Les révélations
Lors de ses observations au Mont Raël, Atui était particulièrement attentif aux grands orages de la fin de la saison sèche: ces éclairs qui fendaient le ciel et qui frappaient les étendues de paille qui s’embrasaient immédiatement, en générant de grands feux poussés loin par des vents sauvages, jusqu’à ce que les nuages libèrent des trombes d’eau qui révélaient un temps la peau noire de Géa. Après chacun de ces épisodes mystérieux et impressionnants de puissance destructrice Atui se rendait sur place, régulièrement, pendant plusieurs semaines… Il voyait naître des pousses d’un vert brillant superbe, qui bientôt couvraient intégralement la peau de Géa d’un nouvel habit vibrant. Il attirait toute sorte d’insectes et d’espèces nouvelles qui s’accouplaient et se régalaient dans ces endroits touchés par la grâce.
Ce feu qui faisait si peur aux Iwas, lui prêtant tant de maléfices et de malheurs, Atui l’observait de loin, mais il s’en approchait aussi de très près. Il comprenait comment il vivait, comment il bougeait, comment il changeait. Il comprenait ce qui le dominait, la terre et l’eau, qu’il n’arrivait pas à franchir, ou qui le faisaient taire, comme les grandes pluies. Il comprenait que le feu purifiait la terre qui en sortait rajeunie, pleine d’une nouvelle vie foisonnante.
Depuis le Mont Raël, Atui observait aussi à l’est les Akis dans leurs travaux titanesques. Ils utilisaient toute leur force et leurs savoirs pour détourner des rivières et abattre des forêts entières d’arbres sans âge. Pendant des mois, ce n’étaient que plaies et cicatrices sur le corps de Théa leur mère nourricière. Mais Atui contemplait petit à petit l’impact des transformations de Théa: une vie nouvelle s’animait! Plus luxuriante, plus lumineuse, plus vibrante!
A l’ouest, les Ovés redessinaient leur terre, celle dont personne ne voulait, trop aride ou trop exubérante: la Terre Sans Nom. Petit à petit des taches de couleurs se distinguaient: d’abord quelques-unes, disséminées, puis de plus en plus nombreuses. Certaines se développaient énormément, d’autres disparaissaient, certaines se liaient pour composer une nouvelle vision. En quelques saisons c’est tout le paysage de la Terre Sans Nom qui en fut bouleversé. Là où les Ovés s’étaient appliqués à la modeler, il y avait germé des plantes et une vie inattendue, nouvelle. Et le plus extraordinaire, c’est que ces initiatives individuelles en se regroupant ou en s’associant avaient généré un tout cohérent jamais vu jusqu’alors. Les Ovés avaient engendré Wàlàgà !
Dans cette période, lors d’une cérémonie des douze lunes, Jonah, qui avait reçu la parole sacrée de Géa, la restituait avec déférence à tous les Iwas en attente de révélations. Atui espérait avec impatience entendre parler du Grand Bouleversement. Mais il n’en fut rien, ou presque…
Jonah parla des Akis et des Ovés, de leur perte de contrôle et de lucidité sur la base de murmures.
Des murmures, le Cosmos en générait depuis les temps les plus anciens. Géa avait sélectionné le chant céleste idéal pour être ainsi qu’elle était, l’équilibre parfait dans tous les murmures. Géa avait décidé de ne pas écouter sa sœur Théa, trop ambitieuse, ni surtout les jérémiades de son frère nouveau-né Wàlàgà, plein de vie mais qui ne savait pas encore s’exprimer, ni ce qu’il voulait.
Jonah savait donc! Elle savait plus que les membres du Cercle qui, comme tous les Iwas, écoutaient religieusement ou stoïquement la parole divine. Tempérance, détachement et raison était dans l’Un, et ainsi devaient être et rester les Iwas. Erdo ne bronchait pas, ni Fili… Et ainsi devait rester Atui…
Episode suivant: Dralla sortie du feu