, ou la part de plus en plus prépondérante de l’activité industrielle dans les prélèvements en eau. Au final d’ici 2030, la demande en eau pourrait être supérieure de 40 % aux disponibilités de la planète.
D’autre part, la variable climatique est un facteur aggravant de cette tendance. Les aléas climatiques pèsent à la fois sur la pluviométrie et sur l’état des cultures : apport en eau irrégulier et désaisonnalisé, pertes dans les rendements et dans la qualité nutritive, pertes de fourrages pour les élevages… La tentation serait alors de puiser dans des réservoirs fossiles pour combler ces déficits, comme les nappes phréatiques qui, on le sait, peinent à se renouveler rapidement et peuvent être polluées par l’activité agricole entre autre.
Une question toujours d’actualité en France
En France métropolitaine, on estime que 7 % des prélèvements totaux en eau sont destinés à l’irrigation des terres, et 8 % pour le secteur industriel dont l’industrie agroalimentaire, sans compter les prélèvements en eau potable pour les activités d’élevage. On constate donc que le secteur agroalimentaire est un acteur non négligeable en France dans la question de la gestion de l’eau, avec de fortes disparités régionales du fait de l’iniquité dans les dotations en ressources fluviales et souterraines, de même que de l’hétérogénéité des activités agricoles sur le territoire.
« Suite à la réforme de la PAC, les surfaces irriguées en France ont stagné »
Face à la recrudescence des restrictions d’eau, l’agriculture dispose d’un panel de solutions pour répondre à ces enjeux : utilisation de variétés céréalières moins gourmandes en eau et en intrants, investissements dans des infrastructures pour limiter les effluents d’élevage, utilisation de l’agriculture de précision etc… Le stockage de l’eau pendant la période automne-hiver, entre autre, est devenu un sujet majeur pour la profession agricole et qui devrait être pleinement concernée par le projet de loi de simplification du gouvernement. Mais l’ensemble de ces enjeux sont aussi liés à des problématiques plus larges. La réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) en 2003 a déjà influé sur la conduite des exploitations en matière d’irrigation, puisque lors du dernier recensement agricole de 2010, avait été observée une stagnation des surfaces agricoles irriguées sur la période 2000-2010. Le découplage des aides PAC du premier pilier ainsi que l’introduction d’obligation dans la conditionnalité des aides, de même que certaines mesures agro-environnementales (MAEC) du second pilier (irri 02 ou irri 04 par exemple) ont contribué à modifier les pratiques culturales en France. Enfin, on observe désormais une part toujours plus grande d’exploitations disposant d’un accès individuel aux ressources en eau, au contraire de celles en réseau collectif qui sont en nette diminution.
La guerre de l’eau, si loin et si proche à la fois
Si les problématiques de stress hydrique semblent avoir des impacts de bien moindre ampleur dans les pays développés que dans les pays en développement, il n’en reste pas moins qu’elles engendrent des externalités négatives. En atteste, les pénuries dues aux aléas climatiques et aux restrictions d’accès à l’eau avec les conflits armés ont contribué, d’une part, à renforcer l’intensité de ces conflits et, d’autre part, à accroître le nombre de déplacés vers des pays frontaliers (surtout) et des pays occidentaux. Ces déplacements de population peuvent aussi contribuer à transférer le stress hydrique vers des régions déjà en difficulté pour subvenir aux besoins des locaux. Il faut également signaler que certains pays développés, tels que l’Italie et l’Espagne, rencontrent des problèmes dans la gestion de leurs ressources hydriques, comme le montre l’exemple de l’agriculture en Espagne dont le modèle absorbe une large part des ressources en eau du pays.
La France dispose de réserves hydriques enviables par rapport à de nombreux autres pays et leur préservation est un levier considérable pour l’autonomie alimentaire française. A voir si le fameux plan d’investissements de 5 milliards d’euros promis par le gouvernement français pour l’agriculture tiendra compte de cette question.
Contact : Quentin Mathieu
Retrouvez cet article dans la prochaine lettre économique du mois de septembre des chambres d'agricultures (lien : http://www.chambres-agriculture.fr/informations-economiques/etudes-economiques/).
Agro economist, specialised on dairy and meat markets analysis & forecast
7 ansBonne synthèse d'un sujet très complexe, qui incite à aller plus loin secteur par secteur, région par région. C'est une problématique de plus en plus prégnante pour la R&D en élevages, même si avec les PMPOA, la gestion des effluents a été largement améliorée depuis 2 décennies.