Blanchiment de fraude fiscale et preuve du préjudice subi par l’État
Ce qu’il faut retenir : la réparation du préjudice de l’État du fait de blanchiment de fraude fiscale suppose la caractérisation d’un préjudice distinct de celui lié à la fraude fiscale indemnisé par les majorations fiscales et les intérêts de retard.
La Chambre Criminelle a récemment précisé que l’assiette de l’amende proportionnelle réprimant le blanchiment de fraude fiscale prévue par l’article 324-3 du Code pénal est limitée au produit de la fraude fiscale (c’est-à-dire, les « seuls droits éludés » et non le montant global des sommes dissimulées susceptibles de servir de base à l’impôt ; Cass. Crim. 11 sept. 2019, n°18-81.040).
Par un arrêt du 29 janvier 2020, la Cour de cassation vient apporter de nouvelles clarifications, sur le terrain de l’action civile cette fois, en mettant en garde les juges du fond sur la nécessité de caractériser le préjudice subi par l’État découlant de l’infraction de blanchiment de fraude fiscale (Cass. Crim. 29 janv. 2020, n°17-83.577).
Dans cette affaire, une contribuable poursuivie pour fraude fiscale et blanchiment de ce délit, reprochait notamment aux juges d’appel de l’avoir condamnée à verser à l’État français, partie civile, la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant de l’infraction de blanchiment de fraude fiscale.
En appel, la Cour de Paris avait en effet jugé que, « le Tribunal a justement apprécié ce préjudice résultant non seulement du revenu généré et des actifs en capital qui échappent à l’assiette de l’impôt sur la fortune, mais également compte tenu de l’ancienneté des faits et de l’importance de la fraude des procédures multiples mises en œuvre pour recouvrer ses créances, ce tout particulièrement à une période de déficits budgétaires importants » (CA Paris, 19 mai 2017, n°15/03218, Affaire Ricci).
Cette motivation est jugée insuffisante par la Cour de cassation afin de caractériser le préjudice résultant du blanchiment de fraude fiscale et l'arrêt est donc censuré au visa notamment des articles 2 et 593 du Code de procédure pénale.
Si la Cour de cassation confirme l’existence de principe d’un préjudice de l’État du fait du blanchiment, elle précise que ce préjudice est distinct de celui subi par le Trésor du fait du délit de fraude fiscale qui le précède, qui, lui, « est indemnisé par les majorations fiscales et les intérêts de retard » mises à la charge du contribuable dans le cadre du redressement fiscal.
Or, comme tout préjudice, le préjudice occasionné par le blanchiment doit être réparé, comme le soutenait à juste titre la défense, dans son intégralité, sans perte ni profit pour chacune des parties.
En exerçant un tel contrôle, la Haute juridiction invite donc les juges du fond à davantage de rigueur dans la caractérisation du préjudice du blanchiment de fraude fiscale.
Ce rappel procédural est bienvenu mais il ne règle pas la question de fond : quel préjudice l’État français peut-il légitimement revendiquer du fait du seul blanchiment de fraude fiscale ?
La Cour d’appel de Paris aura l’occasion de répondre à cette question dans les prochaines semaines dans le cadre du procès en appel des époux Balkany qui avaient été condamnés par le Tribunal correctionnel de Paris le 18 octobre dernier à verser à l’État la somme de 1 million d’euros en réparation de son préjudice découlant du délit de blanchiment de fraude fiscale, sur une motivation identique à celle censurée par la Cour de cassation le 29 janvier dernier.