Les mots confisqués par les IA
Autodafé ou renouveau des connaissances

Les mots confisqués par les IA

La connaissance a très vite été considérée comme ayant une grande valeur, une source précieuse de pouvoir. Partout dans le monde, les religieux et leurs représentants de l’Egypte aux Incas, des chamans Indiens aux clercs de Rome vont monopoliser les connaissances et en limiter, en canaliser la diffusion par toutes sortes de procédés, y compris par l’utilisation de cryptographies sommaires. Un comptable du moyen âge pouvait être brûlé vif s’il faisait état de ses savoirs sans autorisation. C’est là sans doute que se trouvent les fondements de la création d’une franc-maçonnerie farouchement laïque. Une résistance souterraine des corps de métiers face à l’inquisition qui mettait sous embargo toutes sciences ou savoirs susceptibles de gêner un empire très catholique. La dictature des « mollahs » de l’époque valait bien celle que subissent certains pays fondamentalistes traquant les connaissances dissidentes. Des moines érudits en firent les frais, éliminés ou brûlés eux aussi, comme Giordano Bruni[1], pour avoir mis en doute les affirmations pseudo scientifiques des saintes écritures. Ils eurent moins de chance que Galilée qui, face à la sainte inquisition, dut son salut à la protection du Pape. Il faudra l’avènement de l’empire romain et la généralisation du latin comme langue des érudits pour créer ce qui sera la première des communautés européennes des savoirs. La connaissance du latin était la condition indispensable pour suivre des cours ou s’insérer dans la vie intellectuelle de l’époque comme le sera des siècles plus tard la connaissance de l’anglais. La création de l’ordre des bénédictins par Saint Benoît sera à l’origine d’une vocation pour la reproduction des écrits sacrés et constituera le fondement de la création des bibliothèques chrétiennes. Ces copistes et leurs monastères étaient mieux connus que les auteurs qui restaient le plus souvent anonymes et les emprunts entre ouvrages rarement signalés[2]. Il faut dire qu’à l’époque certains écrits pouvaient entraîner de sérieux problèmes à leurs auteurs qui, prudemment, attendaient la réaction des corps constitués de l’époque (clergé et confréries confessionnelles ou professionnelles) avant que de se faire connaître. Mais les progrès de l’écriture faute d’être normalisée restaient très lents. Une seconde révolution aura lieu sous la houlette de Charlemagne. Ce dernier fit venir à Aix La Chapelle, un moine anglais du nom d’Alcuin rencontré en Italie en 781. Alcuin, en venant à Aix la Chapelle, entreprit de normaliser la calligraphie en introduisant ce que nous appelons improprement les « caractères romains » à savoir les minuscules carolingiennes un moment concurrente des caractères gothiques. Gutenberg utilisera d’ailleurs les caractères carolingiens plus faciles à fabriquer et plus lisibles car, autre innovation de l’époque, on inventera l’usage de l’espace entre les mots. Ce qui facilitera la lecture à haute voix des textes sacrés ou de poésies.

L’imprimerie va faciliter progressivement la constitution des bibliothèques et la diffusion des savoirs. La mémoire se couche sur du papier. Ce qui va permettre des échanges de connaissances entre les différentes communautés des savants dans le monde. La Chine de Marco Polo, plus tard le Japon et d’autres contrées, vont échanger des informations capitales pour faire évoluer leurs procédés de fabrication du papier, de la poudre, des feux d’artifice, des architectures militaires, des modes de construction des bateaux. Des connaissances économiques et techniques nouvelles comme le rôle du papier monnaie utilisé en Mongolie dès les années 1260, l’utilisation des bois pour les travaux de marqueterie. De fait l’imprimerie sera l’occasion pour les savoirs de sortir du domaine des arts sacrés pour les arts profanes. Les cartes à jouer, les cartes de navigation et les voies de commerce mais aussi les dessins que nous appelons « estampes japonaises » vont se mettre à circuler.

 Les civilisations orales auront été les grandes perdantes de cette évolution. Le monde musulman interdira l’imprimerie durant pratiquement deux siècles provoquant sans doute sa mise à l’écart des grands courants scientifiques et le retard du développement de son instruction publique[3]. Les communautés de copistes perdent l’avantage du livre manuscrit au bénéfice de l’imprimerie en plein essor dans les années 1500 (Gutenberg 1394/1468). Un succès tel que François 1er publie, sous la pression de la confrérie des copistes, une interdiction d’imprimer à Paris heureusement sans suite. Un réflexe que nous retrouverons des siècles plus tard chez les éditeurs désorientés par l’irruption des livres numériques et qui tenteront de limiter ou de canaliser la distribution électronique.

Cette standardisation du livre en favorisera la commercialisation et surtout facilitera la constitution d’importants fonds universitaires qui deviennent les lieux de l’accumulation des savoirs. On pouvait accéder plus facilement à la connaissance, encore fallait il savoir lire, écrire et parler latin, possibilité réservé d’abord aux clercs qui se gardaient de dilapider cet avantage vis-à-vis de leurs contemporains. Le latin a disparu. Nos bibliothèques en danger. Nos érudits obsolètes. Je pronostique la fin des clercs et l'annonce des batailles féroces qui se préparent entre les corps sociaux mais aussi entre les corps professionnels dans les applications de l'Intelligence Artificielle? Malheur aux pays, aux sociétés qui n'y accèderont pas!


[1] Giordano Bruni (1548-1600) Dominicain d’une grande érudition (il enseignera à la Sorbonne en 1576) développait des thèses d’un univers infini. Sa pensée plus complète et plus vaste que ne l’osa Galilée a fait l’objet d’un ouvrage « L’univers de l’infini et des mondes » qui lui valut l’ire de l’inquisition incapable de comprendre la modernité de sa pensée. Il sera brûlé à Rome, après avoir été torturé, sur la place Campo dei Fiori en 1600.

[2] Voir le magnifique livre de Daniel Boorstin, Les Découvreurs, Edité Par Robert Laffont (1992) dans la collection Bouquins.

[3] Bonaparte lancera, lors de sa campagne d’Egypte, son « Institut d’Egypte » qui malgré des éditions scientifiques considérables sur les maladies, les mouvements des crues, les aqueducs etc., n’arrivera pas à vaincre la répugnance des musulmans envers l’imprimerie. En 1849, les mollahs empêchaient encore l’impression et l’édition du Coran. La première version attendra sa sortie officielle en 1925 en Egypte.

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