Un voyage sans retour
La région de Redaief sans eau depuis 2 semaines » titrait le 3 août 2021 un journal de la place et ce n’est pas un scoop. Chaque été, la sécheresse en Tunisie atteint un seuil plus élevé que l’année précédente. La distribution de l’eau est régulièrement interrompue même dans les régions réputées riches en eau. Les images de barrages presque vides font froid dans le dos. Les incendies sont quotidiens.
Notre gestion de l’eau, source de la vie, est la grande victime de cette inconscience. Que faire ? Il serait difficile d’aborder tous les aspects de la destruction de notre environnement en quelques mots, mais en Tunisie peut être plus qu’ailleurs nous subissons les conséquences de la folie des humains.
Selon l'ONG américaine Global Footprint Network le 29 juillet 2021, l'humanité a consommé l'ensemble des ressources planétaires renouvelables pour l'année 2021 ! A partir de ce jour l'empreinte écologique dépasse la biocapacité de la planète. En 1980 le jour de dépassement était le 04 novembre, en 2000 le 06 août. Autrement dit, le jour à partir duquel l’humanité a consommé plus d'eau, pêché plus de poissons, abattu plus d'arbres, construit et cultivé sur plus de terres que ce que la nature peut fournir en une année arrive de plus en plus tôt. Aujourd’hui l’humanité vit à crédit la moitié de l’année et le déficit s’aggrave. Notre planète terre s'épuise. Quelques pays riches contribuent 10 à 15 fois plus que les pays pauvres à ce déficit, mais c’est les pays pauvres qui payent le plus lourd tribut à ce qu’il faut bien appeler un terrecide. Pensez que 1,3 milliards de tonnes de nourriture est jetée ou perdue chaque année.
La Russie, la Chine, le Canada, l’Indonésie et les USA qui disposent de la moitié des ressources mondiales en eau surconsomment et gaspille l'eau, ailleurs d’autres humains, 1,5 milliard de personnes n'ont pas accès à une eau potable.
La Tunisie sera et est déjà l’une des plus grandes victimes de cette évolution. En effet le stress hydrique « situation critique qui surgit lorsque les ressources en eau disponibles sont inférieures à la demande en eau » est une réalité palpable chez nous. Nos demandes en eau dépassent de loin la disponibilité de cette eau. Notre pays est considéré comme l’une des plus grandes victimes des impacts négatifs des changements climatiques. Certes nous subissons l’inconscience des autres mais nous assumons aussi une lourde responsabilité dans cette dérive. Nous sommes classés à la 30e position sur 164 pays, dans la catégorie des pays exposés à un stress hydrique. (Institut des ressources mondiales). D’ici 2030 la diminution de nos ressources hydriques est estimée à 30%, l’élévation du niveau de la mer rendra inutilisable certaines nappes qui seront devenues trop salées, les périodes de sécheresses itératives, des canicules de plus en plus rapprochées, la déforestation, la perte de la biodiversité, l'érosion des sols et leurs corollaires que sont les catastrophes naturelles ne semblent pas préoccuper plus que cela les responsables.
L’unité de planification stratégique de l’eau au Bureau de planification des équilibres hydrauliques (Bpeh) du ministère de l’Agriculture, nous apprend qu'avec une moyenne de 410 m³ d’eau par habitant et par an, la Tunisie se trouve nettement en dessous du seuil du stress hydrique (moins de 500 m³/ habitant / an). L’allocation annuelle en eau est moitié moindre par rapport au seuil de pauvreté qui est de 1000m3 par an et par habitant. Cette allocation par habitant se réduit tous les ans. Nous sommes ainsi devenus l’un des pays les plus mal classés au monde en matière de dotation hydrique.
Nous sommes donc plus exposés que d’autres, mais avons-nous pris conscience de la gravité de la situation et qu’avons-nous fait pour y remédier ?
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La nature n’est qu’un des paramètres. La mauvaise gestion de l’eau en est un autre. Qu’avons-nous fait devant ce qu’il faut qualifier d’urgences climatiques vitales ? Nous savons que la mobilisation de la pluviométrie chez nous est loin d’être optimale. Il tombe sur la Tunisie en moyenne environ 36 milliards de m3 d’eau de pluie par an, or, les eaux de surface mobilisées dans les lacs, les barrages et dans les nappes aquifères ne totalisent qu’environ 4,8 milliards de m3/an, nous savons donc que plus de 80% de cette manne du ciel (soit 31 milliards de m3 /an) vont s’évaporer ou être rejetés dans les sebkhas et la mer. (Direction de la planification stratégique au ministère de l’agriculture).
Comme toujours l’un n’allant pas sans l’autre, l’exploitation de ces ressources rares répond à un modèle totalement dépassé, révoltant d’incohérences. Le traitement et le recours aux eaux usées est insignifiant notamment en agriculture, pour mémoire l’irrigation représente 82 % de la consommation contre 14 % pour les ménages ! Des cultures non adaptées à notre climat semi-aride et aride ont été développées par des puissants groupes financiers qui dilapident l’eau sans retenue, pour fournir le marché en produits à des prix souvent inaccessibles à une grande partie de la population. Les piscines et autres pelouses de gazon arrosées en plein jour font le reste.
Par ailleurs, notre réglementation, le fameux code des eaux date de 1975. Autant dire qu’il est obsolète. Depuis plusieurs années, un nouveau code des eaux est en gestation. Il devrait améliorer la gouvernance des ressources en eau dans une approche "de gestion intégrée, englobant toutes les dimensions : technique, économique, sociale, environnementale, culturelle, juridique, institutionnelle et financière, tout en sécurisant le service de l’eau en quantité et en qualité pour toutes les parties prenantes de la production à l’usage, y compris pour les générations futures." De nobles intentions mais encore faut-il qu’il soit adopté par l’ARP.
Nos experts le savent, la gravité de la situation impose que l’Etat soit le seul acteur responsable de la gestion, la gouvernance et l’exploitation des ressources hydriques. Le modèle des Groupements de développement agricole (GDA) et des groupements hydrauliques privés n’est plus adapté à notre situation, tous les intervenants en sont conscients. Mais la création d’une Agence nationale de protection du domaine public hydraulique chargée de préserver les ressources en eau tarde à se réaliser.
Le projet du nouveau code des eaux prévoit aussi de donner la gestion de l’’eau à la SONEDE qui peine à entretenir le réseau national de distribution. Annuellement elle n’assure que 10% des tâches d’entretien qu’elle devrait assurer. L’article 57 de ce code accorde à la SONEDE la gestion de l’eau au milieu rural, avec la mise en place d’un conseil régional de l’eau dans chaque région, il confie en même temps la responsabilité de l’assainissement sanitaire en milieu rural à l’Office National de l'assainissement (ONAS). Encore faut-il que ces institutions puissent se faire payer par les grands consommateurs d’eau que sont par exemple les institutions publiques ! Finalement et après de multiples allers retours, ce projet de nouveau code a été adopté le 17 juin 2021 par la Commission parlementaire de l’agriculture, de la sécurité alimentaire, du commerce et des services annexes. Ce projet devait être examiné en plénière en juillet, mais...nos politiques ont d’autres priorités en ce moment.
Il y a péril en la demeure, au grand désespoir de tous notre pays se désertifie à vue d’œil. Les experts tirent toutes les sonnettes d’alarme possibles et imaginables depuis des décennies, rien de ce qui se passe ne les surprend. Manque de ressources, gaspillages, usages irraisonnés, code des eaux dépassés, les actions à entreprendre doivent répondre à ces problèmes. La question de l’eau est la clé de voûte de tout ce qui doit être entrepris dans notre pays.U