LES EFFETS DU COVID-19 SUR LE TRAITEMENT DES VIOLENCES CONJUGALES EN DROIT IVOIRIEN : ESSAI DE RÉFLEXION

LES EFFETS DU COVID-19 SUR LE TRAITEMENT DES VIOLENCES CONJUGALES EN DROIT IVOIRIEN : ESSAI DE RÉFLEXION

Les violences conjugales ne sont pas définies par le législateur ivoirien. C’est alors par le constat des faits de société, que l’on pourrait les décrire comme un processus au cours duquel un partenaire exerce à l’encontre de l’autre, dans le cadre d’une relation privée et privilégiée, des comportements agressifs, violents et destructeurs. L’emprise et la peur du conjoint enferment la victime dans un conditionnement dont il lui est difficile de sortir sans aide.

Il est par ailleurs utile de noter que les violences conjugales sont à distinguer des violences domestiques, en ce que les premières sont exercées dans le cadre d’une relation de couple et que les dernières dans le cadre d’une cellule familiale ou d’un foyer domestique. On notera que les violences conjugales sont des violences domestiques, mais toutes les violences domestiques ne sont pas nécessairement des violences conjugales.

En Côte d’Ivoire, la recrudescence des violences conjugales est liée au système social du Patriarcat. Ce qui justifie que ces violences soient majoritairement exercées sur les femmes.

L’on pourraient identifier plusieurs causes à l’origine des violences conjugales, notamment :

- Les us et coutumes : certains peuples du pays, par exemple, considère la femme comme l’enfant et la propriété de son mari, Ce dernier devrait lui donner des corrections en cas de fautes de celle-ci, c’est pourquoi il y a un fouet qui accompagne une dot chez certains;

- L’éducation (les antécédents familiaux et sociaux – le développement d’une culture de la violence, ...);

- Les troubles psychologiques et du comportement;

- Etc.

Dans un contexte comme celui de la Pandémie du Covid-19 et de ses mesures de prévention, dont la principale est l’isolement voire le confinement, de sérieuses inquiétudes peuvent s’élever quant à la protection des personnes sujettes aux violences conjugales.

A travers le monde, le constat est général quant à l’augmentation des chiffres de violences conjugales, et la Côte d’Ivoire n’est pas exclue de cette situation alarmante pour les ménages. L’on a échos de nombreux cas de violences conjugales, allant des simples violences morales aux coups et blessures entraînant la mort de l’un des conjoints.

Cet article va alors s’intéresser aux effets des mesures de prévention du Covid-19 sur le traitement des violences conjugales en droit ivoirien. Mais avant, il serait utile de rappeler ce que dit le droit ivoirien quant aux violences conjugales.

QUE DIT LE DROIT IVOIRIEN SUR LES VIOLENCES CONJUGALES ?

D’emblée, il n’existe pas de texte légal spécifique au traitement des violences conjugales ; ce qui explique l’absence de définition légale des violences conjugales.

Par des dispositions éparses contenues dans le Code Pénal ivoirien, institué par la Loi n°2019-574 du 26 Juin 2019, on retiendra des mesures de répression de certaines formes de violences conjugales, en l’occurrence :

- Les atteintes à l’intégrité physique : Le meurtre, Les coups et blessures volontaires, Les voies de fait, La torture et autres traitements inhumains dégradants ;

- Les attentats aux mœurs : Le viol ;

- Les atteintes à la famille : La violation des obligations résultant du mariage ;

Comment est organisé la répression de ces infractions ?


Les atteintes à l’intégrité physique

1. Le meurtre

L’infraction de meurtre est définie à l’article 378 du Code Pénal, comme l’homicide commis volontairement. L’homicide est littérairement défini comme l’action de tuer un être humain. Lorsque cette infraction est commise sur la personne du conjoint ou du concubin ; ou sur celle de l’ancien conjoint ou ancien concubin en raison de leur ancienne relation, elle est punie de l’emprisonnement à vie.

2. Les coups et blessures volontaires

L’infraction des coups et blessures volontaires, dans un contexte de violence conjugale, est réprimée à l’article 383 du

Code Pénal. Elle est punie de

- L’emprisonnement à vie, lorsqu’elle a occasionné la mort du partenaire ;

- L’emprisonnement allant de 05 à 20 ans, lorsqu’elle occasionne une mutilation, amputation ou privation de l’usage d’un membre, la cécité ou la perte d’un œil ou toute autre infirmité permanente ;

- L’emprisonnement allant de 05 à 10 ans et une amende de 50,000 à 500,000 Francs CFA, lorsqu’elle occasionne une maladie ou incapacité totale de travail personnel pendant plus de 10 jours;

- L’emprisonnement allant de 01 à 03 ans et une amende de 50,000 à 500,000 Francs CFA dans tous les autres cas.

3. Les voies de fait

L’article 382 du Code Pénal définit de manière générale et impersonnelle, l’infraction de voie de fait comme le fait d’exercer volontairement sur une personne, une violence ou tout autre acte qui ne constitue aucun coup ni n’occasionne aucune blessure, mais est de nature à impressionner la victime ou à lui causer un trouble.

Toutefois, suivant l’article 385 du Code Pénal, lorsque l’infraction de voie de fait est commise sur la personne du conjoint ou du concubin, en administrant volontairement, de quelque manière que ce soit, une substance qui, sans être de nature à donner la mort, est nuisible à la santé, elle est punie de :

- l’emprisonnement de 05 à 10 ans et une amende de 100,000 à 1,000,000 de Francs CFA, s’il en est résulté une maladie ou incapacité totale de travail personnel ;

- L’emprisonnement de 05 à 20 ans, s’il en est résulté une incapacité totale de travail de plus de dix jours ;

- L’emprisonnement à vie, s’il en est résulté une infirmité permanente.

4. La torture et autres traitements inhumains et dégradants

L’acte de torture est défini comme le fait d’infliger volontairement des douleurs ou souffrances aiguës, physiques ou mentales à des fins de renseignements ou d’aveux, de punitions, d’intimidations ou de pressions, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit ( Article 399, Code Pénal )

Les traitements inhumains sont des agissements volontaires qui provoquent chez une personne des souffrances physiques ou mentales, particulièrement graves ( Article 400, Code Pénal )

Les traitements dégradants sont des agissements qui humilient l’individu et portent manifestement atteinte à sa dignité (Article 401, Code Pénal )

Dans l’environnement conjugal :

- L’acte de torture est puni de 10 à 20 ans d’emprisonnement, et d’une amende de 1,000,000 à 10,000,000 de Francs CFA

- Les traitements inhumains sont punis de 02 à 10 ans d’emprisonnement, et d’une amende de 600,000 à 6,000,000 de Francs CFA

- Les traitements dégradants sont punis de 01 à 04 ans d’emprisonnement, et d’une amende de 200,000 à 2,000,000 Francs CFA

Les attentats aux mœurs

Seule l’infraction de viol conjugal est punie en tant qu’acte de violences conjugales.

Suivant l’article 403 du Code Pénal, le viol est constitué de tout acte de pénétration vaginale, anale, anale, buccale, ou de quelque nature qu’il soit à but sexuel imposé à autrui sans son consentement, en usant d’une partie du corps humain ou d’un objet, par violence, menace, contrainte ou surprise.

A la différence des autres infractions, la nature conjugale des relations entre la victime et l’auteur n’aggrave pas la peine, ou en tout cas n’y exerce aucune influence. Toutefois, s’agissant des couples mariés, la présomption de consentement des époux vaut jusqu’à preuve contraire.

En outre, le viol « conjugal » est puni de 05 à 20 ans d’emprisonnement. Mais lorsqu’il en résulte une mutilation ou une infirmité permanente ou la mort de la victime, il est puni de l’emprisonnement à vie.

Les atteintes à la famille

Le législateur ivoirien puni sous ce chapitre des crimes et délits contre les personnes, l’infraction de violation des obligations résultant du mariage. Sont donc exclus ici, les ,concubins.

Au point de ce chapitre, l’une des formes de violence conjugale retenue est l’abandon volontaire par l’époux, de l’épouse en état de grossesse, pendant plus d’un mois et sans motif légitime. Cette infraction est punie de 03 mois à 01 ans d’emprisonnement et d’une amende de 100,000 à 1,000,000 de Francs CFA. (Article 452, Code Pénal)

Il est à noter également, la punition du défaut de paiement d’une pension alimentaire, dont l’époux reste insolvable depuis plus de deux mois, en dépit d’une décision de justice l’y condamnant. La peine est de 03 mois à un an d’emprisonnement et une amende 100,000 à 1,000,000 de Francs CFA (Article 453, Code Pénal)

L’infraction de polygamie est quant à elle, punie de 06 mois à 03 ans d’emprisonnement et d’une amende de 50,000 à 500,000 Francs CFA (Article 455, Code Pénal)

Enfin, l’adultère est punie de 02 mois à 01 an d’emprisonnement ( Le conjoint infidèle et son complice sont tous deux condamnés). Toutefois, la connivence ou le pardon de l’époux offensé empêche ou arrête la poursuite pénale, tandis qu’il reste maître d’arrêter l’effet de la condamnation prononcée contre l’autre conjoint. (Article 456, Code Pénal)


QUELS POURRAIENT ÊTRE LES EFFETS DES MESURES DE PRÉVENTION DU COVID-19 SUR LE TRAITEMENT DE CES VIOLENCES CONJUGALES ?

Les mesures de préventions du Covid-19 ont la caractéristique majeure de réduire les interactions sociales en dehors des foyers, ce qui signifie que les personnes sont de plus en plus restreintes à rester au maximum chez elles, à la maison.

Ces mesures vont ainsi favoriser l’accroissement des violences conjugales.

Même si le droit ivoirien, prévoit des mesures pénales face à ces situations de violences conjugales, les craintes seraient de voir réduire les opportunités de saisine des juridictions.

Par une circulaire n°005/MJDH/CAB du 20 Mars 2020 relative aux dispositions pratiques à prendre dans le cadre de la lutte contre le coronavirus (COVID-19), le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice a fait aménager les juridictions ivoiriennes, leurs services et dispositions d’accueil des populations.

Cela n’a a priori aucune incidence sur les procédures pénales, ou du moins en tout cas, ne saurait être de nature à empêcher l’exercice d’une action en justice contre les violences conjugales en ces périodes. Surtout que les commissariats et services de police judiciaire restent ouverts.

Par ailleurs, les actions des justiciables doivent être faites suivant les mesures de distanciation sociale mises en place.

Toutefois, des plaidoyers adressés par des associations professionnelles, et un arrêté du ministère de la protection civile, visant à la fermeture des lieux de rassemblement populaire, et ainsi des juridictions pourraient causer problème.

De même, la hausse marathonienne des cas positifs au virus, et la faiblesse malheureuse des cas de guérisons, présageraient d’une éventuelle prochaine fermeture des services judiciaires, ce qui réduit les manœuvres de protection des victimes.


L’étude qui précède a pu relever les insuffisances marquées du droit ivoirien en matière de violences conjugales.

Dans un futur après-coronavirus, et eu égard aux constatations de la recrudescence de ces violences, des mesures peuvent être prise pour le renforcement de la protection des victimes :

  • Une loi spéciale relative au traitement des violences conjugales
  • Une innovation légale en matière de protection des victimes : les mesures d’éloignement avant même l’établissement de la preuve des violences
  • Une réévaluation ou inversion de la présomption d’innocence des auteurs identifiés
  • L’abandon de la transaction pénale en ce qui concerne les délits de violences conjugales
  • Un développement de l’aide sociale, psychologique et judiciaire aux victimes par la mise en place de centres spécialisés dans chaque commune du pays

S’il est certain que le COVID-19 aura des effets négatifs sur le traitement des violences conjugales en droit ivoirien, il est tout aussi certain qu’il a été révélateur des failles contenues dans ce droit.

En outre, ces conséquences pourraient servir d’arguments de renforcement du traitement juridique des violences conjugales.

SAMAKE Sarah Prisca
Titulaire d’une Maîtrise en Droit Privé Fondamental
Étudiante en années de DEA / Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan
Bi Marius VOLI

Juriste-Conseil | Droit privé

4 ans

Un bel essai

Jean DJANIKLO

CONSEIL EN GESTION/MANAGEMENT RESSOURCES HUMAINES

4 ans

Non c'est l'effet du couvre feu où du confinement total dans un espace restreint. 

Aïda Yasmine Traoré

Étudiant(e) à Université FÉLIX HOUPHOUET BOIGNY de COCODY

4 ans

Excellente réflexion ma princesse  Tu as touché dans le mil,  là où il le fallait 😍😍😍😍😘😘😘😘

Sib Ollo Anderson

Intellectual property Law • Security Law • African Community Law (OHADA) • African Intellectual Property Law (OAPI) • European Intellectual • Property Law • International Property Law

4 ans

Félicitations pour l' initiative et l'effort fourni! vivement que ceci ouvre la porte à d'autres réflexions en cette période d'exception liée au covid-19 (...)

Youssouf DIARRA

Chef de Département COCAN 2023 en Côte d'Ivoire

4 ans

Excellente reflexion. Je serai heureux si pouvez accepter de venir animer une session d’échange dénommée «  Entr’Nous » que nous organisons pour le personnel du PNUD.

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