L’histoire de France se lit dans nos gènes... Ce que la génomique nous apprend sur l’histoire du peuplement de la France
SOURCE : Sciences et Avenir N°879 Publié le 30 Mai 2020 à 12h00 pages 46 à 48
Par Nicolas Gutierrez C.
En étudiant le génome des Français contemporains, des chercheurs ont réussi à retracer l’histoire du peuplement de l’Hexagone jusqu’aux grandes épidémies du Moyen Âge et à la révolution agricole des 18ème-19ème siècles.
Cet article est issu du magazine Sciences et Avenir n°879 daté mai 2020 « Spécial coronavirus ».
Lecture 7 min.
Nous sommes des livres d’histoire. Nous portons en nous des traces du passé, enfouies dans notre ADN et les chercheurs ont la clé pour décrypter cette information cachée. Ainsi, en étudiant le génome de 2 184 Français issus de deux recherches indépendantes, les scientifiques de l’Inserm et du CNRS ont réussi l’exploit de voyager dans le temps pour suivre le peuplement de l’Hexagone, être témoins des épidémies qui l’ont décimé et même… survoler les fleuves et les montagnes qui se sont révélés des frontières décisives pour les populations.
« C’est la première fois qu’une étude génomique de cette ampleur se fait en France, révèle Christian Dina, spécialiste en épidémiologie génétique à l’institut du Thorax à Nantes et l’un des principaux auteurs de l’étude publiée en Janvier 2020 dans la revue European Journal of Human Genetics. J’espère que ce type de recherches pourra faciliter le dialogue entre les généticiens et les historiens, car la génétique peut apporter des informations solides qui contribuent à mieux comprendre le passé. » Un dialogue pas toujours facile, comme l’explique l’anthropologue Denis Pierron, qui a participé à une étude similaire à Madagascar : « Les Français restent très mal à l’aise avec l’étude de différences d’origine génétique, contrairement aux Anglo-Saxons. » Ce travail vient pourtant confirmer des hypothèses, tout en apportant de nouvelles données qui permettront de connaître plus en profondeur l’histoire du pays.
Fleuves et reliefs sont des barrières géographiques
Premier enseignement de l’étude : les données génomiques confirment l’existence de trois vagues de peuplement au cours des millénaires, comme l’avaient déjà établi les préhistoriens. Mais les chercheurs ont pu en outre en déterminer l’origine en comparant l’information génétique retrouvée dans l’échantillon contemporain avec celle relevée dans différents sites archéologiques du continent. « Nous avons pu établir qu’une première population de chasseurs-cueilleurs du mésolithique, qui s’était répartie il y a environ 10 000 ans dans toute la région qui correspond aujourd’hui à la France, a été remplacée partiellement par deux autres populations. L’une est issue d’Anatolie [dans la Turquie actuelle] pendant le néolithique, il y a à peu près 8 000 ans ; l’autre, des plaines du Nord de l’Eurasie pendant l’âge du bronze, il y a près de 4000 ans. Des archéogénéticiens travaillent actuellement pour dater plus précisément ces différentes vagues de peuplement », détaille Christian Dina. Les chercheurs ont mis en évidence que l’ADN issu de ces trois populations est bien présent dans des personnes vivant aujourd’hui dans toutes les régions de France, mais en proportions différentes. Ce qui permet de confirmer leur point d’entrée dans le pays et leur progression dans le territoire qui constitue aujourd’hui l’Hexagone. Les résultats montrent ainsi que les agriculteurs provenant d’Anatolie seraient arrivés par le Sud-Est ¾ en raison de la plus grande proportion de traces de leur génome dans cette zone ¾ tandis que la vague eurasienne serait arrivée par le Nord, composée de bergers nomades en provenance des steppes au Nord de la mer Noire. « La structure génétique de la population française a été initialement modelée par ces événements migratoires, pour être ensuite affinée par le métissage et les barrières géographiques, résume le chercheur Christian Dina (voir la carte ci-dessous).
Les 3 grandes vagues de peuplement
Recommandé par LinkedIn
Si les chercheurs ont pu établir que la population actuelle est très homogène, ils ont en effet mis en évidence la cause principale des quelques différences qu’ils ont pu relever : la géographie. Outre les distances qui freinent les métissages, ce sont surtout les fleuves et les reliefs qui ont agi comme de véritables frontières. « La Loire semble être ainsi la barrière la plus importante, séparant le Nord et le Sud du pays sur mille kilomètres, explique Christian Dina. Elle a longtemps été un fleuve très puissant, difficile à franchir. Sa vallée était régulièrement inondée, augmentant ainsi la taille de cette barrière par des kilomètres de boue et de marécages, rendant la zone encore plus difficile à traverser. » Selon l’étude, l’autre grand obstacle au flux génétique a été la Garonne, un fleuve de plus de 600 kilomètres avec, lui aussi, un débit très important et peu de ponts et de passages à gué pour passer de l’Aquitaine au reste de la France (Voir la carte ci-dessus).
Les chercheurs se sont également intéressés à l’évolution de la taille de la population française au cours des deux derniers millénaires (lire l’encadré ci-dessous). Leur analyse montre une croissance démographique continue, brusquement interrompue par une période de rétrécissement qui débute autour du 14ème siècle pour perdurer pendant environ 400 ans. « Cela semble correspondre aux nombreux épisodes de peste qui se sont abattus sur l’Europe à partir de cette époque, avec ¾ en moyenne ¾ un événement tous les sept ans », explique Patrice Bourdelais, démographe et historien spécialisé dans l’étude des épidémies à l’Écoles des Hautes Études et Sciences Sociales (EHESS), à Paris. Durant cette période, les historiens estiment en effet que la population française a chuté d’environ 40 %, ce qui correspondrait à la disparition de 7 millions d’habitants sur un total de 18 millions. Toutefois, il existe un point sur lequel les données génétiques ne s’accordent pas avec les documents historiques. Selon les résultats de l’étude, cette contraction démographique est surtout visible dans le génome des habitants de la partie Nord de la France, ce qui surprend patrice Bourdelais : « Du 14ème siècle au 16ème siècle, c’est majoritairement dans le Sud de la France que les épidémies ont sévi. Il n’y a eu qu’un seul épisode majeur dans le Nord, passée cette période, entre 1666 et 1670 ; la peste a alors été contenue au Nord de Paris grâce à un cordon militaire établi sur plus de 200 kilomètres, créant une frontière intérieure qui courait de Beauvais à Reims. » La génomique aurait-elle mis en évidence un aspect encore méconnu de l’histoire ? Il est encore trop tôt pour le savoir, des recherches complémentaires étant nécessaires pour vérifier ces résultats.
MÉTHODES
Comment se calcule la taille des populations anciennes