L'horizon d'attente parental, échelon oublié de la politique enfance et famille


Le Ministère de la Famille vient d'annoncer un nouveau plan de lutte contre la maltraitance faite aux enfants. C'est évidemment louable. Il comporte des mesures utiles, certainement, comme la liaison entre les plates formes de lutte contre les violences faites aux femmes et le 119 ; la mobilisation à travers un référent, du monde hospitalier (à qui l'on demande beaucoup tout de même, toujours plus. Chacun y sera bientôt référent et on pourrait se demander tout de même si trop de référence ne tue pas la référence...).


Mais l'on sent que les idées manquent, cependant, pour aller plus loin. Le plan repose surtout sur la réaffirmation des outils existants. Il s'agit surtout de se remobiliser autour des objectifs. Dont acte.


Pourquoi la créativité politique s'étiole -elle ? Peut-être parce que l'essentiel a bien été réalisé en termes d'obligation de moyens face à la maltraitance, parce que nous nous sommes dotés d'un arsenal juridique, comme les obligations de signalement. Nous avons des outils, comme les cellules départementales de recueil de renseignements préoccupants, Nous avons des moyens de protection juridique et matérielle, avec l'Aide Sociale à l'Enfance, les parquets et les Juges des Enfants. Ces outils se coordonnent, se planifient, et s'évaluent (observatoires de la protection de l'enfance, schémas).


Mais je me permets d'ajouter ici une réflexion toute personnelle, à l'attention des professionnels du social et de l'éducatif qui me liraient : sans doute désormais faut-il regarder plus en amont. Dans la politique familiale, il me semble que l'on peut déceler un angle mort. A aucun moment la question du devenir parental n'est posé.

Nous avons des plannings familiaux, pour parler contraception, nous avons des services mobilisés, fort heureusement autour de la périnatalité, en ville (PMI) et en milieu sanitaire. L'Education Nationale intègre de l'éducation sexuelle. Nous avons des schémas CAF autour de la parentalité, post naissance. Mais la question du "devenir parent" n'est jamais abordée en tant que telle, dans la population générale, dans le fameux "droit commun" où tout commence.


Or, nous ne pouvons plus compter évidemment sur les solidarités primaires d'antan, sur la transmission, pour aider les individus à réaliser pleinement ce que réclamera d'eux la fonction parentale, et cela ne date pas d'aujourd'hui, c'est ce qu'Hannah Arendt note déjà comme une rupture majeure dans "la crise de la culture"

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Nous vivons dans un modèle anthropologique inédit où coexistent une norme ultra nucléaire, des familles fragmentées, des mobilités démultipliées, des phénomènes d'anomie. Beaucoup sont loin de leur famille quand ils deviennent parents, et découvrent ensuite ce que cela implique. Le succès fracassant des manuels pour parents en est un symptôme. Mais l'édition ne saurait se substituer à une réflexion de politique publique.


Sans céder un instant aux tentations eugéniques d'antan, de sinistre mémoire, nous pouvons cependant nous demander s'il n'y a pas un échelon manquant.

Quand peux t-on trouver ressource pour réfléchir si existe la tentation de l'enfant réconciliant le couple, l'enfant "médicament" ?

Quand peux t-on être aidé à s'interroger sur le bon moment pour devenir parent ?


Les rôles parentaux sont devenus très difficiles car les sources d'influence sur les enfants sont kaléidoscopiques. Qui le dit ? Devenir parent est gratifiant, on est félicité, on vit un aboutissement et une fierté. Mais qui est là pour prévenir, pour dire aussi ce qui devra être surmonté ? Le dépassement du narcissisme par exemple, dans une société de consommation qui flatte le narcissisme adulte. Le repositionnement du couple, aussi.


Comment ouvrir de tels espaces d'interrogation, qui ne relèvent pas d'un contrôle social ou d'une suspicion, ni d'une prévention stigmatisante ou ciblée ? Je ne sais pas, et fort heureusement. Si la solution miracle existait on la connaîtrait. Mais on devrait sans doute pouvoir expérimenter des espaces et des temps autour du devenir parent, à disposition des usagers en âge de procréer. Où tous les enjeux d'une future parentalité pourraient être découverts et appropriés.


La violence peut aussi provenir de l'oubli qu'un enfant est une fin, non un moyen, qu'il n'est pas une consommation (même si une certaine dérive biotechnique peut inciter à penser ainsi), et qu'il réclame constance parentale, et renoncement à une vie passée, en venant révolutionner des vies d'adulte. Nous ne devrions pas donner naissance à des enfants, juste "parce que c'est le moment" comme dit une belle chanson d'Axelle Red. Mais en toute lucidité et responsabilité.


Ne croyons pas que les seules familles en difficulté sociale sont concernées. La violence diffuse, malheureusement, à travers les barrières sociales. La violence est multiforme, elle a des formes euphémisées, comme la négligence ou le mépris. Et la difficulté d'être parent fait écho à de profonds enjeux psychologiques partagés dans toute la population, qui ne sont l'apanage d'aucun milieu social même si les difficultés d'exclusion ne viennent pas appuyer des rôles parentaux évidemment.


Devenir parent, c'est une question qui se pose pour beaucoup mais ce n'est pas pour autant une question à prendre à la légère.

Et pourtant, c'est un angle mort des politiques enfance et famille. Éternellement ?


(Jérôme Bonnemaison est actuellement Directeur territorial PJJ, il est l'auteur chez Dunod de "la petite enfance dans la cour des grands", 2016)


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