Les "startups studios" constituent-ils des modèles d'avenir pour l'innovation ?

Ils s'appellent Kamet (Axa), AllTurtles (Phil Libin), Btwniz, Matters, ... et sont parfois présentés comme des modèles d'avenir pour innover "vraiment" ; positionnés entre les modèles traditionnels d'entreprenariat et les modèles d'innovation intégrée des Grands Groupes.

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Ces structures qui sont des initiatives externes indépendantes ou internes quand elles émanent de corporate, prospèrent depuis bientot dix ans et sont désormais extrèmement nombreuses.

Le modèle consiste à recruter des équipes aux profils diversifiées (designers, dev, marketeurs, ...), comportant un ou des entrepreneurs pour porter des projets qui ont été identifiés comme pouvant constituer des opportunités de création de startups. Les projets résultent d'idées internes recensées par des corporates ou des analyses de marchés révélant des besoins non ou mal couvert (fameux "pain-points").

Ces modèles ne sont de manière surprenante pas sans rappeler (comparaison ne valant pas forcément raison) ce qui se passait il y a de nombreuses années (aux XVII et XVIIIè siècles) dans deux domaines pourtant assez éloignés l'un de l'autre :

Il s'agit du domaine de l'art d'une part et de celui de la piraterie maritime de l'autre. L'enjeu de cet article sera moins d'établir une comparaison historique irréprochable que de faire émerger des éléments de reflexion quant à l'émergence de ces "nouveaux" modèles d'innovation (j'assume ici les raccourcis, et quelques simplifications).

Dans les deux cas on retrouve des caractéristiques communes avec ce qui est en train de se passer dans ces usines a projets.

1/ Pour ce qui concerne l'art, des artisans, des peintres, et artistes en général répondaient à des commandes émanants d'acteurs privés (nobles, ecclesiastiques, ..) ou publics, tous ayant la caracteristique d'être riches et bien nés. Le commanditaire peut alors déterminer le sujet (parfois lui même ce qui nous permet aujourd'hui de disposer de nombreux portraits de cette époque) de l'oeuvre à réaliser, ou parfois laisser plus de capacité créative à celui qui la réalisera.

L'artiste perd ainsi une part de son identitè les thèmes lui étant en partie imposés (thèmes religieux, historiques, liés à la mythologie). L'enjeu n'est plus de plaire (processus de d'adoption classique de l'innovation) au plus grand nombre (la vente est faite) mais au commanditaire.

Plus tard le mouvement s'accentue quand sera crée l'Academie des beaux art qui donne lieu à un art qui devient "officiel" (pas forcèment bon signe ..).

On achète alors non pas une originalité créative, mais une maitrise technique (on parle de "maîtres") c'est à dire une exceptionnelle capacité d'exécution.

Les personnes qui acceptent d'entrer dans ces studios et qui se retrouvent amenées à éxecuter des projets qui ne sont pas les leurs, ne deviennent-ils pas comme ces artistes de commande ou artistes de "cour" dépendant de la commande qui n'est plus la leur ?

2/ Dans le domaine de la piraterie deux catégories co-existent . Les flibustiers qui "travaillent" à leur compte et partagent le butin de leurs actions avec leur équipage et ne doivent rien à personne et les "corsaires" qui disposent d'une lettre de marque dispensée par un roi/monarque qui l'autorise à pourchasser, attaquer et piller des navires appartenant à des pays ennemis. Le bateau n'est parfois pas affrété par le corsaire lui meme mais par un armateur qui a affrété le bateau et apointé l'equipage.

Dans le premier le flibustier prend il prend tous les risques et en assume les bénéfices comme les risques (illégalité, partage du butin entre un faible nombre de bénéficiaires, arrestation, pendaison, ...).

Dans le second cas, les risques sont beaucoup plus mesurés. S'il est capturé par l'ennemi il est considéré comme un prisonnier de guerre. Le partage des bénéfices est opéré par l'armateur qui a de fait la main sur l'expedition.

A ce jour , s'il est pour le moment difficile de mesurer l'impact positif ou non de ces usines à projets (il n'y a pas à ma connaissance encore de Licorne qui en soit issue ni de réelle apparition significative sur un marché quel qu'il soit) qui sont somme toute assez récentes ; quelques questions se posent :

  • un entrepreneur peut-il réellement accepter de voir sa liberté d'action et d'innovation bridée par un commanditaire dont la culture n'est pas nécessairement celle de l'audace et de la prise de risque ?
  • cet entrepreneur ne trouvera t-il pas dans cette solution un arrangement plus avantageux que le risque total que représente un projet de flibuste. Les demeures cossues des Corsaires telles que celle-ci peuvent constituer un élément de réflexion.
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Source : www.bretagne35.com

  • La prise de risque (y compris financière) de l'entrepreneur (rappelons que la racine du mot entrepreneur est celle "d'aventurier") fait partie intégrante du modèle (même si elle se dilue dans le temps avec l'arrivée des BA et des VC's). Il est difficile dans ces conditions d'imaginer un entrepreneur transformé en simple salarié ou en "entrepreneur de cours", déployer les mêmes moyens pour faire émerger un projet "corporate".
  • Si l'on part du principe que c'est la (seule) capacité d'execution qui constitue souvent le principal handicap des grandes structures alors peut-être cette solution sera t-elle pertinente.

Il s'agit donc, ce qui ne surprendra personne, d'un modèle imparfait qui mérite néanmoins d'être éxploré dès lors que certaines conditions sont bien prises en compte par l'ensemble des parties prenantes.

Cela milite en effet pour :

  • associer très significativement ces corsaires modernes au capital de ces projets (mais est-ce vraiment possible ?) ou prendre des profils moins entreprenariaux mais tout simplement capable d'exécuter sans état d'âme un projet de manière pragmatique avec le risque d'un engagement moins total peut-être.
  • s'assurer de la capacité d'indépendance et d'autonomie dont dispose réellement l'entrepreneur si c'est le profil finalement retenu, pour d'une part tirer le meilleur partie de sa capacité à créer de la rupture, et d'autre part limiter le risque de les voir partir prématurément et (re)devenir des flibustiers.

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