L'​#humeurdulundi par Le Facteur urbain

L'#humeurdulundi par Le Facteur urbain

« Le Polygone, justement. Beaucoup de Biterrois accusent ce centre commercial inauguré en 2010 d’avoir aspiré la clientèle des commerces du centre-ville. Le complexe – « à ciel ouvert » proclame son site Internet – affiche il est vrai une apparence coquette. Ses concepteurs ont évité de céder au gigantisme. Le sol est impeccablement dallé. Ses boutiques de prêt-à-porter, d’équipement de la maison ou de téléphonie sont disposées sur deux niveaux le long d’allées centrales. Une surface alimentaire, un cinéma et un bowling viennent parfaire l’offre. Des bancs, chaises longues et plantes vertes agrémentent le confort des promeneurs, qui sont avant tout des consommateurs. Les étages supérieurs du bâtiment sont voués à l’habitat. Pas de rumeur motorisée dans cet univers, mais des conversations, des cris d’enfants, de la musique d’ambiance aux tonalités qui s’adaptent à l’heure de la journée.

Les « restaurants », si on peut appeler ainsi ces établissements proposant des plats préparés et néanmoins exotiques à partir de substances comestibles fournies par l’industrie agroalimentaire, sont disposés le long d’une terrasse offrant un bel horizon. Une cascade artificielle, dévalant trois niveaux successifs entre deux escaliers, copie les célèbres écluses de Fonserannes, une série d’ouvrages d’art permettant au canal du Midi, à moins d’un kilomètre de là, de franchir un dénivelé de 21 mètres. Au premier niveau du centre commercial, en contrebas de l’écluse contrefaite, une petite étendue d’eau peuplée de poissons rouges rappelle le canal lui-même. Au niveau le plus élevé, une passerelle métallique surplombe le filet d’eau artificiel et arbore une plaque de rue, vert et liseré bleu façon Paris, mentionnant « Pont des amoureux ». Aux grilles, quelques sentimentaux ont accroché des cadenas. La ville meurt ? Qu’importe ! On vous en recrée une autre, toute neuve, toute belle, toute fausse, à deux pas de l’ancienne, et entièrement vouée au commerce ».

Olivier RAZEMON, Comment la France a tué ses villes, Ed. Rue de l’échiquier (ed. revue et enrichie), 2017, pp.29-30.

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Alice Pfeiffer

Autres pages consultées

Explorer les sujets