Les entreprises doivent peupler nos imaginaires positifs

Les entreprises doivent peupler nos imaginaires positifs

Comment faire face à l’urgence écologique ? Aux défis sociétaux ? Aux bouleversements technologiques ? Beaucoup d’entreprises vivent actuellement une crise existentielle. A leur tête, les dirigeants et les leaders doivent inventer de nouveaux récits positifs pour convaincre, fédérer et favoriser (rapidement) le passage à l’action. 

En 1985, l’économiste Michael Porter présente sa théorie des avantages concurrentiels. Elle vise à expliquer comment une entreprise peut se démarquer de la concurrence et croître à long terme. Les deux principales solutions consistent à avoir des coûts moins élevés, et donc à vendre à des prix plus compétitifs, ou à offrir des produits uniques, c’est-à-dire qui se démarquent par leur qualité ou leurs fonctionnalités. Pour trouver son positionnement, une analyse détaillée de la chaîne de valeur est nécessaire. Or, aujourd’hui, la situation a bien changé. Face à l’urgence écologique et aux enjeux sociétaux, aucun leader ne peut durablement espérer prospérer sans se poser la question du sens, c’est-à-dire de la raison d’être du projet entrepreneurial qu’il porte. Et, ce n’est pas dans l’analyse de la chaîne de valeur que la réponse se trouve ! 

Les raisons pour lesquelles une entreprise réalise ses activités prennent vie à travers un récit. Ce dernier demeure le meilleur moyen de raconter l’histoire fondatrice, les développements successifs et ceux à venir de l’aventure en cours. C’est pourquoi pour la décennie à venir, je fais le pari que ce sont la qualité des récits partagés par les entreprises qui constitueront le plus puissant des avantages compétitifs. D’ores et déjà, des entreprises éprouvent des difficultés à recruter en raison de la réalisation d’activités polluantes. Demain, il ne fait aucun doute que les jeunes talents choisiront un projet non plus sur le niveau de leur rémunération mais sur des valeurs et des convictions. 

Ce mouvement prend également de l’ampleur via les consommateurs qui souhaitent acheter des produits auprès d’entreprises engagées, voire militantes. La traçabilité, la transparence, la valorisation des circuits-courts, le made in France, les engagements quant au recyclage ou encore les actions menées pour favoriser l’emploi de personnes victimes de handicap sont autant d’éléments qui deviennent décisifs dans l’acte d’achat. Le succès d’entreprises comme RecycLivre qui reverse 10% de ses revenus nets générés à des associations et des programmes d'action de lutte contre l'illettrisme ou qui compense toutes ses émissions de CO2 en est le parfait exemple. 

Le sens est essentiel car vivre en imaginant un monde que nous souhaiterions voir advenir, en suivant un récit enthousiasmant, est source de bien-être. Ou pour reprendre une phrase de Nietzsche, “Celui qui a un pourquoi qui lui tient lieu de but, de finalité, peut vivre avec n’importe quel comment.” Et d’ailleurs, les études le prouvent déjà, les entreprises qui ont une raison d’être sont plus productives - notamment car les collaborateurs sont plus motivés et engagés - et croissent plus rapidement. Chez Unilever, qui a défini 28 marques “sustainable living” comme Dove ou Lipton, ces dernières connaissent en moyenne une croissance supérieure de 69% par rapport aux autres marques.  


Les leaders, conteurs d'histoire

Les dirigeants et leaders, parce qu’ils sont le visage public de l’entreprise, doivent être les premiers à incarner le changement qu’ils souhaitent voir advenir. Or, comme les travaux du chercheur américain Stephen Denning le montre, la mise en récit permet de favoriser le passage à l’action, de mettre en mouvement une organisation. 

Plus que jamais, les leaders ont ainsi la responsabilité de trouver, de construire et d’incarner une histoire engageante et enthousiasmante. Les histoires sont en effet de puissantes grilles de lecture et d'analyse du monde. Elles utilisent à la fois des données factuelles et les émotions pour aider les audiences visées à comprendre, mémoriser et passer à l'action. Dans un contexte où les défis sont nombreux et où les nouvelles technologies bouleversent tous les anciens paradigmes, une histoire claire et pédagogique agit comme une véritable boussole. 

Pourtant, l’un des défis principaux que le récit partagé induit est l’écart entre le monde imaginé et la réalité vécue. Cette zone d’ambivalence, voire de schizophrénie est remplie d’injonctions contradictoires. Par exemple, comment les énergéticiens comme Engie ou Total peuvent dessiner un monde renouvelable tout en continuant leurs activités liées au charbon ou au pétrole ? Pour y parvenir, il s’agit de développer un récit de transition. C’est pourquoi l’humilité et la crédibilité seront des conditions sine qua non à la réussite narrative des entreprises. 

Concrètement, les leaders devront accepter d’être transparent et prêt à affirmer que le chemin sera long et semé d'embûches. Ils devront également asseoir leur histoire sur des preuves tangibles, mesurables et vérifiables. Yvon Chouinard, le fondateur et PDG de la marque de vêtements éco-conçus Patagonia, rappelle toujours que les actes sont le point de départ des“belles histoires” qu’il raconte. Demain, lors des entretiens d’embauche, la question autrefois tabou du salaire sera remplacée par celle des actions réalisées pour vérifier la cohérence du récit porté par l’entreprise. Porter affirmait d’ailleurs que chaque avantage compétitif devait être unique (c’est-à-dire original), difficile à imiter, nettement supérieur et adaptable à différentes situations. Qui peut dire que les récits enthousiasmants d’entreprises comme Patagonia, Toms ou Veja ne répondent pas à ces critères ? 

Les leaders ont toujours eu la responsabilité de guider un ensemble d’individus dans une direction donnée. Pour y parvenir, ils doivent convaincre, fédérer et favoriser le passage à l’action. Or, à l’ère des entreprises narratives, non seulement les récits seront plus que jamais indispensables, mais ils constitueront peut-être la seule issue pour construire un avenir positif.


Julien ROUSSEAU

Responsable RSE | Engagement Collaborateurs & Citoyens | Adaptation | Culture d'entreprise | Community management | Numérique Responsable | Résilience alimentaire | Solidarité

4 ans
Djani Hounkpati

Conseiller clientèle

4 ans

Très intéressant. Un constat et des interrogations qui trouveront écho peut-être aussi à travers la formation de nos futurs leader et surtout de la capacité à s’adapter pour certaines entreprises

Loïc Sbernardori

Fondateur @Cognivance | Psychologue du Travail - Spécialiste en valorisation des compétences

4 ans

Merci pour l'article ! Avez-vous des exemples d'entreprises dans l'énergie, les matières premières, ou encore la technologie qui prennent des directions semblables ?

Frank Escoubes

Co-fondateur et Co-Président de bluenove / Auteur de "POP démocratie", "La démocratie, autrement" et de "Pris de court" / Fondateur d'Imagination for People / Ashoka Fellow

4 ans

"L'ère des entreprises narratives"... Pour parler comme Michael Porter, le récit est devenu un avantage concurrentiel. Pour parler comme Gary Hamel, il s'agit même d'une core competence.

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