Les États-Unis ne sont pas nos amis
Pour ceux qui en douteraient encore, les États-Unis ne sont pas nos amis. Ils ne le sont plus depuis fort longtemps, au point que même le terme d’ « allier » demande à être utilisé avec une extrême délicatesse.
Sur la base de la loi anticorruption, baptisée « FCPA » (Foreign Corrupt Practicises Act) initiée en 1977, le principe de « l’extraterritorialité du droit américain » est étendu depuis 1998 et permet aux États-Unis de poursuivre des entreprises non américaines y compris à l’étranger pour peu que celles-ci effectuent une transaction en dollars ou qu’elles utilisent une technologie américaine. (Sur le principe, ce qui est vrai pour une entreprise, l’est également pour nous, à titre individuel – qu’on se le dise !)
Nous nous retrouvons donc dans une situation totalement aberrante qui permet aux États-Unis de refuser la justice internationale, comme par exemple la Cour pénale internationale (CPI), mais impose au reste du monde leur justice nationale. Il s’agit d’un choix délibéré, celui d’adosser leurs relations internationales non pas sur la diplomatie, mais sur leur puissance économique et militaire, d’instaurer un rapport de force permanent.
Dès 2003 (15 ans !) le député Bernard Carayon a rédigé un rapport sur l’intelligence économique à la demande du Premier ministre d’alors (Jean-Pierre Raffarin), dans lequel il précisait : « La classe politique française a tendance à considérer que les Américains sont nos amis et qu’au titre de l’amitié on peut tout leur pardonner et tout occulter ».
Car cet impérialisme économique n’est pas né avec Donald Trump et il n’est pas inutile de rappeler qu’à ce sujet, démocrates et républicains défendent fondamentalement les mêmes principes libéraux et la même ligne de politique internationale axée sur leur suprématie. Les affaires Alstom-General Electric ou de BNP Paribas sous le mandat de Barack Obama, sont là pour le prouver. En 2016, les députés Pierre Lellouche et Karine Berger écrivaient dans un rapport parlementaire qu’ « un rapport de force doit être instauré » avec les États-Unis, et de préciser « La mission considère comme nécessaire de faire valoir auprès des États-Unis que certaines pratiques sont devenues abusives et que la France ne les acceptera plus ».
Comme le souligne Benoît Collombat dans « Guerre économique : comment les États-Unis font la loi » publié sur France Culture, la France a réagit à travers la loi Sapin 2. Cette dernière introduit notamment une disposition extraterritoriale permettant à l’État français de poursuivre une entreprise américaine implantée en France, y compris pour des malversations commises à l’étranger. Selon l’avocat David Père, cité par Benoît Collombat, « L’objectif de la loi Sapin 2 est de créer un système de sanction suffisamment important afin que la France puisse dire aux États-Unis que le travail a déjà été fait, et qu’il n’y a plus besoin d’engager de nouvelles poursuites. Mais c’est un vœu politique. Il n’y a aucune certitude. »
Enfin, plus récemment, Pascal Boniface (que l’on ne présente plus), s’appuyant sur le livre de l’universitaire américain Stephen Walt, nous trace le portrait d’un pays qui, s’il ne veut plus être « le gendarme du monde », n’est pas disposé pour autant à renoncer à en être le juge/arbitre et, fort de sa puissance économique et militaire, à asseoir sa stratégie d’hégémonie libérale sur le reste du monde.
Morceaux choisis :
« Pour S. Walt, la stratégie d’hégémonie libérale, suivie par toutes les administrations américaines depuis la fin de la guerre froide, a été une faillite coûteuse. Bill Clinton, Georges W. Bush, Barack Obama, au-delà de leurs divergences, ont en réalité menés une politique assez comparable dans son essence fondamentale. »
« La puissance militaire des Etats-Unis les conduit à privilégier l’approche militaire sur l’approche diplomatique. Mais pour S. Walt, ce n’est pas ainsi que l’on lutte contre le terrorisme, que l’on crée une culture politique ou que l’on bâtit une société. L’échec a donc été patent en Afghanistan, en Bosnie, en Irak, au Kosovo, en Lybie, en Somalie et au Yémen. Toutes les interventions dans ces pays, absolument toutes, ont été des échecs. La diplomatie basée sur la menace, les altercations et le refus des compromis produit rarement des succès »
À lire :
Donald Trump, syndic de faillite de l’hégémonie libérale ?
Par Pascal Boniface
La revue internationale et stratégique n°133 – Édition IRIS/Armand Colin
Guerre économique : comment les Etats-Unis font la loi
Par Benoît Collombat
France Culture
https://www.franceculture.fr/economie/guerre-economique-comment-les-etats-unis-font-la-loi
L’extraterritorialité : la perception externe d’un « non-problème » du point de vue américain.
Par Pierre Lellouche et Karine Berger
Rapport d’information à l’Assemblée Nationale
http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i4082.asp
Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale.
Par Bernard Carayon
http://bdc.aege.fr/public/Intelligence_economique_competitivite_et_cohesion_sociale_2003.pdf
Référent Sûreté Nucléaire Groupe - Fan de Fusion Contrôlée ----- Délégué Syndical CFE-CGC
5 ansEtape 1 : attaquer en "justice" (justice américaine, bien sûr) la société ciblée. Etape 2 : Imposer une amende d'un montant astronomique, permettant ainsi d'affaiblir durablement ladite cible. Etape 3 : Racheter la société ainsi placée en situation difficile. ALSTOM (racheté par GE) en est une belle illustration : Cf. l'arrestation du DGA, dont on a récemment parlé, et qui a justement publié un livre sur le but caché de son arrestation. Sans compter certaines banques, qui ont payé des amendes véritablement extraordinaires... Ou encore ces sociétés qui, si elles veulent continuer à commercer avec l'Iran (dans le cadre de l'accord sur le nucléaire, dont les USA sont sortis tous seuls) qui s'exposent à payer des pénalités gigantesques... L'oncle Sam n'est effectivement pas toujours notre ami. Et il a tendance à ne pas être l'ami de tous ceux qui pourraient éventuellement lui faire de l'ombre, quel que soit le domaine. C'est de bonne guerre (tiens, j'ai dit "guerre" ?)... Qu'attendons nous pour faire de même sur certaines consultations ? Ou vis à vis de certaines multinationales qui ne respectent pas le droit français, par exemple en terme d'optimisation fiscale (suivez mon regard...)
Président chez SAS HACE Hydro Air Concept Energie
5 ansLe peuple américain est notre ami; le pouvoir américain et leur business, c'est clairement moins évident...