LES GANTS DE CASSIUS CLAY

LES GANTS DE CASSIUS CLAY

Il y a une cinquantaine d’années, l’atmosphère qui régnait dans les petites villes de province au mois de décembre était très différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. Les enfants, en particulier, rêvaient de couleurs, d’odeurs et de goûts… peu importait ce que chaque famille pouvait leur offrir. Noël déterminait un changement d’attitude de chacun de nous.

À la maison, comme dans la plupart des foyers, Maman dépoussiérait les personnages bibliques nécessaires pour faire mémoire de la naissance de Jésus. Rien ne manquait. La décoration était faite chaque année avec le même papier vert et brun froissé qui simulait les montagnes, saupoudré de minuscules billes blanches pour représenter la neige qui n’a jamais vraiment existé en terre sainte. Nous allions voir d’autres crèches chez des amis ou dans des églises, parfois même nous assistions à la « messe du coq » saturée d’encens, de myrrhe et marquée par un sermon solennel en ce jour de la Nativité.   

J’attendais avec impatience mon cadeau, jalousement caché jusqu’à minuit et qui, mystérieusement, apparaissait à côté du sapin avec un sachet que ma mère remplissait avant cette date de bonbons, chocolats et biscuits 'La Universal'. Mon père, très impliqué dans des actions de solidarité, avait organisé « L’Opération Sourire » dans laquelle les enfants issus de milieux défavorisés recevaient des cadeaux et des chocolats, de sorte que tous - ou presque - aient « leur Noël ». Dans le quartier, j’ai distribué à deux ou trois potes du même âge un sac de bonbons : c’était un geste d’amitié et de camaraderie et personne ne se sentait humilié, au contraire, les larges sourires exprimaient gratitude et pardon afin d’effacer les mauvais moments passés.   

J’ai appris alors que tous les enfants ne pouvaient pas voir leurs souhaits se réaliser. Certains recevaient des cadeaux fabuleux alors que d’autres n’avaient droit à rien. Je me situais entre les deux. J’ai donc compris très tôt la règle de l’équilibre, de la justice et même de la méritocratie. Oui, la méritocratie car les adultes conditionnaient les cadeaux à la bonne conduite des enfants. Nous savions que nous devions nous tenir correctement, surtout dans la période qui précédait les fêtes.

En grandissant, nous avons su que c’était mon père qui achetait les cadeaux et non Jésus ou le père Noël, et nous avions par conséquent le droit de choisir notre cadeau. Nous avions l’habitude de visiter seuls et discrètement les boutiques de M. Galindo et de M. Ripalda qui avaient dans leurs vitrines tout ce qu’un enfant pouvait espérer. Cette année-là, je me souviens, c’était la mode de la boxe. Cassius Clay occupait nos esprits, le mien en particulier. Je désirais être plus grand et respecté grâce à la loi du plus fort. J’ai trouvé dans un rayon une paire de gants pour enfants que j’adorais. Ils étaient noirs avec des bordures grises sur le poignet et des lacets blancs. Je me suis vite rendu compte qu’ils seraient inutiles si je n’avais pas d’adversaire, mon jeune frère par exemple. Je lui en ai parlé afin de l’encourager à demander à son tour une paire de gants ; j’ai insisté en arguant que c’était une excellente idée de cadeau. Sa réponse cependant fut catégorique : « Non ». J’ai dû alors m’appliquer pour le convaincre ; à la fin, à contrecœur, il a accepté. Le 25 au matin, nous avions l’habitude d’aller chez ma grand-mère pour lui montrer nos cadeaux. On nous a proposé de faire une démonstration et nous avons commencé à simuler un combat au milieu des rires de la famille jusqu’au moment malheureux où un direct du droit a atterri sur le nez de mon petit frère qui s’est mis à pleurer. L’envie de rire s’est arrêtée là. Je ne savais pas quoi faire. Ma grand-mère est intervenue immédiatement devant l’agitation, a pris le blessé dans ses bras pour le réconforter. Elle a ensuite confisqué les gants de boxe critiquant cette idée de faire naître le germe de la violence chez les enfants. C’était Noël et ce fut le cadeau le plus fugace de ma vie. Les gants ont été récupérés l’année suivante seulement ; nous avons pu « officiellement » les tester avec un groupe d’amis et cette fois avec règlement et arbitre. Malgré tout, les coups bas ont continué...

Les années passent inexorablement… Les circonstances ne sont pas les mêmes, il est vrai, mais je continue à perpétuer en décembre cette coutume de la crèche et du sapin de Noël. Certes, d’autres personnages et d’autres idées plus cartésiennes probablement me motivent, mais avec la même ferveur et la même innocence que seule la magie de Noël rend possible.  

 

Hugo González Carrión      

Presles, 25 décembre 2021

 

 

 


 

 

André Bolloré

Network Architect at Orange

2 ans

Serai curieux d'avoir la version de Fabian 😃 Joyeuses fêtes !

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