Les puces électroniques : enjeux géopolitiques et financiers
Les puces, puces électroniques, micro-puces, puces semi-conductrices ou encore les semi-conducteurs : voici les termes autour desquels notre article gravitera aujourd’hui. Avant toutes autres considérations, un travail de définition s’impose, étant donné le flou qui entoure souvent ces éléments électroniques, pourtant au cœur de nombreuses technologies.
Les puces semi-conductrices sont cruciales pour de nombreux produits numériques courants, allant des smartphones et ordinateurs aux appareils électroménagers, équipements médicaux, systèmes de communication, sources d'énergie et technologies d'automatisation industrielle. Les semi-conducteurs sont des matériaux qui se situent entre un conducteur et un isolant : ils gèrent et contrôlent le flux de courant dans l’électronique. Ils sont souvent fabriqués à partir de matières premières comme le silicium, le germanium, l’arséniure de gallium ou encore le carbure de silicium.
Dans cet article, nous explorerons les multiples facettes de ces semi-conducteurs. Nous analyserons leur place dans l’échiquier géopolitique en tant qu'élément constitutif de souveraineté et catalyseur de tensions. Nous examinerons ensuite leur impact sur les marchés financiers et nous discuterons enfin des enjeux futurs les concernant.
I. Enjeu de souveraineté et catalyseur de tensions
Nos vies et notre confort dépendent de ces puces et c’est pourquoi il n’est pas exagéré de les considérer comme la technologie la plus importante du monde. La géopolitique des puces est née dans les années 1970s-1980s et coïncide évidemment avec le développement des nouvelles technologies, voire la fin des Trente Glorieuses en ce qui concerne la France.
Si l’on veut quantifier la puissance que confère la production de semi-conducteurs à un pays, Taïwan est l’exemple à mobiliser. Dans les années 1980, ce pays insulaire s'est spécialisé uniquement dans la fabrication de semi-conducteurs, les vendant directement plutôt que de les intégrer dans d'autres produits (comme pouvaient le faire certaines entreprises comme Toshiba au Japon).
A cette époque, Taïwan fait émerger un champion des semi-conducteurs : TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company), aujourd’hui leader du marché. En effet, la firme devient très rapidement le plus grand fabricant de micropuces au monde. TSMC contrôlerait aujourd’hui plus de la moitié de la production mondiale de puces utilisées dans tous les domaines, des smartphones aux missiles !
L’avantage acquis par les pays asiatiques était tel que les entreprises américaines de l’époque (IBM, Intel…) ont abandonné la production pour se concentrer dans l’incorporation de ces puces dans leurs produits. L’Europe subit également une vague de délocalisation à cette époque, actant définitivement la mise en place du jeu de mondialisation et créant une nette dépendance de l’Occident envers les pays asiatiques.
“Nous devons coordonner les investissements de l’UE et des États membres sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Il ne s’agit pas seulement de notre compétitivité. L’enjeu est aussi notre souveraineté technologique.”
Ursula von der Leyen,
Présidente de la Commission européenne, discours sur l’état de l’Union 2021
Aujourd’hui, avec la montée en puissance de la Chine et à l’heure des discours de réindustrialisation, la reconquête de parts de marché pour les États-Unis et l’Europe est devenue une priorité. L’administration Biden a agi dans ce sens par de nombreuses mesures protectionnistes à l’encontre des GAFAMs chinoises mais également en subventionnant massivement la production de semi-conducteurs sur le territoire américain (ouverture d’une fonderie en Arizona, impulsée par un investissement de 40 milliards de dollars de TSMC).
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Au-delà de ces plans de financement et de ces mesures protectionnistes, on parle même de “guerre des puces” tant l’arme économique est largement mobilisée par les deux camps. La Chine a limité l’exportation vers les États-Unis de deux métaux rares essentiels dans la production de puces électroniques, le gallium et le germanium. Ces mesures ont été prises par la Chine en réponse aux mesures instaurées par le gouvernement américain qui ont contribué à durcir les conditions d'exportations des puces IA les plus avancées vers la Chine.
Comme cela transparaît dans les mots de la présidente de la Commission européenne, l’Europe tente également de reconquérir sa souveraineté technologique. De nombreux efforts ont été consentis dans le domaine énergétique avec la crise ukrainienne mais cela s’applique aussi à l'industrie des semi-conducteurs. L’UE vise à jouer un rôle de premier plan dans la conception et la fabrication de la prochaine génération de micropuces: des nœuds de 2 nanomètres et en-deçà.
Un plan d’investissements publics et privés supérieurs à 15 milliards d’euros a été annoncé et devrait notamment comprendre un soutien aux start-ups, entreprises en expansion et PME innovantes dans l’accès au financement en fonds propres.
II. Que se cache-t-il derrière la capitalisation boursière de NVIDIA, Arm, Apple ou Tesla ? On vous met la puce à l’oreille…
Le développement à vitesse grand V de l’intelligence artificielle a initié une grande mutation sur le marché des semi-conducteurs. La firme taïwanaise TSMC ne règne désormais plus seule, elle partage les premiers rôles avec la nouvelle venue sur le marché : NVIDIA.
NVIDIA s’est spécialisée dans la production de puces alimentant les systèmes d’intelligence artificielle générative. La croissance exceptionnelle de son action a donc évidemment été impulsée par le développement de nombreuses technologies liées à l’IA dans de nombreux secteurs. Sa grande capitalisation boursière tient donc au fait que l’on projette une dépendance accrue pour de nombreuses entreprises envers les puces qu’elle fournit. En un an, le cours de l’action NVIDIA a augmenté de 170% et l’entreprise se positionne actuellement en huitième position des plus grosses capitalisations boursières du monde.
D’autres entreprises se sont fait un nom très rapidement, en faisant certes moins de bruit que NVIDIA. L’entreprise Arm s’est installée comme la figure de proue de ce nouveau groupe d’acteurs avec son entrée en bourse remarquée en septembre dernier. A l’instar de NVIDIA, le britannique ARM s’est aussi positionné sur le marché des puces en fournissant le design d’une grande partie des puces électroniques du monde entier. Les technologies d’Arm se trouveraient dans plus de deux tiers des appareils connectés du monde, ce qui peut expliquer que le cours de l’action ait déjà fait +5% depuis septembre.
Vous l’aurez également compris, le modèle économique des nombreuses entreprises technologiques est aussi voué à dépendre de plus en plus de l’IA et donc des puces nécessaires à son implémentation. A l’avenir, tout porte à croire que le marché des semi-conducteurs (et des matières premières nécessaires à leur production) impactera davantage le cours de bourse des entreprises du NASDAQ de manière générale.
III. La place des puces dans la mutation énergétique de notre monde
Les puces électroniques seront non seulement à l’origine des mutations de nombreuses industries mais elles seront aussi une variable indispensable à la transformation de notre mode de consommation énergétique. Elles seront la pierre angulaire d’une véritable transition énergétique.
Les puces pourront par exemple améliorer l’efficacité et la durée de vie des panneaux solaires ou encore donner aux voitures électriques une autonomie suffisante pour permettre une démocratisation et une distribution à grande échelle. Certains spécialistes pointent néanmoins un paradoxe : devons-nous intensifier la production énergivore et polluante de puces pour impulser la transition énergétique ?
Quoiqu’il en soit, les investisseurs doivent garder un œil avisé sur le marché des semi-conducteurs. Les pénuries annoncées pourraient impacter significativement les marchés financiers. La résonance d’une pénurie de semi-conducteurs a déjà pu être mesurée lors du COVID-19, époque durant laquelle l’industrie automobile avait été presque immobilisée faute de puces pour produire à un rythme soutenu. Certains experts pensent même que les pénuries éventuelles à venir pourraient se faire vecteur de l'éclatement d'une bulle spéculative liée à l'intelligence artificielle.