« Liberté, égalité, fraternité »
Le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » a été présenté le 9 décembre 2020 en Conseil des ministres, 115 ans jour pour jour après la promulgation de la loi concernant la séparation des Églises et de l’État. Selon le dossier de presse de l’Elysée, il symbolise un sursaut républicain réaffirmant que « la République est d’abord une exigence, une volonté de partager un destin commun ».
Ces principes de la République, qui trouvent leur origine dans la Déclaration de 1789, sont inscrits dans la Constitution de 1958 et illustrés par la devise « Liberté, Egalité, Fraternité ». L’actualité offre l’occasion de s’interroger sur la pérennité de ces trois mots et sur la probable prééminence de l’un ou l’autre dans un pays qui se revendique toujours l’héritier du siècle des Lumières mais dont les choix sont régulièrement décriés y compris dans les démocraties anglo-saxonnes.
L’héritage des Lumières
La devise de la France apparaît pour la première fois le 5 décembre 1790 dans un « discours sur l’organisation des gardes nationales » rédigé par Maximilien de Robespierre, qui propose sans succès que ces mots soient inscrits sur la poitrine des gardes et sur leurs drapeaux. La IIIème République l’adopte définitivement et la fait inscrire au fronton des édifices publics. Elle sert de fil directeur au projet de loi qui dénonce des pratiques « qui vont à l’encontre de la liberté de conscience, de l’égalité entre le s femmes et les hommes et d’une fraternité inconditionnelle ».
L’article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 consacre la liberté comme le premier des droits « naturels et imprescriptibles » de l'être humain, qui n’a de bornes que « celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ». L’hymne national honore ce droit majeur dans un célèbre couplet : « liberté, liberté chérie, combats avec tes défenseurs ». La soif de liberté est un des principaux héritages des Lumières, qui revendiquent la liberté de pensée mais aussi la liberté individuelle, ce que Diderot décrit ainsi : « Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres ».
L’égalité, revendiquée à longueur d’ouvrages par Jean-Jacques Rousseau, est citée dans la Déclaration de 1789, mais se limite à l’égalité devant la loi, « qui doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse », et autorise chaque citoyen à être admissible « à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents », une concrétisation de l’abolition des avantages et privilèges de la noblesse. Cette égalité devant la loi s’est imposée sous la IIIe République, malgré la résistance de ceux qui lui préféraient la notion de solidarité, l’égalité généralisée à tous les corps sociaux et sortie du contexte de la Déclaration pouvant conduire aux pires excès d’un Pol Pot animé par une quête impitoyable du nivellement social.
La fraternité est la notion la plus originale car elle relève de la sphère de la communauté et de l'obligation morale. Absente de la Déclaration de 1789, elle est mentionnée dans la Déclaration universelle de 1948 qui impose aux êtres humains d’agir « les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». Victor Hugo, lorsqu’il prononce le 8 juillet 1849 son discours « détruire la misère » devant les parlementaires, se réfère à cette fraternité en dénonçant la souffrance du peuple de Paris, réduit à vivre dans des « cloaques » ou à chercher sa nourriture « dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon ». Les protections sociales d’aujourd’hui sont les directes héritières de ce discours mais déjà Voltaire concluait son Traité sur la tolérance en priant pour que « puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ».
Trois mots aux racines oubliées
Les idéaux qui ont conduit au choix de la devise nationale, empreints des acquis de la Révolution, ont difficilement survécu aux régressions imposées par les politiques successives initiées dès le Consulat.
La liberté est le premier mot de la devise républicaine et un droit fondamental, sa limitation ne peut constituer qu’une exception strictement encadrée. L’État ne peut restreindre la liberté que pour interdire « les actions nuisibles à la société », selon l’article 5 de la Déclaration de 1789. Pourtant, au nom de la lutte contre le terrorisme et depuis mars 2020 de la lutte contre le Covid-19, de multiples libertés individuelles ont été restreintes en application de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, limitant la liberté d'aller et venir, la liberté d'entreprendre ou la liberté de réunion. La déclaration de l’état d’urgence nécessite pourtant un péril imminent « résultant d'atteintes graves à l'ordre public » ou des événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de « calamité publique ».
L’égalité, limitée par les « Pères fondateurs français » à une égalité devant la loi, a depuis longtemps été remplacé par la notion de solidarité mêlée de fraternité cher à Victor Hugo. Il est possible de dater à 1936 et l’arrivée du Front populaire la généralisation de cette politique solidaire dans le droit français, le discours du 6 juin 1936 de Léon Blum, nommé Président du Conseil, annonçant des mesures qui n’ont jamais été remises en question, sinon pour les amplifier : semaine de quarante heures, congés payés, fonds national de chômage, régime de retraites « garantissant contre la misère les vieux travailleurs des villes et des campagnes » ; dans le but de fournir « un peu de bien-être et de sécurité à tous ceux qui créent, par leur travail, la véritable richesse ». Le site www.vie-publique.fr indique à ce titre que le caractère social de la République résulte de l’affirmation de ce devoir d’égalité : « il s’agit de contribuer à la cohésion sociale et de favoriser l’amélioration de la condition des plus démunis ». L’égalité devant la loi est devenue l’égalité « des chances ».
Cet excès d’égalité animait également Pierre-Joseph Proudhon, député de la Seine, qui qualifie la liberté d’anarchie, « parce qu'elle n'admet pas le gouvernement de la volonté, mais seulement l'autorité de la loi, c'est-à-dire de la nécessité », et affirme le 31 juillet 1848 que la propriété, « qui n'existe que par la servitude », est impossible dans une République et que, « ou la propriété emportera la République, ou la République emportera la propriété ». Il oublie alors que la propriété arrive juste après la liberté dans la liste des « droits naturels et imprescriptibles de l'homme » : « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». L’aventure communiste montrera l’utopisme des théories de Pierre-Joseph Proudhon.
La fraternité a longtemps été considérée comme une « simple valeur morale » contrairement à la liberté et dans une moindre mesure l'égalité. A l’occasion de la célébration du 150ème anniversaire de la République, le 4 septembre 2020, le Président français a tenu à l’illustrer en glorifiant le « courage de nos soignants, du dévouement des bénévoles, de l'entraide entre voisins qui nous ont permis de faire face au plus fort de la crise ». Sa connotation religieuse voire mystique n’a jamais fait l’unanimité surtout dans les sphères défendant une laïcité « de combat ». La publication, le 4 février 2019, du Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, co-signé par le Pape François et le Grand Imam d’Al-Azhar, le cheik Ahmad Al-Tayyeb, suivie de la proclamation d’une Journée internationale de la fraternité, largement associée au respect de la diversité religieuse et culturelle, confirme que la fraternité peut difficilement être dissociée de l’Etre suprême toujours présent dans le préambule de la Constitution.
Ce devoir de fraternité est également au cœur des débats sur l’aide apportée aux personnes étrangères en situation irrégulière. Une décision du Conseil constitutionnel datée du 6 juillet 2018 s’appuie ainsi sur l’article 72-3 évoquant un « idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité » pour affirmer « la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ». La loi du 10 septembre 2018 prend en compte cette décision en élargissant le champ des immunités aux actes n'ayant donné lieu à « aucune contrepartie directe ou indirecte » et accomplis « dans un but exclusivement humanitaire ». Ce sujet de société illustre la difficulté de trouver un juste équilibre entre l’action fraternelle et l’interdiction des « actions nuisibles à la société ».
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La laïcité, fille de l’équilibre impossible entre liberté et égalité
La laïcité serait une exception française, les tenants de cette théorie invoquant l’absence de traduction du terme en langue anglaise, un argument démenti par une consultation du rapport américain annuel sur la liberté religieuse en France qui qualifie le pays de « secular republic ».
La laïcité n’est pourtant citée qu’une fois dans la Constitution de 1958 (« la France est une République […] laïque ») et n’apparaît que dans le préambule de celle de 1946 qui rappelle que « l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat ». Cette laïcité de l’Etat découle de la liberté de conscience proclamée par l’article 10 de la Déclaration de 1789, qui affirme que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre établi par la loi ». Alors que la liberté de choisir ses convictions religieuses est absolue, la liberté de manifester sa religion ou ses convictions n’est donc que relative car elle peut subir des restrictions.
Il aura fallu attendre la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat pour que la laïcité soit vraiment inscrite dans le corpus législatif. Cette loi, condamnée à l’époque par le pape Pie X qui la considère « injurieuse et offensante », dispose que « la République assure la liberté de conscience », « garantit le libre exercice des cultes » mais « ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». La laïcité impose le respect de toutes les croyances et l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion. Il en résulte la neutralité de l’État, garantie tout à la fois de la liberté de conscience, de religion et de l’absence de discrimination.
Les débats sur l’Instruction publique et la place des religions ont animé les bancs de l’Assemblée depuis les premières prises de parole des députés de la Constituante. Dès avril 1792, dans un discours fondateur, Nicolas de Condorcet recommandait de « séparer de la morale les principes de toute religion particulière » afin que les parents, « quelle que soit leur opinion sur la nécessité de telle ou telle religion », puissent envoyer « sans répugnance » leurs enfants dans les établissements nationaux. Un siècle plus tard, Paul Bert, futur ministre de l’Instruction publique, utilisait les mêmes arguments pour défendre, le 4 décembre 1880, le projet de loi visant à garantir la laïcité à l’école et à rendre obligatoire l’enseignement élémentaire : « Je ne veux pas, moi protestant, envoyer mon enfant à l'école catholique, la seule qui existe dans ma commune, je ne le veux pas, parce que là on lui donnera l'enseignement catholique ; je ne le veux pas non plus, moi juif, parce qu'on lui donnera un enseignement chrétien ; enfin je ne le veux pas, moi classé comme catholique, qui n'ai eu cependant de rapports avec la religion catholique qu'au premier jour de ma naissance, alors qu'on m'a porté sur les fonts baptismaux, je ne veux pas qu'on donne à mon enfant l'enseignement catholique ».
Le guide de la Cour européenne des droits de l’homme relatif à la liberté de pensée, de conscience et de religion offre un large aperçu de la compréhension par les magistrats européens de la laïcité et de son expression, en particulier dans le port de vêtements et de symboles religieux, offrant une marge très étroite à l’évolution de la réglementation. C’est probablement la raison pour laquelle le projet de loi préfère s’immiscer dans la vie privée en proposant d’abolir le droit d’enseigner à ses enfants à domicile et en imposant une obligation scolaire effective dès l’âge de 3 ans, qui permettrait à chaque enfant de bénéficier d’une scolarisation « synonyme de qualité et de socialisation ». Au nom d’une égalité bien éloignée de celle revendiquée en 1789, le projet de loi pourfend ainsi le droit imprescriptible à la liberté.
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Héritiers des Lumières, les « Pères fondateurs » français ont fondé les principes de la République sur la liberté acquise face à la « tyrannie », l’égalité gagnée par l’abolition des privilèges et la fraternité des signataires du serment du Jeu de paume. Au fil des siècles, la devise d’une République confrontée à de multiples défis reste d’actualité mais nécessite que les citoyens et leurs représentants restent mobilisés pour en défendre les valeurs humanistes.
La constitution de 1958 ne connaît qu’un seul principe de la République : « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Au-delà d’une devise, c’est la connaissance de la démocratie et de son fonctionnement qui doivent interroger, et probablement appeler à un retour de l’Instruction publique défendue par Jules Ferry.
« La laïcité, c'est dans notre République la possibilité de croire ou de ne pas croire librement mais le devoir absolu de respecter les lois de la République, quelle que soit sa religion. C'est de ce fait la neutralité des services publics, des services publics, pas de la société. C'est ensuite la séparation entre l'Église et l'Etat, mais la possibilité libre pour chacune et chacun de pratiquer sa religion sans que cela vienne troubler l'ordre public, sans que cela vienne troubler le respect des lois de la République.
Emmanuel Macron, 18 février 2020, point de presse à Mulhouse.
« Le principe de laïcité, s’il est bien compris, appartient aussi à la Doctrine sociale de l’Église. Il rappelle la nécessité d’une juste séparation des pouvoirs qui fait écho à l’invitation du Christ à ses disciples : “Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu” (Lc 20, 25). »
Jean Paul II, 11 février 2005, lettre aux évêques de France.
Délégué général
10 moisIl faudrait peut-être ajouter également : inclusivité , douceur, sobriété, décarbonité 🤭