La politique de Donald Trump est-elle sino-compatible ?
La grande difficulté avec un personnage haut en couleurs comme Donald Trump est son imprévisibilité. Il y a souvent un gap important entre ce qui est annoncé et ce qui est réalisé. Or, en Chine et notamment en matière politique, on préfère les pays qui énoncent des lignes politiques bien tranchées même si elles diffèrent de ce qu’en attendent les dirigeants chinois, que des volte-face. On respecte la première attitude alors que la seconde est considérée comme irresponsable.
En ce domaine et dès son accès au pouvoir, le Président Trump a d’entrée failli causer 2 problèmes majeurs avec la Chine : d’abord en s’entretenant au téléphone avec la Présidente de Taïwan, puis en menaçant les Chinois de leur imposer de très importantes taxes lors de l’importation de leurs produits sur le sol américain.
Et ceci au contraire de la politique étrangère du Président Obama mise en œuvre par Hillary Clinton à l’époque Secrétaire d’État aux Affaires Étrangères qui, même si elle était fortement condamnée par la Chine qui redoutait d’être militairement « cernée » par les États-Unis, avait au moins l’avantage d’être constante et prévisible.
Les « changements de pied » : l’expression d’une tactique réfléchie ou d’un réalisme assumé ?
Sur les 2 sujets précédemment évoqués (Taïwan et les taxes), le Président Trump a largement assoupli sa position.
Comme on le sait, les Chinois considèrent que reconnaître Taïwan serait un « casus belli » en raison du principe non dérogatoire « un pays, 2 systèmes ». Sujet totalement non négociable pour Pékin ! Donald Trump a amorcé une savante retraite expliquant l’impossibilité de ne pas dialoguer avec Taïwan, qui lui achète tant de matériels et équipements (notamment militaires) mais qu’en revanche il reconnaissait que Taïwan était effectivement une « province chinoise ».
De la même façon, la menace d’appliquer des taxes très punitives à l’arrivée de produits chinois aux États-Unis, a été considérablement amoindrie, du moins en paroles pour le moment, car les nouveaux taux n’ont pas encore été indiqués.
Il est clair que les 2 plus grandes puissances économiques mondiales se trouvent confrontées à des problèmes difficiles de positionnement l’une par rapport à l’autre, avec le souhait pour l’une d’éviter des déséquilibres et, pour l’autre, l’obligation d’en tirer avantage.
En effet le problème de base pour le Président Trump, suite à une campagne électorale contre la mondialisation libérale qui détruirait des emplois américains, est d’abord la constatation de déficits commerciaux importants et persistants avec la Chine. À défaut de les combler, il convient au moins de les réduire. D’où l’impulsion première de faire de Taïwan un moyen de négociation. Il est d’ailleurs symptomatique d’observer que, dès que Donald Trump a amorcé le recul sur cette question, les relations se sont nettement détendues et l’enregistrement commercial des différentes marques « Trump » dans des domaines de produits et services très variés, ont été magiquement agréées dans des temps record…
Pour ce qui est des taxes douanières pour les produits chinois arrivant de Chine sur le sol américain, la complexité du problème est aggravée par l’interdépendance économique des 2 pays, du fait que les multinationales américaines font en priorité fabriquer en Chine en raison des bas-coûts de main d’œuvre. Or de son côté, la Chine qui n’a pas encore fini sa mutation pour passer d’une économie « à tout va » exportatrice vers un modèle plus axé sur la consommation intérieure, ne peut accepter de payer de lourdes taxes barrières qui gêneraient considérablement son passage vers un nouveau modèle économique.
C’est ainsi qu’une large majorité des produits exposés sur les gondoles du géant américain de la grande distribution Walmart est de provenance chinoise. Et que dire de l’appétence des entreprises de la Silicon Valley pour l’importation de sous-ensembles et de composants de Chine ? Que deviendraient les ordinateurs, tablettes, smartphones et autres montres digitales d’Apple si les usines chinoises du sud de la Chine étaient soumises à des taxes très élevées alourdissant de manière considérable les prix de commercialisation ? Manifestement le Président Trump ne peut pas « se tirer une balle dans le pied ». La résolution du problème doit être plus globale et d’autres paramètres doivent manifestement être pris en considération.
Les nouvelles donnes ou une confrontation de stratégies à plus long terme
Dans ce monde en pleine mouvance, les problématiques évoluent en même temps qu’elles se complexifient. Dans bon nombre de domaines, là où les États-Unis doivent recourir à augmenter leur dette, la Chine dispose de l’avantage de profiter des réserves accumulées résultant des ventes bon marché réalisées sans discontinuer pendant presque 30 ans.
· La montée en gamme de l’industrie et des services en Chine ou la concurrence programmée des « GAFAM »
Aux longtemps intouchables grandes entreprises américaines de la Silicon Valley (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) encore appelées les « GAFAM », la Chine a suscité, aidé et encouragé l’émergence de concurrents comparables, comme le sont les Alibaba, Baidu, Xiaomi ou encore Tencent pour ne nommer que ceux-ci que ceux-ci dans le Numérique. De grands groupes, comme Huawei et ZTE pour les télécommunications, comme Haier pour les « produits blancs », Didi qui a racheté Uber en Chine, etc. deviennent de plus en plus incontournables.
De la même façon, le plan chinois « Made in China 2025 », homologue de notre plan « Industrie du Futur » et du plan allemand « 4.0 », apporte un encouragement à la création de startups qui, alimentées dans un terreau favorable à leur développement, seront autant d’acteurs majeurs dès demain.
· La préparation d’une nouvelle monnaie internationale
Comme nous l’avons vu, la Chine possède des réserves de change très importantes et est confrontée à un besoin de recyclage, non plus en les dirigeant vers des Bons du Trésor américains, peu rémunérateurs, comme le gouvernement chinois l’a longtemps pratiqué, mais en passant des accords beaucoup plus avantageux à terme.
De plus, et c’est là un objectif pleinement assumé, il convient de noter qu’en devenant donneur d’ordre et en s’ouvrant des marchés colossaux d’infrastructures dans un nombre croissant de pays et notamment avec les BRICS ou le projet OBOR, la Chine facilite en même temps l’internationalisation de sa monnaie en injectant du yuan dans les fonds d’investissement. Pour rappel le Yuan figure déjà au 5e rang des devises utilisées. Cela ne peut que concourir au souhait fort affirmé des dirigeants chinois d’en faire une monnaie internationale, à la hauteur de la deuxième puissance économique mondiale qu’elle est devenue, dans l’attente prochaine d’occuper la première place en termes de PIB. De nombreuses transactions internationales ont déjà lieu en Yuan, bousculant l'ordre établi. Cela a commencé en Asie, avec d’abord Hong-Kong, puis cela s’est étendu en Europe (avec au départ la City de Londres) puis en Afrique où Pékin est très présente. De plus la Chine a acheté beaucoup d’or et son souhait de redéfinir un nouveau système monétaire international relance les spéculations sur son désir hégémonique comme monnaie d’échange international.
Mais un frein est apparu avec son désir de réaliser à tout prix une internationalisation de ses entreprises qui ont massivement investi dans des sociétés étrangères. Cela s’est doublé d’une fuite incontrôlée de capitaux diminuant les réserves de près d’un tiers et obligeant le gouvernement chinois à réguler de manière drastique la sortie des capitaux.
· Le projet OBOR ou des « Nouvelles Routes de la Soie »
En exposant à Davos son immense projet des « Nouvelles Routes de la Soie » appelées encore OBOR et maintenant BRI (Belt and Road Initiative) depuis le récent Forum de Pékin, la Chine avec des perspectives à 50 ans voit dans l’environnement politique actuel une opportunité pour affirmer son rôle prépondérant en Asie et dans le monde.
Et comme l’a dit récemment Monsieur HU Xingdou, professeur d’économie à l’université technologique de Pékin, « Les États-Unis étaient à l’origine le héraut de la mondialisation et la Chine son ennemi, mais c’est maintenant la Chine qui est devenue le leader de la mondialisation ! »…
Selon les paroles de Jean-Pierre Raffarin lors d’un récent colloque tenu au Comité France-Chine, « Le projet BRI est une belle idée géopolitique à un moment où les Américains posent des problèmes à leurs alliés. C’est un véritable basculement stratégique qui est en train de s’opérer ».
Les conclusions
Dans un monde mouvant, l’imprévisibilité du Président Trump ajoute encore aux incertitudes. Pour sauver l’équilibre international, il convient de se doter d’une vision globale. Chacune des parties s’est jusqu’alors contentée de jauger l’autre pour savoir jusqu’où elle pouvait aller. Les vraies négociations sont donc à venir.
Pierre DHOMPS
Président-Directeur Général
Energie 7 International