LES FINTECHS ET ASSURTECHS SONT ELLES DES MODELES A SUIVRE AVEUGLEMENT ?

Alors que le secteur bancaire se mobilise pour adapter son offre et faire face à une digitalisation accrue des usages de leurs clients (prendre un abonnement mobile, commander ses courses, payer en ligne, commander un taxi, ..), 2018 n’aura pas modifié plusieurs tendances engagées depuis l’émergence de Paypal en juillet 2002 :

-         Les levées de fonds au profit de jeunes sociétés technologiques dans le domaine de la banque et de l’assurance n’ont jamais été aussi importantes : les montants levés en 2018 s’élèvent à quasiment 300 millions d’Euros rien qu’en France

-         Les néobanques ont de leur côté réussi à conquérir en quelques dizaines de mois des millions de clients (4 millions d’utilisateurs en Europe pour Revolut, 2 millions pour N26)

-        Elles s’engagent toutes dans une course effrénée à l’internationalisation. Ainsi, Qonto ouvre trois nouveaux pays en Europe, Revolut s'implante aux Etats-Unis, ..).

L’émergence des Fintech et Assurtech résulte à la fois d’une attente de la clientèle à voir simplifiés les usages et les process, de l’arrivée à maturité de certaines technologies notamment en matière d’intelligence artificielle, mais également de l’allègement du cadre règlementaire qui leur a permis (en s’appuyant comme c’est la cas pour le moment de Revolut sur les systèmes d’informations de la Lloyds) de lancer des activités qui n’étaient pas envisageables jusqu’alors. En ouvrant l’accès à la donnée sur les comptes bancaires, la DSP2 va de fait démultiplier la capacité des startups à offrir de nouveaux services bancaires.

Peut-on pourtant en conclure que les Fintech et Assurtechs constituent un idéal face à des banques traditionnelles qui ne joueraient pas leur rôle dans l’économie et que cette vague va finir par balayer ? Les startups constitueraient elles une panacée universelle ?

Les vertus évidentes des Fintechs et Assurtechs :

Le monde bancaire a ceci de particulier qu’il existe peu ou prou depuis six siècles, ayant survécu aux crises, guerres et cataclysmes en tous genres.

De nombreuses innovations sont issues de cette sphère (le chèque postal notamment, dont on vient de fêter les 100 ans, la carte bancaire, l’utilisation de la voix comme moyen d’authentification, la digitalisation des échanges internationaux au travers de l'établissement de standards mondiaux, ….) mais ce qui retient l’attention aujourd’hui ce sont les innovations portées par les startups dont l’audace est indéniable.

Elles repoussent les frontières du possible afin d’offrir une expérience client toujours plus fluide et des services nouveaux qui résultent d’un regard frais sur des services existants : toujours plus vite, toujours plus simple et toujours accessible.

Elles adressent des sujets considérés comme trop petits pour justifier d'y passer du temps et/ou de l'argent mais qui constituent néanmoins de vrais facteurs de frustration pour de nombreux clients ou des poches de rentabilité exagérées.

Cette audace est rendue possible et facile par :

-         L’utilisation systématique de nouvelles technologies qui n’ont pas à cohabiter avec d’autres infrastructures plus anciennes ; ce qui accroit leur liberté et leur agilité

-         L’absence d’impacts sur les clients résultant du lancement de nouvelles fonctionnalités ou de l’adaptation des parcours puisque justement elles démarrent et n’ont pas ou peu à prendre en compte les contraintes que la gestion de millions de clients imposent à leur aînés. Il suffit pour cela de se rappeler ce que le changement de logiciel (Socrate) à la SNCF a provoqué comme traumatisme auprès d’au moins une génération de DSI pour évaluer ce que représenterait un changement radical des systèmes d’information d’une grande banque. Qui sera le premier à tenter l’aventure … ?

-         Une culture entrepreneuriale dont l’ambition est de bousculer, challenger, chahuter plutôt que de préserver l’existant.

Cette audace est nécessaire et souhaitable car elle anime le marché et apporte des réponses à des questions qui ne sont pas nécessairement faciles à adresser dans un environnement contraint.

Pris en des termes plus journalistiques, les startups acceptent de « rouler sur les vibreurs » ce que ne peuvent/veulent pas toujours faire les banques et assureurs traditionnels pour de bonnes et parfois de moins bonnes raisons.

Parfois cela passe sans sortie de route et leur permet de prendre des parts de marchés ou de développer de nouveaux marchés ; parfois pas : Morning, Finamatic, Unilend, ou les petits tracas de Revolut en fin d’année dernière …

Les banques de leur côté, offrent une réponse qui garantit une robustesse indéniable et une présence territoriale incomparable attendue par la majorité des clients. Elles sont également soumises — à juste titre compte tenu de leur rôle systémique — à un encadrement règlementaire plus rigoureux. Ces actifs (car la règlementation peut à certains égards être considérée comme tel) ne sont d’ailleurs pas inintéressants que pour les clients.

Les startups ont besoin de pouvoir tester auprès de clients, de prévoir des infrastructures informatiques qui soient solides (les fonds exigent pour certains que soit fourni un audit des SI préalable à un quelconque investissement) et d’établir des procédures suffisamment rigoureuses pour satisfaire une autorité de régulation française et/ou européenne.

Il est à ce titre cocasse de constater que les ressources compliance, risque, … parfois décriées au sein des grandes banques, sont recherchées et choyées par des Fintechs en quête de respectabilité et de crédibilité.

Que pourrait-on reprocher aux Fintechs et Assurtechs ?

Alors qu’une indéniable attention est donnée aux clients en matière d’UX et d’UI, le jour ou la startup ferme, elle ferme définitivement, le service s'arrête (cf Bitsage, Oyst, …). Les risques sont souvent contenus si l'on considère que la plupart du temps pour les fintechs les actifs des clients ne sont pas sur leur bilan. Cela renforce la nécessité d'une régulation proportionnée des activités, attentive à la situation des startups et des clients, comme ce fut le cas pour Morning par exemple.

De même alors que la Cybersécurité devient déterminante tant d’un point de vue opérationnel que pour alimenter une image rassurante pour les clients, beaucoup de startups négligent soit consciemment soit par manque de temps cette dimension qui deviendra cruciale dans les phases d’hypercroissance. Il en est de même dans les domaines des ressources humaines (la culture, les pratiques et les outils managériaux ne pas toujours stabilisées, en tout état de cause pas compatibles avec des phases de développement intense) et juridique (une marque non déposée, mal protégée peut devenir un casse-tête inextricable).

Les banques ne seraient ni plus ni moins que des Fintechs qui ont beaucoup grandi et qui avec l’âge, frisent peut-être sur certaines zones de leur activité comme beaucoup de grandes entreprises, l’embonpoint. Elles offrent pourtant un niveau de sécurité exceptionnel face aux attaques externes (ou internes ) et disposent de systèmes de gestion éprouvés et robustes (mais qui se sont malheureusement souvent sédimentés rendant leur urbanisation difficile).

S’il n’est vraisemblablement pas totalement impossible de retrouver un fonctionnement agile au prix d'une rationalisation sévère, c’est vraisemblablement la piste de la coopération et des complémentarités entre banques traditionnelles et Fintechs/Assurtechs qu’il convient d’explorer. Cela a d’autant plus de sens dans une perspective offrant à l’industrie bancaire française/européenne l'opportunité de rayonner au niveau international. L’enjeu n’est pas de nous opposer ni d’imaginer béatement que les startups sont exemptes de progrès ...

Si l'on considère que l'enjeu est bien de lutter face à des agressions extérieures (Alibaba, Amazon, Apple, ...) un parallèle avec l'organisation des corps d'armée semble intéressant. Les startups seraient alors les chevau-légers d'une industrie lourde financière, dotés d'une agilité qui les rend particulièrement efficaces et complémentaires des autres corps d'armée traditionnels avec lesquels ils interagissent et coopèrent pour préparer le terrain ou mener des opérations spécifiques.

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" L'empereur nous a lancés comme ses lévriers à la chasse. Nous n'avons pas eu de repos et nous nous y sommes habitués. Ayant à manger ou non, ayant à boire ou non, nous avons combattu. L'âme et le corps se sont durcis, fuir était une honte, tandis que courir et se battre, un plaisir ; et nos chevaux ont été comme du fer : une bataille suivait une autre, ils ont supporté tous les efforts". in Les mémoires de K.Szpotanski, sous-officier dans l'armée de Napoléon.

Il faut ainsi réussir à apprendre les uns des autres en prenant en compte des enjeux (notamment temporels) et des cultures différentes (parfois contradictoires si l'on ne prend que l'horizon domestique), pour construire un écosystème français capable de se mesurer aux toutes meilleures entreprises mondiales du secteur qui émergent ou vont émerger dans les domaines de la banque et de l'assurance. Les Fintech et Assurtechs sont donc perfectibles mais indispensables et doivent dans de nombreux cas conduire à interroger les modèles établis.

platform58 l'incubateur de La Banque Postale a été créé il y a un an maintenant, pour permettre l’émergence d’un terrain de « jeu » ouvert offrant l’opportunité de se côtoyer, de se challenger, de progresser et trouver le moyen de garder le meilleur des deux mondes.

C’est dans cette perspective que Cashbee, Kriptown, Leocare, Softlaw, Rendement Locatif, Unkle, Yeswehack, Hoggo, Defthedge, Manty, Libéo et Pixpay ont rejoint platform58 en 2018 et 2019.


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