Les exploitations forestières industrielles formelles de bois d’œuvre ne sont pas le plus grand danger quant à la survie des forêts en RDC
Introduction
Lors de saisie symbolique de bois d’œuvre en provenance de la RDC par certaines ONG, il n’est pas rare de voir les images d’un membre dudit ONG brandissant des banderoles où il est écrit « sauver les forêts du Congo» comme pour dire que l’exploitation forestière industrielle en RDC représente un danger quant à la survie de la forêt. D’autres n’hésitent pas à dire, pour soutenir le maintien du moratoire sur l’allocation des concessions forestières en RDC que « les taux bruts de déforestation ont doublé dans le bassin du Congo depuis 1990 et que l'exploitation forestière en est un facteur clé ». Ce genre d’affirmation a pour conséquence de lier dans l’imaginaire du public congolais un lien évident entre l’exploitation forestière industrielle et la déforestation. Face à ses affirmations, les exploitants industriels sont d’avis, au contraire, que leur activité ne peut pas être la cause principale de la déforestation car elle consiste à prélever des essences de bois d’œuvre de manière sélective contrairement à la coupe rase effectuée en cas, à titre d’exemple, d’activité agricole. De plus, ils soutiennent qu’ils payent la taxe de reboisement au Fond Forestier National qui a pour mission de financer des projets de reboisement et qu’à ce titre, ils participent aux efforts de reboisement initié par l’Etat congolais et finalement ils sont d’avis que leur exploitation sont gérée de manière durable conformément à des plans de gestion validés par l’administration.
A savoir si l’exploitation forestière industrielle représente un danger pour les forêts congolaises, deux études nous indiquent des pistes de réponse. La première s’intitule « Potentiel REDD+ de la RDC » publié en 2009 réalisée sous la conduite du Ministère de l’Environnement, Conservation de la Nature et Tourisme par la Coordination Nationale REDD (CN-REDD) avec le support analytique du Cabinet McKinsey &Co dans laquelle il est constaté que « les 3 causes majeures de déforestation sont le développement de l’agriculture commerciale (~40%) et vivrière (~20%) et la collecte de bois de chauffe (~20%) ». La seconde étude s’intitule « l’étude qualitative sur les causes de la déforestation et de la dégradation des forêts en République démocratique du Congo » publié par le Ministère en charge des forêts et réalisée par le Groupe de Travail Climat REDD de la société civile de la République Démocratique du Congo dans laquelle l’exploitation forestière industrielle de bois d’œuvre constitue la cinquième cause de déforestation de la forêt.
Loin des affirmations et des positionnements idéologiques, il est essentiel de tenter de régler cette question de la manière la plus objective possible afin que les acteurs qui tentent de combattre les causes principales de la déforestation ne puissent pas s’égarer sur celles qui sont secondaires.
Afin de régler cette question, nous avons utilisé le Global Forest Watch (GFW) qui est un site de monitoring en temps réel de l’état des forêts au niveau mondial et qui reprend également l’état de la perte du couvert forestier entre 2001 et 2014.
Notre analyse consiste tout d’abord à vérifier la fiabilité du GFW par rapport aux statistiques connues sur le taux de déforestation en RDC. Ensuite, nous allons calculer le niveau de perte de couvert forestier dans l’ensemble des concessions forestières industrielles en RDC afin de voir le pourcentage qu'il représente au regard de la déforestation globale.
Fiabilité du Global Forest Watch (GFW)
La déforestation est le phénomène de régression des surfaces couvertes de forêts. Ainsi, si nous voulons évaluer la déforestation, il nous faut être en mesure d’évaluer la perte du couvert forestier.
Selon le Programme National environnement, forêts, eaux et biodiversité « PBEFEB » 2ième Génération publié en décembre 2013, la superficie de la forêt congolaise et de 155 500 000 d’hectares soit 67% du territoire nationale et le taux de déforestation est de 0,3%.
Selon le GFW, pour atteindre les chiffres officiels, il faut adopter une densité du couvert forestier initial de 50%. Cela donne, un couvert forestier initial de 167 millions d’hectares en 2000 et une perte du couvert forestier de 7.427.088 ha entre 2001 et 2014, soit 0,3% de taux de déforestation par année, ce qui correspond au taux officiel.
Application
Par la suite, pour connaitre la part de perte du couvert forestier découlant éventuellement de l’exploitation forestière industrielle, le GFW nous permet de calculer cette perte uniquement sur l’ensemble des concessions forestières allant de la date d’obtention du titre à l’année 2014. Le résultat de la perte du couvert forestier dans les espaces couvrant les 52 titres forestiers industrielles en activité en RDC est de 366 812 hectares, soit 5% de la perte globale du couvert forestier entre 2001 et 2014. Il sied de signaler, pour précision, que cette part ne peut être mise uniquement sur le dos de l’exploitation forestière industrielle car les espaces couvert par ses titres couvrent également des villages et des villes, ce qui implique inévitablement la pratique de l’agriculture sur brûlis et de la carbonisation. Cette part de 5% devrait donc être revue à la baisse.
Ainsi, au regard de cet exercice fort simple et vérifiable par tous, il ressort que l’exploitation forestière industrielle en RDC ne peut pas être considéré comme l’une des causes principales de la perte du couvert forestier dans ce pays. Bien entendu, on ne remet pas en cause le fait qu’il faut combattre l’exploitation forestière illégale qui est aussi présent dans ce secteur, mais de là à faire croire que l’on va sauver les forêts congolaises en s’acharnons sur l’exploitation forestière industrielle dont les espaces représentent moins de 5% de la perte du couvert forestier globale depuis 14 dernière années, équivaut à nier les causes réelles du problème.
Toutefois, il sied de signaler que les données du GFW nous indiquent également une augmentation inquiétante de la perte du couvert forestier en RDC qui est passé de 399 729 hectares en 2011 à 1 037 247 hectares en 2014. Le problème de la perte du couvert forestier en RDC est donc réel et elle va en s'aggravant.
Merci.
Alain Ikala ENGUNDA
NB: Cette analyse est faite à titre personnelle et n'engage pas mon employeur.