Les JO 2024 : une alchimie d’imaginaires
Lorsque le magazine Stratégies m’a invité, au début de juillet, à réagir à la question qui allait donner lieu au numéro « Spécial #JO », la question était directe : « Les JO peuvent-ils doper l'#image de la #France ? Compte tenu du climat politique actuel, et alors que la plupart des Français se désintéressent de la flamme olympique, les JO réussiront-ils à être une vitrine pour la France ? Pour le meilleur et/ou pour le pire ? ». J’avais alors proposé un cadre de réflexion et quelques sentiments. Les #Jeux #Olympiques passés et les Jeux #Paralympiques approchant, je reprends l’intégralité de mes réponses d'alors et j’y ajoute, en italiques, des « Après coup », de nouveau quelques sentiments.
L’article publié par François Guillot immédiatement après la cérémonie d’ouverture[1] colore d’une étude plus rigoureuse que mes sentiments ces « Après coup » et invite à creuser la question initiale. A chaque lectrice ou lecteur de se laisser entraîner dans ce courant qui va continuer à irriguer le paysage.
En réponses à la question de Stratégies début juillet :
Rapprocher des imaginaires mondiaux aussi puissants que « JO » et « #Paris » mobilise, pour emprunter les mots de Lacan, du symbolique qui va être mis à l’épreuve du réel. Il s’agit de savoir comment, sur ces trois registres de l’#imaginaire, du #symbolique et du #réel, vont circuler des valeurs immatérielles. Sans oublier que « la France » est aussi une mise dans le jeu.
Les Jeux Olympiques voient-ils la valeur de leur #marque augmentée par tout le symbolique de Paris ? Le choix des sites olympiques en ville, à commencer par la parade d’ouverture sur la Seine, peut le donner à penser. Ce qu’il a fallu aux villes-hôtes précédentes de créativité spectaculaire, y compris un « saut en parachute » de la reine Elisabeth II, pour tenter d’en imprimer les mémoires de la marque peut ici être comme emporté par la somptuosité de la ville elle-même. La marque « JO » est la seule qui puisse ainsi prétendre s’approprier autant de valeur symbolique en un moment unique.
Après coup : La puissance symbolique des sites historiques, non seulement de la cérémonie d’ouverture mais aussi des épreuves (Versailles, Concorde, Tour Eiffel, Grand Palais), a écrasé même les quelques tentatives de polémique autour des épreuves sportives qui sont la raison d’être des JO. Dans les médias internationaux, les commentaires les plus durables concernent encore, plusieurs jours après la clôture des Jeux de Paris, l’enthousiasme pour le cadre au moins autant que pour les performances sportives. La puissance des images et surtout d’images rares exprime là son efficacité.
Peu de villes disposant d’un patrimoine comparable, cette édition parisienne des Jeux Olympiques restera comme un trophée dans le « tableau de chasse » du Comité international Olympique. Et un épisode saillant dans toute rétrospective à venir.
Paris va-t-elle accrocher dans son imaginaire une facette supplémentaire « JO » qui en accroisse durablement la valeur symbolique ? Plus durablement que la tenue des Jeux en 1924, largement tombée dans l’oubli avant ce moment de mémoire séculaire ? Ce qu’il reste de contributions des JO à des villes, c’est surtout le moment politique du réel, lorsqu’il a eu lieu, souvent tragique : Berlin, Munich, par exemple. On en visite encore les sites souvent surtout pour cette raison. Ou bien la tenue des Jeux Olympiques dans une capitale contribue surtout à confirmer le statut d’un Etat, sinon d’un régime, sur la scène mondiale : Pékin, par exemple. L’exclusion d’une nation des Jeux en est la confirmation inverse. Il y a donc bien apport d’une valeur, puisqu’elle peut être refusée, mais c’est bien davantage à la capitale d’un Etat, à un régime, qu’à la ville en soi.
Après coup : C’est l’imaginaire français qui est venu accrocher une facette supplémentaire à celui des JO plutôt que l‘inverse. Les références historiques, culturelles, politiques, même si elles ont parfois échappé aux spectateurs, ont situé ces JO dans une longue perspective historique de « révolutions françaises » - politiques, féministes, culturelles - bien plus qu’elles n’ont inscrit Paris, ou la France, dans une longue perspective historique de l’Olympisme, quoi qu’il en soit des performances des athlètes français.
Si certaines séquences de la cérémonie d’ouverture ont été, ici ou là, et pour diverses raisons, considérées comme audacieuses ou, pour certains, outrancières, le fait même qu’il ait été jugé nécessaire par quelques-uns de les censurer, confirme l’actualité d’idéaux universalistes attachés à l’imaginaire de la France, comme à celui de l’Olympisme. C’est à la rencontre de deux universalismes que l’on a assisté comme à une évidence : la pertinence du choix stratégique de sortir les JO des stades s’est imposée parce que les lieux avaient à raconter une épopée aux imaginaires puissants, au moins aussi puissants que celui de l'Olympisme.
Que peut-on attendre que la France apporte comme valeur à ces Jeux, ou que la France en retire pour elle-même ? C’est surtout le réel, à la fin, qui en décidera : la France comme Etat selon les conditions du déroulement des JO – les jeux eux-mêmes et tout ce qui les entoure – dans sa capitale ; la France comme nation selon les résultats obtenus par les sportifs qu’elle y présente et qui l’y représentent ; la France comme société, aussi, selon que ce qu’il sera resté de l’imaginaire « esprit olympique » y aura prévalu aux yeux du monde dans ce moment politique particulier. Quant à la France et à Paris comme économie, ce sera probablement, comme pour les Jeux Olympiques précédents ailleurs, un sujet de quelques polémiques du fait de leur coût, de quelques satisfactions du fait de leurs recettes, mais probablement rien de très durable du fait du statut même de Paris et de l’économie française sur les marchés comme dans les esprits.
Après coup : L’Etat français, au-delà même de ses actuelles incarnations individuelles, tire un incontestable bénéfice d’image de la qualité du déroulement des JO à Paris. Au point que certains observateurs, surtout étrangers, expriment leur surprise par rapport à l’habituelle réputation du pays. Que le bénéfice soit enregistré davantage hors de France est naturel, et certainement conforme à l’objectif.
Comme nation, la performance sportive des équipes engagées flatte certainement la fierté générale. La notoriété exceptionnelle de quelques sportifs exceptionnels facilite cette fierté en associant la satisfaction à des visages individuels. L’étude de François Guillot souligne l’efficacité de l’affichage de personnalités, actuelles ou historiques. L’éminence des succès d’athlètes français a écrasé la déception de quelques défaites, collectives ou individuelles, d’ailleurs souvent honorables, largement passées sous silence.
Comme société, la France et peut-être plus spécifiquement Paris, a montré une qualité de vie, aimable et hospitalière pour les étrangers, conviviale et enthousiaste pour tous, dont l’écart par rapport aux prédictions ou aux préjugés n’a pas manqué d’être relevé. Les clichés les plus imaginaires de la « belle vie parisienne » en ont été comme soudain vécus dans le réel. Là encore, l’ambiance générale créée dès l’ouverture, y compris sous la pluie, a certainement contribué à réduire la perception de quelques inconvénients inévitables du réel.
Recommandé par LinkedIn
Comme économie, tout s’est passé comme si il aurait été déplacé de parler d’argent dans ce moment rêvé. Les tentatives de polémique sur les coûts engagés, notamment pour l’assainissement de l’eau de la Seine, n’ont pas franchi le seuil de la fête.
Ces Jeux Olympiques de Paris, en France, sont en tout cas une rencontre de trois imaginaires, de trois puissances symboliques et de multiples réels à vivre. La conjonction de leurs intensités respectives, chacune sur son registre, au moment particulier où elle a lieu, devrait constituer un événement intéressant. Une « alchimie d’imaginaires » qui produira, sur chaque registre, selon ce que son « réel » sera, plus ou moins d’or, ou plus ou moins de plomb...
Après coup : L’or pur ayant une densité presque une fois et demie celle du plomb, c’est lui qui aura le plus pesé dans les perceptions du moment, quelque dimension du moment que l’on examine. Reste que le plomb – il y en a bien sûr dans l’alliage final – ne manquera pas de vouloir se manifester.
Et maintenant ?
Toutes les règles du jeu, politiques, culturelles, économiques, sociales, ont été bousculées par un moment méthodiquement construit et mêlant délibérément les quatre registres de l’imaginaire et du symbolique de la France comme Etat, comme nation et comme société, plus que comme économie à ce stade. Chacun de ces registres ne tarde pas, les JO de Paris terminés, à s’appesantir de nouveau dans ses fonctionnements propres.
Les Jeux Paralympiques vont être un test de la lutte entre la tendance « or » et la tendance « plomb » de l’alchimie. Dans chacun des registres de l’imaginaire et du symbolique, confrontés à un nouveau réel.
Le mot « parenthèse » est apparu dans certains commentaires dès avant la clôture. Pour se demander si ce moment rêvé des Jeux de Paris s’évanouirait. Le mot est partisan : si ce moment est une parenthèse, c’est que la réalité de la France comme Etat, comme nation et comme société n’est pas ce qu’on y a vécu. Que l’illusion va disparaître.
Une autre hypothèse serait que ce « moment rêvé » serait un « moment révélateur », un affleurement, dans les tumultes du réel, de ce que la France produit, comme nation et comme société, de valeur symbolique dont la portée est large et d’imaginaires partagés qui, précisément, la constituent comme nation et comme société.
Et puisque j’ai emprunté des mots à Jacques Lacan pour tenter de raisonner la situation, je me permets aussi de lui laisser le dernier mot après coup : « Sécrétez le sens avec vigueur, et vous verrez combien la vie devient plus aisée. »[2]
[2] Lacan, Jacques : « Je parle aux murs » (1972) in : Je parle aux murs, Ed. du Seuil, Paris, 2011, p. 92
Fundraising
5 moisFrance's internal political crisis, reportedly so present in the minds of its voters, means nothing or almost nothing to most outsiders, fairly or not. Its regime and national issues are not taking the country to the edge of the abyss. So unlike several recent Olympic host countries, France did not have to put on games to paper over or distract attention from delegitimizing realities. No one seriously questioned the wisdom of holding the games there on the grounds of non-democratic social and political practices. Since Paris possesses infrastructure and monumental landscapes suited to big events, the games did not represent the kind of spending extravaganza that has raised questions of inequity and corruption in other countries. Its status as a widely-acknowledged "universal city," attracting people from around the world for centuries, was attuned to the universal nature of the Olympics. So this year's Olympics gave the impression of floating and flying, like the Olympic "torch" in the Tuileries. Not permanent reality but a convincing passing vision.
Barde et scribe du IIIe millénaire / Multiclassé
5 moisUne parenthèse n'est pas une illusion, mais un moment suspendu : des vacances dans un cadre dépaysant sont bien réelles, mais elles ne ressemblent pas au quotidien. C'est toute la différence entre les amours de vacances et les amours permanentes.