Les vengeances judiciaires
Un vent mauvais souffle sur les tribunaux. Témoin cette affaire.
Un homme de 70 ans, M., gérant de fortune en France et apporteur d’affaires au Luxembourg, adresse en 2016, via son avocat, une demande au SDTR de Bercy. Il s’agit du bureau qui régularisait, jusqu’à 2017, les fonds détenus illégalement à l'étranger. Avec M., on parle de 2,3 millions d’euros, sans déclaration ni paiement d’impôt en France. Le SDTR ne répond pas. Mais l’administration fiscale estime qu’ils sont le produit d’une ‘activité occulte’ au sens de la circulaire Cazeneuve de 2013. Elle inflige à M. une pénalité de 80 % au lieu des 35 % pour une régularisation ‘normale’. C’était le risque.
Mais ce n’est pas tout. Bercy transmet le dossier au Parquet National Financier (PNF). Alors que M. s’est présenté de sa propre initiative, attiré par les annonces du gouvernement, s’ensuivent perquisition et garde à vue pour complicité de blanchiment de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale. La complicité vise l’aide que M. aurait apporté à ses clients du Luxembourg pour échapper au fisc français. Le blanchiment vise le réemploi, au sens pénal, des commissions gagnées au Luxembourg : laissées sur un compte dans ce pays, elles ont été ensuite apportées à une société du pays.
L’enquête préliminaire ne ramène rien sur la complicité avec des tiers. Le PNF cite M. devant le tribunal pour le blanchiment de (sa) fraude fiscale. Le PNF se borne à reprendre la teneur du courrier de M. adressé au SDTR et qui décrivait sa situation, dont le réemploi visé ci-dessus. Le PNF s’appuie donc sur l’auto-incrimination de M. L’enquête judiciaire ne s’était pas intéressée à ce volet. M. est donc poursuivi pour s’être manifesté à ‘l’invitation’ du gouvernement et sur la seule base des informations de sa lettre.
L’affaire vient le 9 septembre devant la 32ème chambre du tribunal à Paris qui a condamné Patrick Balkany. La veille, l’administration annonce qu’elle propose une transaction, à la suite d’une lettre véhémente de l’avocat fiscaliste au ministre. A l’audience, le président renvoie au 30 octobre : le PNF a oublié d’aviser l’Etat. Or, il peut se constituer partie civile.
Avant le 30 octobre, l’administration précise sa proposition : abandon des 80 %, retour aux 35 % (avec, aussi, rappel des droits, etc.) : la note finale est de quelques 1,8 M€. M. accepte. L’Etat, en conséquence, ne se constitue pas partie civile.
A l’audience, la défense soulève plusieurs arguments. La nullité de la procédure d’abord : violation du droit à ne pas s’auto-incriminer et déloyauté dans la recherche de la preuve (poursuites sur la base du seul contenu de la lettre volontaire au SDTR et des pièces jointes). En réponse, le PNF laisse échapper que sa collecte de la preuve a été déloyale mais qu’il s’agit là de l’application de l’article 40 du Code de procédure pénale. Cet article oblige tout fonctionnaire (ici, le SDTR) à informer le parquet des infractions venues à sa connaissance. La défense réplique que le recours aux principes du droit (celui à un procès équitable) permet de corriger les situations légales mais injustes.
M. explique aussi qu’il a subi une dépression nerveuse grave ces dernières années, que sa fille handicapée est à sa charge et qu’il est épuisé par toutes ces procédures. Il le porte sur son visage d’homme de 73 ans maintenant.
Le PNF requiert 6 mois avec sursis et aucune amende car une transaction aboutit avec Bercy.
La défense plaide tout d’abord que le libellé de la citation mène à la relaxe. La citation est l’acte d’accusation du PNF, délivré par huissier et qui indique aussi la date et l’heure de l’audience. Il y est écrit que les faits ont été commis sur le territoire national. Or, c’est au Luxembourg. Il est aussi écrit que le blanchiment a consisté à réemployer les fonds produits de la fraude en les portant au crédit du compte bancaire de la société. Or, ce n’est pas le cas : les fonds ont été apportés en compte courant. La première opération est un mouvement financier ; la seconde, une simple écriture comptable. On ne trouve même pas au dossier les relevés du compte bancaire de la société ! Donc, M. n’est pas coupable des faits dont le PNF saisit le tribunal. La défense plaide encore un problème de prescription et une analogie à faire avec des décisions favorables du Conseil constitutionnel de 2016.
Verdict ? Deux ans avec sursis, pas d’amende, conclusions de nullité rejetées car l’article 40 permet tout et foin des principes généraux. Mais le mieux est la réponse sur la citation : il appartenait à la défense de comprendre ce pourquoi elle était poursuivie : bien sûr que c’était au Luxembourg et pas en France ! Et bien sûr que c’était pour apport en compte courant et non pour crédit au compte bancaire ! Il fallait se reporter au dossier. Pourtant, dans ces procédures, le dossier complète la citation ; il n’y suppléait pas. Et, dans celui-ci, quand on s’y réfère, on comprend que le PNF n’a pas fait la différence entre apport sur un compte bancaire et apport en compte courant… Enfin, rien sur la prescription ni sur les décisions du Conseil constitutionnel.
En fait, le tribunal ne pardonne pas à M. de plaider la relaxe. Non seulement il écarte les arguments de droit avec légèreté mais il multiplie par quatre la peine demandée par le PNF : il n’a pas jugé ; il s’est vengé.
Dix jours après le jugement, M. meurt d’un infarctus, M. pour ‘Mort’. Son appel ne sera pas examiné.
Cette tragique histoire ne serait qu’une péripétie dramatique si elle était isolée. Or, ce mécanisme est souvent constaté devant les tribunaux : délits avérés, volonté de tenter la relaxe en fait et / ou sur des arguments juridiques, décisions désinvoltes en droit et… condamnation très supérieure à celle demandée par le procureur. Les cours d’appel rectifient plutôt.
Puisse ce texte, écrit in memoriam M., prévenir la mort d’autres prévenus.
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NB : la défense a adressé un courrier à la 32ème chambre. Sa lettre développe les points juridiques de cet article.
Commerciale et Marketing
1 ansmerci je suis sa fille cadette. la vérité est dite
restaurateur chez planet sushi
5 ansTerrible