Lettre ouverte à Monsieur François Villeroy de Galhau, Monsieur Benoît Coeuré et à tous les autres coquins des banques centrales.
Messieurs,
Je voudrais vous dire tout d'abord à quel point je suis d'accord avec tout ce que vous dites en permanence dans les médias et dans les assemblées : la monnaie ne peut pas être privée car il s'agit d'un bien public de souveraineté.
Maintenant je pense qu'il serait utile de bien nous entendre sur ce que nous appelons une monnaie privée et sur ce qu'il convient d'appeler une monnaie publique :
- Les permissioned networks désignent les réseaux privés dont la caractéristique est de s'appuyer sur une gouvernance centralisée et sur des transactions privées et secrètes. De tels réseaux sont par exemple ceux des banques commerciales, des banques centrales, des groupes d'entreprises et des consortiums tels que Facebook.
- Les umpermissioned networks désignent les réseaux publics dans lesquels la gouvernance est totalement distribuée et dans lesquels les transactions sont visibles partout dans le monde. De tels réseaux sont par exemple ceux de la blockchain publique Bitcoin ou Ethereum apparus il y a environ vingt ans en marge de la finance institutionnelle.
Il est assez comique de s'apercevoir que le réseau monétaire des banques commerciales et centrales appartient au même groupe que celui du consortium Libra de Facebook. On se demande alors vraiment pourquoi vous présentez l'initiative de Facebook comme un danger pour la souveraineté alors que dans son fonctionnement le consortium des banques est également un réseau centralisé et privé qui gère la monnaie de façon non démocratique.
Le consortium des banques centrales est une société anonyme qui n'a rien à envier au consortium de Facebook. La seule différence entre vous et Facebook c'est que Facebook n'a pas obtenu l'aval de l'Etat pour gérer le bien public par le biais d'une délégation de pouvoir. Dans tous les cas la conception de la monnaie développée par les consortiums Facebook et les consortiums de Banques ne diffèrent pas d'une interface propriétaire dans laquelle l'accès à la monnaie est conditionné au fait de pouvoir l'acheter. Comme la notion de propriété l'emporte sur la notion d'accessibilité, les permissioned networks des banques commerciales et centrales ne sont ni plus ni moins qu'un réseau de monnaie privée labellisé par les Etats.
La monnaie est l'intermédiaire des échanges entre des biens qui sont toujours appropriés par une personne. Dans ces conditions, la monnaie devrait être « le medium universel » doté d'une sorte de neutralité instrumentale, économique, politique et sociale. Cela est d'autant plus vrai que la monnaie incarne le bien fongible par excellence, celui qui se laisse le mieux réduire à son seul statut de numéral ou d'incrément. Or cette monnaie pure reste une vue théorique : non seulement la monnaie demeure jusqu'à aujourd'hui, comme l'ont montré de nombreux anthropologues, un support de choix moraux liés à un état de conscience, mais son utilisation et son accès même restent dépendants des constructions institutionnelles.
L'histoire nous montre que depuis toujours la monnaie a été conçue et gérée comme un bien privé : pendant des siècles elle était la propriété du souverain qui au travers du trésor royal prélevait les taxes et en commandait seul la dépense. L'Etat était alors confondu avec la personne du souverain et il a fallu attendre la révolution française pour que l'on accepte de dissocier ces deux notions. Dès lors c'est le peuple qui a été reconnu comme souverain, mais seulement pour élire ses représentants. Car la monnaie est pour sa part demeurée une chose privée aux mains des banques. Cette situation est une anomalie historique qui est restée trop longtemps inaperçue. Aujourd'hui ce sont les banques privées qui détiennent tout pouvoir sur la monnaie grâce à un monopole de l'Etat sur les droits de crédit et de dépôt. Même les banques centrales sont des sociétés anonymes qui sont gérées comme des intérêts privés.
A la décharge des banques et des Etats, nous pouvons affirmer qu'avant l'arrivée du réseau de blockchain publique Bitcoin, la notion de monnaie publique n'existait pas. C'est l'apparition de l'infrastructure blockchain publique Bitcoin qui a été historiquement la première forme de monnaie publique. Pour le comprendre, nous reprenons la distinction conceptuelle qui fait autorité entre deux formes de réseaux : Les permissioned network désignent les réseaux privés dont la caractéristique est de s'appuyer sur une gouvernance centralisée. De tels réseaux sont par exemple ceux des banques commerciales, des banques centrales et des groupes d'entreprises. Les umpermissioned network désignent les réseaux publics dans lesquels la gouvernance est totalement distribuée et dans lesquels les transactions sont visibles partout dans le monde. En effet dans les Blockchains publiques, les transactions qui sont stockées dans les « Ledgers » sont non modifiables, non supprimables, accessibles en lecture à tous, ultra sécurisées à base cryptographique et donc sans organe central de gouvernance. A contrario, les Blockchain privées de type bancaire sont opaques, peu traçables, basées sur le secret et l'absence de transparence. Cela explique par exemple pourquoi pendant des décennies, les banques ont fondé leurs revenus sur l'évasion fiscale internationale et la constitution de sociétés off shore. Ainsi nous savons qu'en 2019, le montant des transactions hors bilan des banques s'élevait à 50.000 billions de dollars alors que la totalité des transactions dans les blockchains publiques s'élevait à 500 billions de dollars. Une paille dans l'océan des transactions internationales de la finance occulte.
On peut se demander pourquoi les banques dans leur ensemble tirent à boulet rouge sur la blockchain publique. On peut se demander pourquoi la BRI sort un rapport par semaine pour tenter de démontrer qu'un système centralisé est plus apte à garantir la stabilité monétaire internationale qu'un système décentralisé. On peut se demander pourquoi la loi Pacte a été votée lors que l'ACPR fait à peu près tout ce qui est en son pouvoir afin de discréditer les acteurs de la blockchain et même une institution comme l'AMF qui est pro-blockchain. On peut se demander pourquoi les institutions financières de la banque et de l'assurance ne présentent le bitcoin que par le prisme du blanchiment d'argent et du financement du terrorisme. Cette campagne de dénigrement systématisé cache en réalité la crainte de tous les réseaux financiers centralisés de se voir dépassés et dépossédés historiquement par une nouvelle forme de réseau financier décentralisé, le seul légitime pour porter le nom de monnaie publique. Alors que les banques centrales font de nombreuses annonces afin de détourner l'attention du public sur des sujets de second ordre, alors que Bruno Le Maire nous explique la nécessité de créer un Euro numérique... encore géré par les banques centrales, et que le Libra de Facebook sert de "book" émissaire pour permettre à d'autres acteurs centralisés de faire main basse sur les architectures décentralisées, on en arrive à oublier l'essentiel : l'avènement de la blockchain publique participe d'un mouvement de l'histoire extra-ordinaire qui voit l'apparition de la première vraie forme de monnaie publique.
Les Etats ne pourront plus longtemps soutenir l'activité des réseaux privés dans la production et la distribution de l'argent parce que partout dans le monde la révolte sociale gronde. Les campagnes de dénigrement systématique du monde bancaire et financier contre la blockchain s'explique du simple fait que pour la première fois dans l'histoire, un réseau de monnaie publique vient faire concurrence aux réseaux de la monnaie privée. Les programmes d'émission quantitative des banques centrales, la montée de la dette publique partout dans le monde, les inégalités sociales et économiques criantes, le manque de moyens des Etats providence qui ont totalement perdu la maîtrise de leur monnaie, proviennent essentiellement du fait que nous vivons sur une vieille conception privatiste de la monnaie dans laquelle les institutions financières centralisée n'ont aucun compte à rendre au peuple. Avec l'invention de la technologie Bitcoin et l'apparition du premier réseau de monnaie publique, la technologie bancaire est devenue accessible au plus grand nombre qui peut désormais émettre, gérer, échanger, conserver et distribuer toute valeur sous la forme de cryptomonnaie. Il est donc devenu illusoire de vouloir créer des « crypto-nations » sans inscrire dans la loi la fin du monopole monétaire des réseaux privés bancaires qui constituent une entrave inacceptable au droit de chaque citoyen d'utiliser la monnaie de son choix, dans le réseau d'échange de son choix, avec la comptabilité de son choix et sur les valeurs de son choix. Seule la monnaie publique permettra de réaliser le bien commun d'une monnaie conçue depuis les origines de la théorie économique comme un « pur médium » des échanges accessible à tous les hommes et les femmes comme un langage naturel.
Le fait de donner la première place au réseau public d'échange monétaire n'aura pas pour conséquence la disparition de l'Etat, ni des banques, ni de l'Euro contrairement à ce que pensent la plupart des analystes, mais elle aura pour effet de déplacer l'Etat, les banques et l'Euro vers une pratique de réseau monétaire public, libre, ouvert, égalitaire et souverain. La question centrale n'est pas celle visant à savoir si l'on doit faire un Euro numérique, ou inventer d'autres cryptomonnaies, ou supprimer le cash dans les économies, mais elle est de savoir si un consensus général va se former autour du réseau public pour redistribuer le pouvoir monétaire vers le peuple et développer des pratiques financières plus transparentes. L'enjeu une fois encore, c'est le basculement de tous les acteurs privés et publics, individuels et collectifs vers le réseau de blockchain publique sans chercher nécessairement à savoir ce que chacun y fera. Un tel mouvement allant vers un commun monétaire est comparable à celui qui a animé la communauté du logiciel lors de l'apparition des logiciels open source. Des sociétés telles que Microsoft qui étaient de fermes partisans du modèle du logiciel privé et propriétaire sont devenues en moins de dix ans les plus fidèles partisans du modèle open source. Nous pouvons présager que lorsque les autorités publiques sauront distinguer ce qui relève d'un réseau monétaire public d'un réseau monétaire privé et que les responsable auront compris les multiples bénéfices sociaux, économiques et environnementaux à traiter la monnaie comme un « bien commun », alors les Etats prendront les dispositions pour modifier les lois, les constitutions, et traduire juridiquement cette réalité en droit d'usage inconditionnel et sacré, à l'instar de ce qui fut entrepris dans les droits de l'homme.
La blockchain publique étant par nature un registre distribué, elle a la même nature qu'un document comptable. On peut la comparer à un livre comptable de taille planétaire dans lequel toutes les opérations monétaires sont transparentes. Il semble donc naturel d'utiliser ce livre comptable planétaire pour connecter les livres comptables locaux des acteurs économiques publics et privés. Les comptabilités étant elles aussi des documents publiés annuellement, leur adéquation avec l'infrastructure blockchain est totale. La blockchain publique étant l'extension informationnelle de tous les livres comptables des organisations publiques et privées, il en découle de nouvelles possibilités de connecter tous les postes comptables de manière synchrone comme si nous avions là une immense intelligence artificielle financière. Beaucoup ont pensé que la blockchain publique allait servir à créer des monnaies spécifiques appelées crypto-monnaies, mais en réalité il suffit de connecter les postes comptables entre eux pour que les fiat-monnaies deviennent des monnaies publiques. La transférabilité des fiat-monnaies qui étaient jusqu'à présent gérées par le réseau privé des banques vers le réseau public de la blockchain permettra enfin aux monnaies nationales de se doter du statut de monnaies publiques qui est leur vocation naturelle et première. Il découle de cette possibilité de connexion des postes comptables au travers de la blockchain une démultiplication des capacité opérationnelles des agents économiques. En effet, la blockchain publique tout comme la comptabilité publique sont des systèmes d'informations ouverts, transparents, décentralisés, qui redonnent à chaque acteur économique et social un pouvoir d'écriture et de monétisation de ses valeurs, de ses droits et de ses actifs.
Nous estimons que la monnaie publique en euros existe déjà et qu'elle se trouve dans les livres comptables des organisations publiques et privées. Parce que la comptabilité subsume et représente pour leur valeur en euros toutes les opérations accomplies en fiat ou en cryptomonnaie, elle constitue un principe d'unification fort utile pour mettre en œuvre une pratique d'échange de monnaie publique. Comme les documents comptables sont eux-mêmes des documents publics qui sont contrôlés dans leur authenticité, leur clarté, leur réalité et leur signification par des agents assermentés qui sont les expert-comptables et les contrôleurs des impôts, de tels documents jouent donc le rôle d'oracle par rapport à la blockchain publique. Toutes les organisations économiques et sociales qui disposent d'une comptabilité analytique ont en réalité autant de comptes bancaires qu'il existe de postes comptables, donc autant de moyens d'enregistrement et d'encaissement / décaissement qu'il existe de postes comptables. C'est sur la base d'un tel système de rapprochement et de compensation comptable que fonctionnent déjà les banques. C'est comme cela que devrait fonctionner demain une organisation publique ou privée qui voudrait s'affranchir de toute tutelle en entrant dans un réseau public d'échange. C'est donc par la monétisation (ou plus exactement par la tokenization) des postes comptables de toutes les organisations publiques et privées à travers le monde que nous pourrons constituer le plus grand réseau d'échange monétaire public de l'histoire de l'humanité, sachant que les nomenclatures des postes comptables sont à peu près uniformes dans tous les Etats du monde par le biais de la standardisation des normes IFRS et qu'il est donc très simple de les programmer.
Le combat pour la blockchain publique a changé de nature : de technologique, il est devenu rapidement économique et financier. A compter de la date de cette lettre, je vous remercie de prendre en considération que ce combat est désormais politique. Nous ne pouvons plus tolérer la pollution sonore de plus en plus importante des représentants de réseaux monétaires centralisés qui luttent contre le sens de l'histoire et cherchent à tout prix à nous démontrer l'indémontrable. Désormais les deux mots "banque" et "centrale" sont devenus des anomalies de l'histoire et il serait quand même bon de vous en rendre compte, sauf à ce que les "banques" "centrales" décident à devenir des organismes publics fonctionnant dans une blockchain publique sur la base d'un consensus décidé directement par les utilisateurs de la monnaie et au moyen de flux financiers totalement transparents et traçables entre eux et les banques commerciales. Mais je vous pense loin d'un tel courage. Vous pouvez donc continuer de nous bassiner avec la création d'un euro numérique ou nous inonder de vos rapports de mauvais augure sur les dérives de la blockchain publique, vous ne pourrez rien empêcher. Le but de ce message est de montrer à tous ce qu'est véritablement la blockchain publique et sa promesse de monnaie publique. La monnaie publique consiste à redonner un accès à la monnaie qui soit égal, libre et démocratique pour tous les citoyens. La monnaie publique consiste à prendre des décisions économiques et financières marquées du sceau de la transparence et de la vérité. La monnaie publique se présente comme une plate-forme distribuée de services monétaires et financiers dans laquelle l'accès d'une personne n'est subordonné à la décision d'aucune autre personne. Je propose ainsi de rajouter dans la constitution cette formule lapidaire rendue désormais possible par le progrès :
La monnaie est un bien public et par conséquent un bien commun. Nul organisme n'est légitime pour en monopoliser, dissimuler, restreindre ou interdire l'accès.