Les services financiers numériques: socle de l'inclusion financière en Afrique de l'ouest.
Il y’a de cela deux décennies, personne n’aurait imaginé qu’il était possible d’avoir de l’argent sur son téléphone portable, payer ses factures d’eau ou d’électricité , ou encore régler une facture d’achat avec son cellulaire. Ceci constituait un véritable mythe pour la population et certaines l’imaginaient quasiment impossible. Aujourd’hui, les technologies numériques ont rendu possible cette donne, ce qui a permis à toute l’humanité de se plonger dans une ère digitale. Toutes nos interactions passent désormais par des canaux virtuels, ce qui modifie considérablement nos activités. Pas mal de domaines ont subi l’implication des nouvelles technologies ce qui fait que le secteur financier n’est pas laissé en rade. Dans un passé très récent, on a tous vu naitre une nouvelle activité dans l’atmosphère financière : il s’agit des services financiers numériques.
Pour son fonctionnement, cette nouvelle tendance dans ce secteur traditionnel (secteur bancaire et financier) s’appuie sur des supports technologiques ainsi que sur la monnaie électronique. Ainsi, dans un rapport du Groupe Consultatif d’assistance aux Pauvres (GCAP) sur la régulation des services financiers digitaux rédigé entre février et juillet 2016, il a été mentionné que la notion de services financiers numériques n’a pas de définition commune et largement reconnue. Mais, dans plusieurs cas de figure, le concept sert à désigner la prestation de services financiers par voie de communication numérique (habituellement par la téléphonie mobile, cartes ou internet), avec un usage limité de l’infrastructure bancaire traditionnelle. Dès lors, on peut appréhender que ces services consistent à offrir à travers l’utilisation de supports numériques, des possibilités de transactions bancaires à des personnes qui n'ont généralement pas accès aux opérations des banques et établissements financiers, ce qui constitue sans doute un enjeu pharamineux pour l’humanité.
L’Afrique de l’ouest a si tôt saisi l’importance d’une telle innovation dans le cadre de l’inclusion financière. C’est ainsi que les acteurs de cet écosystème ont pris très au sérieux cette activité depuis le début, même si des défis importants restent à relever.
L’Afrique : le berceau des services financiers numériques...
Dans un contexte fortement marqué par les technologies numériques, une mutation multisectorielle sévit un partout dans le monde. La transformation digitale constitue ainsi la nouvelle tendance des domaines d’activités, y compris celui de la finance. Compte tenu des réalités actuelles et d’une forte demande sociale issue de la clientèle, les acteurs traditionnels du secteur bancaire et financier commencent à améliorer leurs activités en proposant de nouvelles offres et services adaptés aux besoins de la population. En ce sens, de nouveaux mécanismes de digitalisation des services financiers voient le jour. C’est l’exemple du Mobile Money, une innovation née bien de chez nous.
Face à une population à faible niveau de revenus, sous bancarisée ou mal desservie, une nouvelle opportunité s’est présentée en Afrique : le Mobile Money. Il s’agit d’un partenariat entre les banques et les opérateurs de téléphonies mobiles où le client ne dispose pas de compte bancaire mais plutôt un compte de monnaie électronique. Pour rappel, cette innovation a été lancée pour la première fois en 2007 au Kenya. Il était l’œuvre de l’opérateur Safaricom, une filiale du groupe britannique de télécommunication Vodafone. Ce partenariat a généré le M-Pesa, premier service financier numérique en Afrique.
A l’origine, ce service était destiné à faciliter le remboursement de microcrédits de Faulu Kenya, une institution de microfinance. Les bénéficiaires devraient s’appuyer sur les services de l’opérateur Safaricom pour s’acquitter de leur engagement vis-à-vis de l’institution. Ainsi, compte tenu d’un franc succès de ce partenariat, les clients ont vite saisi les opportunités de cette innovation en effectuant des opérations qui n’ont pas été prévues au départ tel que le paiement des biens et services ou encore l’envoi et le retrait d’argent. Ce succès spectaculaire du Kenya a vite inspiré les autres états africains, ce qui fait que le modèle s’est vite reproduit un peu partout dans le continent, notamment en Afrique de l’ouest.
Les services financiers numériques : un pilier fondamental pour lutter contre l’exclusion financière...
Depuis très longtemps, le circuit bancaire n’était réservé qu’à une couche sociale bien déterminée de la population. L’accès aux opérations bancaires était inaccessible, voire même impossible pour certaines populations. Cette situation avait fini par instaurer une fracture numérique et financière entre les personnes non bancarisées et celles qui avaient intégralement accès aux services financiers. Pour certains, la banque était un luxe spécialement dédié aux personnes à revenu élevé, ce qui fait qu’elles étaient dans une situation d’exclusion financière. Par exemple, le monde rural a longtemps était écarté des infrastructures bancaires, occasionnant ainsi une marginalisation de sa population. Il en était de même pour les personnes pauvres, les personnes mal desservies ou encore les femmes qui éprouvaient d’énormes difficultés pour accéder aux services financiers. Aujourd’hui, avec le développement exponentiel des technologies numériques adossé à un taux de pénétration signifiant de la téléphonie mobile, cette tendance s’est vite renversée, constituant alors un vieux souvenir pour la population. Ainsi, la technologie a joué un rôle crucial dans ce processus d’inclusion financière. Avec l’importation massive de supports électroniques (téléphones, TPE, applications), l’Afrique est devenue un véritable hub du digital. Selon André Grissonnanche, expert de la Sécurité des Systèmes d’information, des transactions électroniques sécurisées et des systèmes électroniques de paiement, « l’Afrique a connu un incroyable développement du téléphone mobile au cours des dernières années. On compte aujourd’hui 850 millions de téléphones mobiles en Afrique, soit un taux de pénétration de 50% de la population. Le nombre de téléphones mobiles peut même parfois être supérieur à celui de la population. À titre d’exemple, il y a au Sénégal 1,2 téléphone mobile par habitant ».
Toutefois, si l’Afrique de l’ouest a réussi le pari de digitalisation des services financiers, elle le doit en grande partie à la téléphonie mobile. Ce support qui ne se limitait qu’à un usage très restreint (émettre et recevoir des appels) est vite devenu un outil multifonctionnel, surtout dans les activités financières. Les services financiers numériques ont permis ainsi aux personnes jusque-là non bancarisées d’accéder aux services financiers formels grâce à l’utilisation de canaux numériques. Avec une très grande accessibilité et une facilité d’utilisation, les nouvelles plateformes de services financiers proposent au public un large choix de gamme de produits et d’offres à distance en s’appuyant sur les technologies déjà existantes, ce qui reste toujours bénéfique pour toutes les couches sociales. L’avantage de cette finance digitale est qu’elle offre à la population financièrement exclus des solutions alternatives aux opérations bancaires à moindre cout. Ainsi, dans son allocution d’ouverture lors du forum de haut niveau sur les innovations technologiques au service de l’inclusion financière tenu à Dakar le 27 Novembre 2018, M. Tiémoko Meyliet Koné soutenait que « le développement accéléré des produits de la finance digitale favorisé par la révolution du numérique intervenue au cours des derniers années, a généré des retombées significatives dans les pays en développement tout en consolidant la dynamique d’inclusion financière. Les innovations, en particulier l’adoption de la téléphonie mobile et des smartphones ont facilité l’élargissement de l’accès aux services financiers aux entreprises et aux populations jusque-là difficiles à atteindre ». Ces propos peuvent être soutenus par plusieurs exemples de réussite des services financiers numériques dans le cadre de l’inclusion financière, surtout en Afrique de l’ouest car les avantages de ses services sont très vastes, et parfois même incommensurables. Aujourd’hui, avec les services financiers digitaux, les utilisateurs parviennent en un temps record de stocker ou encore de transférer des fonds via la téléphonie mobile, ce qui permet à ces derniers d’améliorer le potentiel de leurs revenus et de lutter contre la pauvreté et l’exclusion financière. Ils permettent aussi d’anticiper sur les risques financiers en facilitant la collecte d’argent auprès des amis, proches ou parents, à un cout très réduit, ce qui constitue un avantage majeur pour l’inclusion financière. D’ailleurs, l’Afrique de l’ouest a réalisé des exploits significatifs dans la stratégie d’inclusion financière car se fiant aux propos de Gisèle Ndoye lors de la deuxième semaine dédiée à cette activité en novembre 2019, la zone UEMOA a dépassé le taux de 57%, ce qui est rassurant du fait que la courbe est ascendante.
Toutefois, des défis restent à relever dans le secteur des services financiers digitaux…
L’importance des services financiers numériques dans la consolidation de l’inclusion financière n’est plus à démontrer. Partout à travers le monde , ces services ont permis à toutes les couches sociales de retrouver une place importante dans le circuit financier longtemps réservé à une catégorie de personne bien déterminée. En Afrique de l’ouest, l’implication des technologies numériques dans le secteur de la finance a réduit considérablement la pauvreté, surtout dans certaines zones ou l’accès aux infrastructures bancaires étaient difficile. Toutefois, nonobstant l’importance de ce secteur à l’heure actuelle, des défis majeurs restent à relever. En effet, parmi tous les acteurs de l’écosystème des services financiers numériques, le consommateur reste le plus important du fait qu’il représente le destinataire final. Compte tenu de sa position, beaucoup de risques peuvent peser sur lui et sur ses données personnelles. En ce sens, le renforcement des mécanismes juridiques et techniques de protection du consommateur devient une urgence. Pour rappel, pour la majeure partie des transactions qu’il effectue, le client est appelé à fournir certaines informations qui peuvent être dès fois confidentielles. Même si cela entre dans un cadre bien précis (la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme), il s’avère nécessaire de renforcer la vigilance sur les données collectées, surtout le respect du principe de la finalité.
Dans des activités aussi stratégiques que les services financiers numériques, la notion de confiance joue un rôle crucial du fait qu’elle permet de retenir la clientèle. Dans cette activité, la confidentialité des données personnelles et la protection des consommateurs est tout temps remise en cause. Cette situation s’explique du fait que la majeure partie des données sont collectées et traitées de manière passive et automatique, c’est-à-dire sans que le consommateur ne s’en rende compte. Les données peuvent ainsi transiter entre prestataires sans une autorisation préalable de la personne concernée. Ces actions sont illégales et peuvent amoindrir la confiance entre les prestataires de services financiers et les consommateurs, surtout lorsque certaines opérations sont suspectes ou encore certaines irrégularités s’opèrent sur le compte du client sans que ce dernier effectue une quelconque transaction. Ainsi, ces entraves peuvent souvent être source d’échec ou d’anéantissement, surtout dans un secteur qui est appelé à évoluer perpétuellement.
L’autre défi important à relever dans ce secteur reste, entre autres, l’interopérabilité des plateformes de service financier numérique. Aujourd’hui, si le développement de ces services connait un ralentissement dans certaines zones, c’est parce qu’il est difficile de rendre interopérables certaines plateformes. Pour la plupart des cas, on observe dans ces zones la présence de peux de services, ce qui peut être une source de blocage des activités. Actuellement, il est clair que l’exclusion financière de certaines populations est occasionnée par cette absence d’interopérabilité des services financiers numériques. A titre de définition, l’interopérabilité peut être appréhendée comme « la capacité de l'utilisateur d'un compte ou d'un portefeuille géré par un prestataire, de recevoir ou d'effectuer des transferts vers le compte ou portefeuille d'un utilisateur géré par un autre prestataire. On peut aussi décrire l'interopérabilité au niveau de l'agent, quand un client d'un prestataire peut effectuer des transactions auprès de l'agent d'un autre prestataire[1] ». Ce mécanisme permet ainsi de soutenir un écosystème de paiement inclusif car l’utilisateur pourra effectuer des opérations avec le prestataire de son choix ou entre prestataires. Ainsi, le problème d’interopérabilité entre les systèmes de paiements, les cartes ou encore les portes monnaies électroniques constitue une contrainte de taille pour l’inclusion financière. Même si que des projets importants allant dans ce sens sont en cours dans l’espace communautaire, l’atmosphère des services financiers numériques n’a pas encore connu l’effectivité de l’interopérabilité des plateformes. Toutefois, des efforts considérables sont en train d’être menés par des Fintechs telles que Paydunya ou encore Touch. Dans une démarche participative, ces agrégateurs dans le secteur financier ont aussi eu l’idée de promouvoir l’interopérabilité, ce qui constitue d’ailleurs un pas important dans la promotion de l’inclusion financière en Afrique de l’ouest
ASSANE SY
Cyberjuriste-Consultant, Spécialiste en protection des données personnelles
Mail : sy1assane2018@gmail.com.
[1] IFC, Gestion des risques et services financiers numériques, page 23
Project Manager at Malitel
11 moisTrès belle contribution!Merci pour le partage!
Journalism- Digital Communication- Press relations
4 ansArticle très riche Assane Sy.
Gender Specialist|Human Rights Defender|Social Worker|Emerging Leader|PhD Candidate | Community Manager | Juriste | Data Legal Privacy Junior
4 ansEn effet il est indéniable l'apport des SFN dans l'inclusion financière en Afrique que ce soit à l'Ouest ou au Centre. Cet système a justement boosté d'une certaine manière le taux de bancarisation obligeant dans une certaine mesure les banques a s'adapter a ce nouveau mode de fonctionnement. Avec l'arrivée de la finance décentralisée ou des cryptoactifs qui font une irruption fort considérable en Afrique, il faut dire que le processus sera encore plus intéressant. Maintenant comment gérer et sécuriser les données a caractère personnel dans le milieu bancaire? Comment protéger efficacement les consommateurs? Dès questionnements qui reviennent en permanence ! Merci pour le partage !