Les artistes ne peignent pas qu'avec des pinceaux
Les artistes québécois ne sont pas toujours dans une situation de détresse ou de difficulté. Certains sont des chasseurs et des voyageurs, des amateurs de hockey ou des bohémiens chics. Bon nombre d'entre elles sont maintenant visibles au Musée des beaux-arts de Montréal, rue Sherbrooke.
N'importe qui, à n'importe quel âge, on peut se rendre au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) pour voir les tableaux de grands peintres européens ou nord-américains, ceux qui valent des millions de dollars et paraissent dans des livres d'art et des magazines. C'est l'un des plus grands musées du Canada, et à travers ses différents bâtiments, vous pouvez voir des arts décoratifs, de l'art ancien et moderne international, des œuvres graphiques, de la photographie et des sculptures de différentes origines.
L'un des espaces les moins connus est le pavillon Claire et Marc Bourgie, inauguré en 2011 et dédié à l'art québécois, de sa fondation aux temps modernes, en passant par l'art inuit contemporain. C'est la galerie la plus complète sur l'art de la province, et à travers ses salles, dans cinq étages d'un immeuble moderne, l'évolution des coutumes sociales, la religion, l'influence française et anglaise, des histoires et des drames humains sont découverts et on peut voire des objets curieux qui vous n’attendiez pas à trouver.
A commencer par le musée lui-même qui, parmi ses différents pavillons, comprend un sobre bâtiment à la française construit en 1912, avec sa façade en marbre, et l'atrium d'entrée en verre et en acier, inauguré en 1991. Le visiteur ne s'en rend pas compte quand il passe de l'un à l'autre car une galerie passe sous la vibrante rue Sherbrooke. On ne s'y habitue que lorsqu'on se retrouve devant un élégant escalier à l'européenne. Le musée est situé sur le célèbre Golden Square Mile, l'ancien quartier habité dans le passé par les familles les plus riches de Montréal.
Et que fait un canot bleu là-bas ?
Un objet qui saute immédiatement aux yeux est le canot bleu accroché au mur de la salle des Champs Libres, dédié aux années 60 et 70. Ce n'est pas n'importe quel canot, mais celui utilisé par le célèbre peintre montréalais Jean-Paul Riopelle lorsqu'il partit à la chasse avec son guide Gilles Gagné. Elle a été peinte et décorée par l'artiste, et offerte au musée lorsqu'il a arrêté de chasser les canards et les oies à l'Ile-aux-Oies.
L'histoire du peintre et de son guide, et de leur ami commun Champlain Charest, mérite d'être racontée. Il faut dire que Riopelle est né dans une famille aisée et a vécu de nombreuses années à Paris, où il a rencontré en 1968 Charest, un amateur d'art et de vin qui se trouvait être voisin de sa maison de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson.
Depuis, ils sont de bons amis et ont commencé à chasser, notamment à la recherche d'oies blanches, de sauvagine et d'autres espèces d'oies et de canards, d'abord au Cap Tourmente et, profitant du fait que Charest possédait un hydravion, dans d'autres réserves du Québec et le Nord canadien.
Ce goût pour le paysage et les cultures du nord du Canada se retrouve dans une grande partie de ses œuvres, notamment celles de sa maturité.
L'amitié a duré plus de 30 ans, jusqu'à la mort de Riopelle en 2002. C'est à cette époque que Riopelle a peint le canot et en a fait don au Québec. Champlain, né en 1931, a acheté de nombreuses œuvres de Riopelle tout au long de sa vie et est également devenu célèbre pour sa collection de vins et ses restaurants.
Même après la mort de Riopelle, le guide Gagné a été vu à plusieurs reprises au Musée national des beaux-arts, à Québec, où se trouve la célèbre œuvre l'Hommage à Rosa Luxemburg. Il est certain qu'à chaque fois il trouve de nouvelles significations, car Gagné a non seulement accompagné le peintre pour chasser et pêcher, mais l'a aussi aidé à réaliser cette œuvre extraordinaire qui mesure 40 mètres de long. Certains des oiseaux qui y sont peints ont été chassés et hébergés par Gagné lui-même, et à certains endroits la silhouette de ses propres mains est éternelle. L'histoire de cette curieuse amitié est racontée dans le film L'homme de l'Isle, de Bruno Boulianne, présenté en 2017 dans le cadre du Festival international du film sur l'art.
L'an prochain, on se souviendra des 20 ans de la mort de Riopelle, et plusieurs œuvres de cet artiste montréalais sont visibles au MBAM, qui a récemment organisé une exposition portant sur l'influence des territoires nordiques et des cultures autochtones. Certaines de ses œuvres sont reconnaissables à leurs petits carrés multicolores, rappelant l'apparence d'une mosaïque byzantine. À une certaine époque, l'artiste n'utilisait pas de pinceau ni de peinture diluée, mais peignait directement avec un couteau ou une spatule, créant des effets dramatiques avec une texture riche.
Le peintre fan des Canadiens
Si l'histoire de Riopelle est celle d'un homme serein et prudent, qui a bâti une carrière artistique à partir d'une solide école de peinture, il y a d'autres créateurs québécois qui ont eu une trajectoire différente et parfois scandaleuse. C'est le cas de Serge Lemoyne, son contemporain, décédé alors qu'il avait à peine 57 ans, en 1998. Dans les années 60, il fut un promoteur de la pop culture et du graffiti, un irrévérencieux qui réalisa certains des premiers happenings, ceux activités entre improvisation et polémique qui ont donné la parole à de jeunes artistes et les ont lancés dans les médias et la publicité. L'un de ses « mérites » possibles est d'avoir été exclu de l'École des beaux-arts de Montréal. Le critique Marcel Saint-Pierre dit de lui qu'il est « Le père des graffiteurs et des performeurs ».
Lemoyne était un fan de hockey sur glace et a consacré une décennie complète de sa carrière à ce sport. En 1969, à la galerie 20-20 de London, en Ontario, il décide que pour les dix prochaines années, il n'utilisera que les couleurs bleu, blanc et rouge, qui sont précisément les couleurs de l'équipe des Canadiens. Il a annoncé que les œuvres présentées cette nuit-là seraient emballées et enterrées, et qu'elles ne seraient récupérées qu'au bout de 10 ans. C'était évidemment l'une de ses stratégies pour attirer l'attention, une constante au fil des ans. En 1979, bien qu'ils aient essayé, la plupart de ces œuvres s'étaient désintégrées.
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En 1972, pour l'événement Slap Shot à la galerie Véhicule ArtE, il transforme l'espace en patinoire de hockey, et selon les documents, il essaie de faire jeter de la peinture avec ses bâtons aux participants pour en faire une peinture collective. Quelque chose s'est mal passé et à la fin, ils ont fini par lancer des pucks sur un gardien de fortune.
Comme promis, pendant 10 ans il n'a peint qu'avec les trois couleurs de l'équipe, et de cette époque datent certaines de ses œuvres les plus marquantes, comme une sérigraphie dédiée aux hot-dogs, dans laquelle il dessine avec trois traits de couleur les supposés sandwich à la saucisse. D'un côté il a écrit, sous forme de gribouillis, la recette pour le préparer. Incidemment, il raconte que ce jour-là, le 28 novembre 1975, il a mangé quatre hot-dogs et les a passés avec un Coca-Cola.
Selon le site Internet de ses héritiers, lors de la fête de la Saint-Jean-Baptiste en 1979 à Acton Vale, le défilé d'amis et de badauds s'est terminé aux portes de la maison de Lemoyne, où il a accroché plusieurs tableaux de sa série Bleu-Blanc-Rouge sur la galerie du deuxième étage. Toute la ville s'est réunie pour l'exposition, qui visait à marquer la fin officielle de la décennie.
De cette époque incroyablement riche, le musée de Montréal présente ce qui est peut-être l'œuvre la plus représentative : Dryden est une image fantomatique du masque de gardien de but des Canadiens, en blanc, rouge et bleu, avec la peinture coulant librement vers le bas, comme si c'était du sang ou transpirer.
Il est évidemment dédié au gardien Kennneth « Ken » Wayne Dryden. Pour ceux qui ne connaissent pas l'histoire du hockey, Dryden a joué huit saisons dans la LNH, toujours avec les Canadiens de Montréal, et a pris sa retraite à l'âge de 31 ans après avoir mené l'équipe à remporter six championnats de la Coupe Stanley. Le maillot numéro 29 qu'il portait a été retiré de la liste en 2007 afin qu'aucun autre joueur ne puisse porter ce numéro. Après sa retraite, Dryden a été intronisé au Hall of Fame, élu député libéral et a reçu l'Ordre du Canada.
Bien qu'il s'estime déjà établi, Lemoyne demeure un artiste très actif. En 1984, il participe encore à des manifestations publiques qui peuvent créer des provocations et une rupture avec le traditionnel, et se présente même aux élections des députés du sarcastique parti Rhinocéros.
Riopelle et Lemoyne ne sont que deux des dizaines d'artistes présentés dans le musée de la Rue Sherbrooke, des hommes et des femmes qui ont apporté leur talent et leur virtuosité depuis les premiers temps de l'histoire du Québec. La visite peut commencer dans la partie la plus haute du musée, avec les sculptures d'art inuit, et descendre à travers les salles qui couvrent les périodes classiques (1700-1870), l'ère des salons d'art académiques (1880-1920), la nouveauté de modernisme (1920-1960), jusqu'aux Champs Libres (1960-1970).
On y trouve les œuvres d'Alfred Laliberté (1877-1953), Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté (1937-1969), Louis Philippe Hébert (1850-1917), Marc-Aurèle Fortin (1888-1970), Lilias Torrance Newton (1896-1980), Paul Emile Borduas ( 1905-1960), Louis Archambault (1915-2003), Lisette Lemieux (1943), Michael Flomen (1952) et Nicolas Baier (1967).
Le musée peut être parcouru en environ deux heures, et maintenant que les billets sont vendus à l'avance et que les places sont limitées, l'expérience avec moins de personnes est confortable et supportable. A la fin de la visite, il y a une librairie où des livres, des cartes postales, des affiches et des cadeaux avec les motifs du musée sont proposés.
Soit dit en passant, si quelqu'un était intrigué par les expériences intéressantes et provocatrices de Riopelle et Lemoyne, il devrait aussi enquêter sur la vie fascinante et quelque peu tragique de Marc-Aurèle Fortin. C'est un extraordinaire peintre de paysages et de scènes urbaines, et selon ceux qui ont vécu avec lui, il menait une vie plus que bohème dans une maison qu'il avait sur la rue Saint-Urbain, près de Laurier. Dans le musée, il y a une petite salle dédiée à ses œuvres.
Musée des beaux-arts de Montréal (MBAB) : www.mbam.qc.ca/fr/
1380, rue Sherbrooke Ouest
Montréal (Québec) H3G 1J5
Lundi fermé
Tous les pavillons sont accessibles et adaptables pour les personnes en fauteuils roulants (salles d'expositions, toilettes, ascenseurs).
Dino Rozenberg
Artista Visual
2 ansJ'aimerais visiter le Musée des beaux-arts de Montréal!