L'Intelligence Artificielle : les machines rêvent-elles ?
J'assistais il y a quelques semaines à un petit déjeuner consacré à l'intelligence artificielle (Watson d'IBM, HelloJam, ...). La salle était pleine (univers de l'industrie mais également du service avec des représentants de banques notamment) et on sent bien que c'est une des sujets du moment dans les entreprises. L'auditoire était majoritairement composé de quadras et de quinquas et le gros sous-jaçent était : l'intelligence artificielle va t-elle faire disparaître tous les jobs et si oui à quelle échéance (sous entendu aurais-je eu le temps de partir en retraite).
Manifestement "les machines" progressent et deviennent capables de faire des choses jusqu'alors impossibles (suggérer des résultats compilant des données comportementales, gagner au jeu de go, ...). Mais ce qui est assez marquant dans le discours tenu par les différents intervenants c'est l'omniprésence des questions relatives à l'automatisation des tâches (répondre à un mail, faire un diagnostic médical, ...).
Or, pour le coup les taches automatisables me semblent aux antipodes de ce que l'on pourrait qualifier d'intelligence (ce qui n'exclut pas qu'il en faille pour y parvenir et que le potentiel soit très au delà de ce que décrivent aujourd'hui ces acteurs).
Ainsi au cours de l'histoire du monde l'homme a déjà inventé des outils de plus en plus perfectionnés dont l'objectif a été de lui rendre la vie, plus douce, moins pénible, plus riche tant du point des vue des loisirs que du point de vue économique (les tracteurs, les robots en entreprise, les ordinateurs, ....).
L'industrie a d'ailleurs déjà connu au cours des dernières décennies une vague massive de robotisation et les chaines sont aujourd'hui assez différentes de ce qu'elles étaient il y à trente ans. Pour autant les ouvriers n'ont pas disparu. "En décembre, la revue Savoir/Agir (éditions du Croquant) titrait : « De la classe ouvrière aux classes populaires ». « La notion de classe populaire, qui rassemble ouvriers et employés, permet de prendre en compte un double mouvement, explique Cédric Lomba, chargé de recherche au CNRS. D’un côté, le travail des employés s’est industrialisé, standardisé. Et à l’inverse, une partie des ouvriers réalise des tâches éloignées du monde manuel. Dans la sidérurgie par exemple, les opérateurs de production interviennent assez peu sur le produit et contrôlent un processus informatique. »" Source Le Monde
Ce qui est en train d'arriver aujourd'hui c'est une extension du domaine de la lutte des hommes aux machines qui se répand au tertiaire alors qu'il avait été l'apanage de l'agriculture et de l'industrie lors des précédentes révolutions industrielles. Les employés du tertiaire vont vraisemblablement voir leurs activités automatisées par des robots utilisant notamment mais pas seulement de l'intelligence artificielle.
Elles ne le seront peut-être pas en totalité (et il convient de bien distinguer ce qui est probable de ce qui relève du storytelling de celles et ceux qui ont un vif intérêt à voir l'AI se transformer en un gigantesque et juteux business) mais elles le seront pour beaucoup à n'en point douter et de manière massive dans certains domaines.
Nous vivons donc une situation assez paradoxale :
- L'homme est imparfait et cherche à créer au travers des machines cet homme parfait qu'il n'est pas. Mais au fur et à mesure de la montée en puissance de l'AI il y aura, comme il y a des erreurs humaines, des erreurs robotiennes (le fameux "bug", l’interprétation partielle d'informations reçues et difficiles à hiérarchiser). Serons nous capables de l'accepter plus ou moins qu'aujourd'hui ? En tout état de cause penser que l'humain est le rempart universel à l'erreur, à l’aberration et à l'abject c'est avoir la mémoire courte (Tchernobyl, Hitler, ....).
- D'autre part alors qu'il y a beaucoup de rêves (ou de fantasmes) autour de ces questions d'Intelligence Artificielle l'homme garde une certaine longueur d'avance dans au moins quelques domaines la créativité/l'innovation, la polyvalence. Gardera t-il cette avance très longtemps ce n'est pas sûr mais s'il y a des réseaux neuronaux à la base de l'AI permettent-ils aux machines de rêver et de quoi (de créer des start-up ? ) ? Or c'est autour de rêves que se sont faites les grandes avancées de nos sociétés.
- Certains annoncent l’émergence d'une supériorité de la machine sur l'homme et donc d'une nouvelle société et d'autres en doutent fortement : «Aucune machine ne sait à la fois jouer au poker et débarrasser la table» ( «Le mythe de la Singularité» Jean-Gabriel Ganascia). Pour le moment nous avons Boris qui débarrasse la table et Cepheus qui est imbattable au poker. Difficile de savoir ce qui va se passer mais nous pourrions (peut-être) finalement comme nous l'avons fait jusqu'alors ne pas si mal nous adapter à ce changement de société si nous en prenons conscience suffisamment tôt.
Or, une des rares choses qui ne soient pas incertaines c'est que ces questions auront des impacts sur le fonctionnement de la société (notamment en matière d'emploi mais également en matière d'éducation y/c nationale) et qu'à l'aube d'une campagne présidentielle indécise aucun des candidats ne parle des défis et opportunités technologiques qui sont devant nous et c'est bien dommage.
Merci Fabien pour cette réflexion que je partage à 100%. Pour ma part, je pense que c'est le monde de l'intermédiation dans son ensemble qui est révolutionné par cette vague "numérique". Et c'est l'accélération croissante de l'évolution du monde plus que son évolution elle-même qu'il est difficile pour les grandes structures d'accepter et d'embrasser. Mais les grands débats pour les élections présidentielles arrivent et je ne peux pas croire que l'évolution du monde dont tu parles ne fasse pas partie des sujets abordés. C'est mon côté naïf et optimiste porté par ma nouvelle mission au sein du cabinet Uside : créer et développer les conditions d'une dynamique positive d'adaptabilité. Et quand je vois l'énergie et le dynamisme de nos clients pour développer et mettre en œuvre ces évolutions culturelles, je ne peux qu'être positif et confiant.
Responsable Projets PACA La Poste, Ambassadeur réseau parité La Poste un.e
7 ansmerci de cette réflexion qui rejoint celle que modestement je développe. Oui depuis la domestication du feu et la création des premiers outils l'homme cherche à se simplifier la vie. Et ça va continuer. Comme vous le dites, la machine peut faire plus vite et mieux certaines choses que l'homme: on le voit dans l'industrie... Mais même si elle est capable d'écrire des articles, des livres, de la musique ou de peindre, elle n'a pas l'idée de faire cela. Elle a été programmée. Battre les meilleurs joueurs au Go, ou au poker signifie qu'on l'a programmée pour cela. Mais Alpha Go ne s'est pas réveillée un matin en se disant aujourd'hui j'apprends à jouer à Go... Cette étincelle de l'idée, de l'envie... c'est notre singularité... Et il y a de fortes chances qu'elle continue... merci de ce billet
Directeur de centre d'expertise, ingénierie système, modélisation & simulation, PLM. chez Altran
7 ansMerci Fabien pour cette réflexion, Les craintes liées aux conséquences de l'automatisation sont inévitables à court terme mais se transforment, en général, en bénéfice pour les acteurs à moyen-terme. Prenons l'exemple de l'invention de la machine à coudre, qui a valu à son auteur Barthélémy Thimonnier (un tailleur), la mise à sac de son atelier par des tailleurs parisiens en 1930. Un mouvement de grève des couturières a suivi, par crainte de se voir remplacées par les machines à coudre. Qui réclamerait aujourd'hui de supprimer ces machines ? Il est évident que la transition a du provoquer momentanément de très gros écarts de compétitivité entre les ateliers équipés et les autres. Cela a sûrement provoqué de la casse, mais que de valeur générée une fois la transition terminée ! Au final, le drame des couturières françaises et européennes n'est pas venu de l'automatisation, mais au contraire des écarts de coût sur les ressources humaines...