Les Chroniques de CORRIDOR ÉLÉPHANT : © Orianne Papin
"HISSER LES MOTS POUR GRANDIR"
Ce projet un peu fou, j’en rêvais depuis quatre ans : offrir à une trentaine d’enfants de onze ans une année scolaire inédite, une approche nouvelle de la littérature guidée par l’espoir de faire naître en eux un appétit d’écriture qui ne les quitterait plus.
Septembre 2017, j’accueille 26 élèves qui ignorent encore tout de l’aventure dans laquelle je m’apprête à les embarquer. C’est la première édition de la classe « Ecrivains en Herbe ». Parents et enfants se regardent et s’étonnent : pourquoi moi, pourquoi nous ? Sera-t-on à la hauteur ? Ils ne se connaissent alors pas encore, ils n’ont pas été choisis pour des prédispositions particulières : seul un heureux hasard les a réunis dans cette classe de Sixième.
Dans ma salle de cours, j’ai installé un casier constellé d’étiquettes colorées qui arborent le prénom de chacun : leurs carnets d’écriture sont prêts. Ils n’attendent plus qu’eux. Chaque semaine, nous l’ouvrirons avec gourmandise pour se livrer à des jeux d’écriture.
Au fil des mois, l’objet livre prend un visage ami : il n’est plus sacré, poussiéreux, scolaire ni anxiogène, il a les yeux rieurs des écrivains que nous invitons régulièrement en classe. Jacques Cassabois, Stéphanie Lepers, Bettina Schopphoff et Patricia Sanchez se prêtent au jeu avec authenticité et sympathie. La littérature s’incarne par ces doux tissages humains.
Avril 2018, c’est dans leur propre corps que les mots vont désormais palpiter. Après quatre semaines de préparatifs clandestins, l’excitation est à son comble : les enfants sont sur le point de vivre leur première B.I.P. (Brigade d’Intervention Poétique). Joues guerrières, pancartes en main, poésie en bouche, ils se lancent avec ferveur dans cette performance qui secoue les salles de cours éberluées les unes après les autres.
Il y a d’abord la boule au ventre, bien sûr, et puis d’énormes bulles d’adrénaline, si grandes que leur petit cœur ne sait alors qu’en faire. À la fin de l’opération, c’est une véritable danse de la joie qui explose autour de moi : « merci Madame, on n’a jamais ressenti d’émotions aussi fortes de toute notre vie ! » Je frissonne en comprenant, pour la toute première fois, que mon pari pédagogique fonctionne. La classe ne forme plus qu’un : ils sont prêts à vivre, avec intensité, les jours à venir.
Mai 2018, nous partons en direction de Saint-Augustin, dans une résidence de l’association OVAL. En une semaine, nous allons écrire, illustrer et éditer un livre sous la conduite de l’écrivain Guy Jimenes. Quel défi pour les élèves. Quel défi pour moi. C’est un tel saut dans le vide pour une enseignante de s’engager dans un projet d’envergure sans savoir s’il mènera là où on l’espérait. Ils me font confiance. Je leur fais confiance. N’est-ce pas ainsi qu’on grandit ?
Dès les premières heures, l’évidence s’impose et les activités de l’année prennent tout leur sens. Pas un seul enfant ne reste en retrait, pas un ne boude son crayon : ils sont là, vivants, vibrants, débordant de désir et de sensibilité. Le hasard est devenu alchimie.
Le soir, on continue d’écrire en chaussons et en pyjama. Au petit-déjeuner, on affine l’intrigue autour des céréales. Tout aussi idéaliste que je suis, ce projet, je ne l’avais pas rêvé si haut. Dans quelques semaines, leur livre Tombé du ciel sera entre leurs mains. Et il sera beau. Beau, parce qu’ils ont écrit un récit remarquable. Beau, parce qu’ils ont su faire de l’aventure d’une classe une œuvre inoubliable.
Alors que le séjour s’achève, les élèves me disent qu’ils n’oublieront jamais et leurs larmes de bonheur me bouleversent. Nous avons réussi. Je ne suis plus que plénitude, sur cet îlot infime où le rêvé et le réel s’enlacent, indistincts. Ils ont vécu l’écriture. Maintenant ils savent. Ils savent toute la force qu’il y a en eux. Et ils connaissent le chemin pour aller la chercher, encore et encore, tout au long de leur vie.
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