Les idées françaises progressent mais le soupçon persiste



DÉCRYPTAGE -

Isabelle Lasserre

Le Figaro / International

14/06/2021

En novembre 2019, ses propos dans le magazine The Economist sur la «mort cérébrale » de l’Otan avaient eu l’effet d’une bombe au sein de l’Alliance atlantique. À l’époque Emmanuel Macron, qui aime renverser les tables et sortir les cadavres des placards, avait été critiqué par ses alliés. Son initiative avait secoué comme un shaker l’une des institutions les plus stables de l’ordre international post Seconde Guerre mondiale, gardée et garantie par les États-Unis.

Un an et demi plus tard, Emmanuel Macron a pourtant en grande partie obtenu gain de cause. «Il a fait avancer le curseur dans sa direction. Le secrétaire général de l’Otan a repris la main, mais en s’appuyant sur les critiques françaises», explique un haut diplomate. Un groupe d’experts a mené une réflexion prospective, un nouveau concept stratégique est attendu en 2022.

Désormais, les alliés de l’Otan se parlent de tous les sujets, même de ceux qui fâchent et qu’ils mettaient avant sous le tapis. Et ils le font, dit-on, de manière «robuste». À cet égard, la sonnette d’alarme tirée par Emmanuel Macron sur la Turquie, qui multiplie les gestes agressifs envers ses alliés de l’Otan, ne l’a pas été en vain. «Il a dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas et reconnaît aujourd’hui publiquement. De ce point de vue, le poids moyen de l’Alliance vis-à-vis de la Turquie s’est déplacé vers le point de vue français», poursuit le diplomate.

Ajoutée à l’arrivée d’une nouvelle Administration américaine moins favorable à Erdogan, l’initiative du président français a contribué à faire rentrer - un peu - la Turquie dans les rangs. Emmanuel Macron a d’ailleurs prévu une rencontre avec le président Erdogan juste avant le sommet de l’Otan. Cet apaisement avec Ankara reste cependant fragile, puisque les grands sujets de contentieux avec les Alliés, de l’achat d’une défense antimissile russe (S400) incompatible avec le système de l’Otan aux interventions turques en Libye et en Syrie en passant par le partenariat avec la Russie, qui considère l’Otan comme un ennemi, persistent.

Mais surtout, les points gagnés par la France depuis la «mort cérébrale» n’ont pas permis de régler ce que certains considèrent comme «le problème français». «L’attitude d’Emmanuel Macron donne l’impression que la France continue à avoir un pied dans l’Otan et un autre dehors, qu’il fait passer avant tout l’autonomie stratégique européenne. Certains Alliés pensent que les Français sont les seuls à regretter Donald Trump. Les signaux qui émanent de Paris restent ambigus», commente un diplomate européen. Il en veut pour preuve les propos d’Emmanuel Macron à sa conférence de presse jeudi dernier. Le président considère que «des incohérences n’ont toujours pas été levées» au sein de l’Alliance. Il demande toujours une «clarification» des buts de l’Otan et appelle à une «réorganisation stratégique» pour «poser un cadre clair des relations entre Alliés».

Le soupçon qui pèse sur la France est alimenté par le fait qu’elle ne participe plus aux opérations militaires de l’Otan, depuis les retraits du Kosovo et d’Afghanistan et la fin de la mission en Libye. Les retrouvailles entre les États-Unis et leurs alliés de l’Otan se sont d’abord faites avec Angela Merkel, qui rendra visite à Joe Biden à Washington le 15 juillet. Elles ont été plus frileuses avec la France. «L’intuition d’Emmanuel Macron est bonne et il a vraiment fait bouger les lignes. Mais il peine à utiliser l’Alliance pour faire avancer son projet de défense européenne. C’est en quelque sorte le point aveugle de la manœuvre stratégique française», analyse un diplomate proche du dossier. La classe politique française a souvent du mal à l’entendre, mais la plupart des alliés de l’Otan ne pensent pas tout à fait comme elle. Notamment sur la Russie.

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