QUAND MACRON SE PREND POUR DE GAULLE
Les récentes déclarations de président français sur sa volonté de « ne pas être suiviste » imitent la geste gaullienne sur l’indépendance française. Comme en 2019 avec sa phrase sur la « mort cérébrale » de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan), Emmanuel Macron s’attire les critiques à l’international.
De retour de Chine, et alors qu’il s’apprête à s’envoler pour Amsterdam, aux Pays-Bas, en visite d’État, Emmanuel Macron est critiqué sur la scène internationale pour avoir demandé publiquement aux Européens de ne pas se mettre systématiquement dans la roue des États-Unis, en particulier sur la question épineuse de Taïwan.
À bord de l’avion qui le ramenait de Canton (Guangzhou) à Paris, samedi 8 avril, Emmanuel Macron a, effectivement, accordé une interview au quotidien économique français les Échos et au site américain Politico parue le lendemain. Un entretien dans lequel il détaille sa vision de la diplomatie et des relations internationales, avec un concept qui lui est cher : « l’autonomie stratégique » de l’Union européenne.
Pour le président français, « le grand risque » pour le vieux continent serait « de se retrouver entraîné dans des crises qui ne sont pas les nôtres, ce qui nous empêcherait de construire notre autonomie stratégique. » « Le paradoxe », selon Emmanuel Macron, « serait que nous nous mettions à suivre la politique américaine, par une sorte de réflexe de panique. »
Et d’insister, plus précisément sur Taïwan : « La question qui nous est posée à nous Européens est la suivante : avons-nous intérêt à une accélération sur le sujet de Taïwan ? Non. La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise. »
Un message, certes diplomatique, mais pas toujours bien reçu à l’étranger qui plus est à l’heure où la Chine mène un exercice « d’encerclement total » de l’Ile.
RÉACTIONS DES ÉLUS AMÉRICAINS ET EUROPÉENS
Emmanuel Macron croyait enfiler les bottes du général De Gaulle en décochant des flèches contre les États-Unis, mais ses déclarations contre la « logique de bloc à bloc » semblent susciter la crispation de certains aux États-Unis et en Europe, où la classe politique et les autorités s’accordent à faire de la Chine, la seule puissance capable de leur disputer la suprématie mondiale, « le principal danger. »
En plus d’articles de presse outre-Atlantique qui relatent une visite complaisante à l’égard des autorités chinoises, des élus américains s’étonnent ou demandent des clarifications. C’est le cas, par exemple, de Marco Rubio, l’ancien rival de Donald Trump en 2016 au sein du parti républicain. Le sénateur de Floride s’est ainsi fendu d’une vidéo, samedi dernier, pour demander aux Européens si Emmanuel Macron parlait en leur nom, tout en moquant un revirement diplomatique après « six heures de visite ».
« Nous avons besoin de savoir si Macron parle pour Macron, ou s’il parle pour l’Europe. Nous avons besoin de le savoir rapidement, parce que la Chine est très enthousiaste à propos de ce qu’il a dit », lance notamment l’élu américain, rappelant les liens qui unissent traditionnellement Washington et Bruxelles.
En Europe, le parlementaire estonien, Marko Mihkelson, membre de la Commission des Affaires étrangères du Riigikogu riposte lui aussi : « Pourquoi, président Macron ? L’Europe devrait se tenir aux côtés des États-Unis pour équilibrer le pouvoir de la Chine », écrit-il en relayant l’article de Politico.
Toujours sur les réseaux sociaux, Garry Kasparov, opposant russe au pouvoir de Vladimir Poutine, en exil à New York, use d’un langage moins diplomatique pour fustiger la sortie du président français.
« Pathétique de la part de Macron, comme d’habitude », écrit-il, surtout aujourd’hui « alors qu’il vient de rencontrer le dictateur chinois. » Selon l’ancien champion du monde d’échecs, « l’Europe est en guerre aujourd’hui précisément parce qu’elle a essayé d’éviter de s’impliquer dans une crise, lorsque Vladimir Poutine a envahi l’Ukraine pour la première fois en 2014.»
UN ÉPISODE QUI « LAISSERA DES TRACES »
Sans aller jusqu’à ce parallèle, plusieurs observateurs et spécialistes des relations internationales, en France ou à l’étranger, estiment effectivement que les déclarations du président français sont, au mieux, malvenues. Le politiste et fondateur du think tank américain Eurasia Group, Ian Bremmer, pointe notamment la contradiction d’Emmanuel Macron à insister sur la nécessité pour l’Europe de réduire sa dépendance vis-à-vis des États-Unis, sans s’attarder sur la dépendance vis-à-vis de la Chine.
Dans cet esprit, Antoine Bondaz, spécialiste de la politique étrangère chinoise, estime que le président de la République française a commis plusieurs erreurs sur le fond et la forme.
« Au retour d’une visite d’État en Chine, Macron ne trouve rien de mieux que de critiquer les États-Unis. Ce qui conforte les doutes appuyés de nos partenaires d’une équidistance de Paris entre Washington et Pékin », analyse le chercheur de la Fondation pour la recherche stratégique dans une série de messages publiés sur Tweeter, alors que la position du chef de l’État français donne l’impression, selon lui, de faire des Américains « les seuls responsables de la tension » autour de Taïwan. Un positionnement en « totale contradiction » avec « les documents officiels français » et les « positions multilatérales » décidées, par exemple, par le G7, relève l’enseignant à Science Po.
« Au prétexte de réalisme (…) Macron ne fait qu’amener de l’incohérence et de l’ambigüité dans sa politique étrangère, fragilisant ainsi la coopération avec nos partenaires affinitaires », cingle encore Antoine Bondaz, à propos d’un épisode qui « laissera des traces » avec nos alliés. Une analyse partagée par l’eurodéputé, Raphaël Glucksmann, pour qui l’« impact » de tels propos sera « durable sur la crédibilité de la France en Europe. »
MACRON ASSUME SES PROPOS
« Être allié des États-Unis ne voulait pas pour autant dire être vassal », a déclaré Emmanuel Macron, mercredi 12 avril, lors de sa visite aux Pays-Bas, assumant pleinement des propos controversés tenus sur Taïwan.
« Ce n’est pas parce qu’on est alliés, qu’on fait des choses ensemble (…) qu’on a plus le droit de penser tout seul », a-t-il dit lors d’une conférence de presse à Amsterdam à l’issue d’un entretien avec le Premier ministre, Mark Rutte. « Et qu’on va suivre les gens qui sont les plus durs dans un pays qui est allié avec nous », a-t-il ajouté dans une allusion apparente aux responsables du Parti républicain, très offensifs sur la Chine.
Paris a par ailleurs déploré les « mots orduriers » de Donald Trump envers Emmanuel Macron après sa visite en Chine. « Macron, qui est un ami, est en train de lécher le cul de Xi Jinping », a accusé l’ancien président américain, lors d’une interview donnée à la chaîne Fox News diffusée mardi dernier. Des propos crus, à l’image des réactions suscitées par les déclarations d’Emmanuel Macron sur la question brûlante de Taïwan.
Robert Kongo, correspondant en France
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