L'INDUSTRIALISATION, LA DIVERSIFICATION DE L’ÉCONOMIE: POURQUOI LES PAYS AFRICAINS AU SUD DU SAHARA N' Y ARRIVENT PAS ?
Cette fin d'année a été marquée par la situation économique difficile que connaissent les pays de la CEMAC. Parmi les raisons évoquées, on a la faible diversification des économies et le défaut d'industrialisation. Et comme toujours c'est la même rengaine comme solutions: Diversifier et surtout industrialiser les économies. Mais ce qui est triste est que cette solution qui devenu une incantation magique est récitée depuis les indépendances sans que rien ne change. Les gouvernements s'y sont essayés en adoptant certaines politiques, les institutions internationales comme le FMI et la Banque Mondiale ont proposé des solutions, mais tous se sont cassés les dents. Les pays restent dans la même situation. Contrairement aux pays d'autres continents, les pays africains sont les plus nombreux qui n'ont pas connu un début de réelle industrialisation. A la limite, on y retrouve quelques industries légères et quelques chaines de montages qui font de la pré-transformation et l'assemblage sans réelle effet d'entrainement sur l'ensemble de l'économie et une utilisation réelle des ressources locales. Les quelques industries lourdes qui avaient été bâties dans les années 60 dans les secteurs de la sidérurgie et l’énergie, ainsi que dans la production des biens ménagers comme l'industrie textile, aluminium, ... ont presque toutes disparus et celles qui survivent fonctionnent à coup de grosses subventions budgétaires créant de véritables tensions sur les finances publiques des états.
I : LES CAUSES EVOQUEES
Plusieurs causes ont été avancées par les économistes pour expliquer ce retard et même des approches de solutions mais 60 ans après, c'est le même constat d'échec cuisant, synonyme que ces raisons et ces solutions ne conviennent pas et ne sont pas les bonnes, mais curieusement comme des mules, on continue de les réciter mécaniquement comme des prières.
Trois principales causes ont été avancées pour expliquer le retard. Selon l’économiste français Gerald Grellet Il s agit principalement de l'insuffisance des facteurs de production, la domination externe et les choix de stratégies économique et sociales inadaptées. ainsi pour les facteurs de productions, on cite le manque de capital, le manque de main d’œuvre qualifié, le manque d’infrastructure, le manque d’entrepreneur local, le manque d’expérience technologique (la solution à l'époque à été de mettre en place des gros projets d'infrastructures clé en main, de former la main d’œuvre, d'attirer les investisseurs à coup de facilitations ).
Pour la dépendance extérieure, l'on évoque le fait de la colonisation qui avait réservé le monopole aux entreprises étrangères qui recherchait juste les débouchés pour leurs produits, des marges importantes et surtout la matière premières. De plus les faibles salaires payés aux indigènes ne permettaient pas de mettre en place une demande forte pour faire vivre une industrie locale (Ici certains états ont choisi de nationaliser certains secteurs).
Enfin pour les politiques économiques et sociales mises en place, on évoque le protectionnisme avec l'érection des barrières douanières pour protéger certains industries naissantes (substitution aux importations) qui finalement sans concurrence n'ont pas pu développer des bonnes techniques pour survivre, sont rester paresseuses, peu innovantes, peu productives et surtout ont eu toujours besoin de paternalisme. D'ailleurs pour résoudre le problème, la Banque mondiale a proposé, non pas une substitution aux importations comme l'avait préconisé Raul Prebisch, mais plutôt une industrialisation tournée vers la conquête de marchés extérieurs Car selon elle, la plupart des pays africains ont des arguments pour à savoir une main-d'œuvre dont les coûts salariaux sont inférieurs à ceux d'autres pays en voie de développement et les débouchés préférentiels vers l'Europe et même les USA. Il a été également les raisons relatives à la corruption et la mauvaise gouvernance.
II : LES LIMITES DES CAUSES EVOQUEES
Toutefois, toutes les solutions issues de ces causes se sont globalement soldées par des échecs cuisants. Et justement parce que ces causes citées sont questionnables, limités et ne suffisent pas à expliquer la situation du déficit d’industrialisation.
En effet, pour ce qui est du manque des facteurs de production, l’erreur commise par les économistes est qu’ils font comme si les facteurs de production sont des données exogènes. Ils sont eux-mêmes produits au cours du processus d'industrialisation, le bitume pour construire une route, le fer ou l’acier pour construire une turbine de barrage sont produits par une industrie. Les secteurs sont imbriqués et fonctionnent ensemble et simultanément. Ils ne peuvent être déconnectés. C’est pour ça que les industries éparses et déconnectés construites, les infrastructures clés en main ont toutes été abandonnés et ont disparues. De plus, la raison de la déficience des facteurs de production ne permet pas de comprendre l'industrialisation de la Chine, de l'Inde, ou de la Corée, pays qui préalablement à l'industrialisation ne possédaient aucun des facteurs de production requis. De plus, s’il existait de réelles perspectives d'industrialisation pourquoi le capital étranger ne chercherait-il pas à s'investir en Afrique noire? Pourquoi a-t-il préféré à l'Afrique d'autres zones géographiques comme le Sud-Est asiatique ou certains pays d'Amérique latine? Pourquoi les seules opérations effectuées en Afrique noire ont-elles été des opérations commerciales et spéculatives ? De plus, parlant de l’absence de capital, les pays africains ont accumulés d’importants épargnes dans les années 70 et au début des années 80 mais les investissements industriels réalisés ont tous échoués. De même, on ne peut affirmer qu’il manque de la ressource humaine pour amorcer l’industrialisation car on trouve des ingénieurs mais qui préfèrent bosser dans l’administration ou préfèrent rester en Europe pour travailler. Et si l’industrie montrait le besoin, le déficit d’ingénieur serait très vite compensé car il y aurait des opportunités. De plus quand l’Europe ou les pays asiatiques amorcent leur industrialisation, il n y avait pas 1 milliards d’ingénieur. Les babouches, les vêtements, les balais, les cures dents peuvent être produits dans des entreprises avec un personnel de niveau primaire et 2 ou 3 ingénieurs et ces industries ont fonctionné dans nos pays dans les années 70.
Concernant la dépendance extérieure, s’il est vrai que le capital étranger n’a pas servi à développer l’industrie locale pour des raisons stratégiques et la survie, cette raison ne suffit à expliquer la sous-industrialisation des pays africains. En effet, des pans entiers du secteur industriel ont été nationalisés et parfois confiés à des entrepreneurs locaux mais presque toutes les expériences de création d'une industrie lourde par le secteur public se sont toutes soldées par de lourds échecs du fait non pas de la nature de la propriété juridique des entreprises mais de l'impossibilité de créer de réels effets d’entraînement. En effet, toutes entreprises industrielles locales, qu’elle soit du privé local ou étranger ou du secteur publique DOIVENT IMPORTER LA QUASI-TOTALITE DE LEURS INPUTS INDUSTRIELS ET DE LEURS TECHNOLOGIE avec comme conséquence l’impossibilité d’être compétitives (tant sur le prix que sur la qualité), concurrentielles et d’élargir leur marché national par la mise en œuvre de leur production. Les produits locaux seront toujours plus chers que les produits importés surtout quand ils ne sont pas protégés du fait de l’importation de la technologie et des imputs. Une étude du Ministère des Finances du Cameroun en 2013 a montré que l’importation des intrants représente environ 70% des charges des entreprises locales, ce qui rend leurs produits plus chers et peu compétitifs. Les maigres industries locales se bornent à faire du conditionnement et du commerce.
Relativement aux politiques économiques et sociales, on peut se dire que même si la main d’œuvre en Afrique est moins chère qu’ailleurs, les couts de production industriels restent plus élevés que dans d'autres pays exportateurs du fait de la faible productivité, de l'absence d'infrastructures, de l’importation des inputs et de la technologie et de l'impossibilité d'accéder aux économies d'échelles que permet un vaste marché interne. De plus, les pays qui semblent offrir des facilités n’hésitent pas à bloquer l’accès aux marchés aux produits manufacturées africains comme l’Europe l’a fait pour de nombreux produits. De plus, l’Afrique ne peut s’insérer sur le marché international que sur les produits classiques (textile, cuirs…) dont les marchés sont déjà saturés et sur lesquels ils seront les derniers arrivés.
Pour ce qui est de la corruption et la mal gouvernance, s’il est vrai qu’il s’agit des freins, il faut dire que cela ne suffit pas puisqu’on a des pays comme le Vietnam ou le Brésil qui s’industrialisent dans un contexte de grande corruption et de mal gouvernance. Il en est de même des autres pays asiatiques qui avaient amorcé leur industrialisation sans être des modèles de gouvernance.
III : UNE NOUVELLE APPROCHE POSSIBLE
Les trois explications précédentes de la sous-industrialisation de l'Afrique ne semblent pas suffire à expliquer le retard industriel de l’Afrique. En effet, l’industrialisation locale suppose une forte demande locale et donc un pouvoir d’achat existant (importance de la classe moyenne locale qui consomme les biens locaux). Or dans notre contexte ou le pouvoir d’achat est faible, toute augmentation de l'offre manufacturière ne trouve pas de débouchés correspondants, ce qui entraîne une sous-utilisation des capacités productives qui doit être couverte soit par une hausse des prix, soit par des subventions de l'Etat. Ces deux cas entraînent une baisse de la demande globale et donc une nouvelle crise de débouchés.
De plus, la production manufacturière demande des inputs dont la plupart ne sont pas produits localement, qu'il s'agisse de matières premières comme le pétrole ou de biens intermédiaires comme l'acier, les produits chimiques, les machines-outils ou les biens d'équipement, ce qui nécessite des devises dont les pays ne disposent pas les pays en quantité suffisante. La conséquence est la répétition des crises que connaissent ces pays avec les ajustements internes (austérité sous la houlette du FMI) et ajustement externe (dévaluation). De même, les techniques de production utilisant ces inputs industriels ne nécessitent que peu de travail et on aura toujours plus de chômeurs et donc un faible pouvoir d’achat incapable d’acheter la production correspondante. En effet les techniques de production qui sont importées sont des techniques déjà évolué des pays plus avancés qui plus recours aux machines qu’aux humains.
III.1 : Revoir les contraintes
Quatres principales contraintes se présentent et il faut les surmonter. Il s’agit notamment de :
· De l’impossibilité des pays comme le Cameroun de disposer d’importantes ressources pour financer un démarrage industriel important à l’image de celui de la Corée, Taiwan, Singapour ou la Chine comme dans les années 70 et début 80. Tous ces pays africains sont largement endettés et les ressources pouvant permettent de constituer une vraie épargne pour financer l’industrialisation comme le pétrole et les minerais subissent des fluctuations régulières de prix. La conséquence est l’instabilité du volume des réserves monétaires des pays comme le Nigeria, l’Angola, la Guinée qui pourtant avaient constitué des stocks importants. De plus les nouveaux pays industrialisés comme la Corée ont bénéficié d’importants appuis financiers des pays comme les USA ou le Japon parfois non remboursables ou à des conditions hyper concessionnel (de véritable plan Marshall). La Corée a par exemple bénéficié de plus de 5000 millions de dollars US de soutiens financier des USA et du Japon en moins de 5 ans pour amorcer son industrialisation ;
· La seconde contrainte est que les pays africains ne trouveront pas l’extérieur les débouchés qu’ils ne peuvent trouver à l’intérieur (du fait de la faible taille des économie et du faible pouvoir d’achat) dont ils ont besoin pour atteindre le seuil critique de rentabilité de leur industries. En effet, l’avancée technologique des autres pays font que les produits africains sont peu compétitifs tant sur le plan des prix (cout élevés des inputs) que sur la qualité (technologie en retard) ;
· La troisième contrainte est liée à l’évasion constante des ressources vers l’extérieur qui empêche toute augmentation de la production industrielle. En effet, toute augmentation de la production doit susciter une demande équivalente. Or étant donné que la demande extérieure est bloquée du fait de la faible compétitivité, il est donc clair que l’augmentation de la production industrielle reste conditionnée par la hausse équivalente de la demande intérieure. Il faut donc que les revenus issus de l’industrialisation soient réutilisé pour acheter les produits de l’industrialisation et ne s’échappent pas hors des frontières, sinon les capacités productives ne seront pas utilisées à leur niveau optimal et la production déclinera pour conduire à la disparition de cette industrie. Il faut donc que les revenus générés ne servent pas à financer l’achat des produits concurrents à l’étranger. Il faut créer un pouvoir d’achat captif.
· Pour les pays de la CEMAC, en plus des contraintes et difficultés que nous avons vu, il y a le FCFA qui constitue un blocage. En effet, sa convertibilité illimitée avec l’euro facilite l’évasion des maigres ressources dont dispose les économies locales réduisant encore plus les marges de manœuvre et les ressources pour le développement de l’industrie locale.
III.2 : Revoir les objectifs de l’industrialisation
Il est important de revoir quelle orientation donné à l’industrialisation. L’on ne peut plus revenir à l’industrialisation pour des raisons d’indépendance économique comme dans les années 60 et 70, à l’industrialisation au dépend de l’agriculture ou alors à l’industrialisation pour la conquête des marchés étrangers car cela a pour conséquence d'augmenter la dépendance nationale par l'augmentation des flux d'endettement, par la nécessité d'avoir recours à des technologies étrangères et par l'augmentation des importations de biens d'équipement et d'inputs industriels comme l’a démontré l’économiste sud américain Diaz-Alejandro.
Il faut donc revoir les objectifs de notre industrialisation qui doit être moins ambitieuse.
· Il faut s’assurer de couvrir les besoins les plus essentiels des populations. Chercher à produire les biens les plus élémentaires qui ne nécessitent pas de technologie très sophistiquée, la main d œuvre très qualifiée et très peu d’inputs importés pour réduire les coûts et la concurrence étrangères. Progressivement cette production ayant un marché local sur va se moderniser à l’image de la Chine. Il ne sert à rien d’aller directement vers les industries de pointe sur lesquelles
· L’industrie doit absorber la grosse masse de chômeurs que l’administration publique et les quelques entreprises privés ne peut absorber. Il faut donc que l’industrie utilise les techniques qui nécessite la main d œuvre et non des techniques trop sophistiqués qui n emploient pas de main d œuvre. Car avec une population qui travaillent et qui gagne un revenu, l’industrie est sure d’avoir des débouchés certains qui favorise son éclosion et son développement.
III.3 : Quelle approche donc ?
Il faut donc pour nos pays une approche qui combine l’utilisation des technologies locales, de la main d œuvre locale, des imputs locaux et qui capte de la ressource locale. Il sera plus question de fonder son industrialisation sur des petites unités de production utilisant les techniques et technologies localement adaptées comme l’ont fait l’Inde, Taiwan ou la Chine. Ainsi on encouragerait la production du tissus à partir des techniques qui utilisent une grande quantité de main d’œuvre, des fonderies artisanales … Ces techniques existent partout dans le monde et sont parfaitement reproductible et à moindre cout.
Toutefois pour offrir une protection de l’industrie naissante, il faut mettre en place un mécanisme captif pour les ressources disponibles. Un mécanisme qui permette qu’il y a un marché local pour la production locale. Un mécanisme qui permette que les maigres devises gagnées dans les exportations restent au sein de l’économie et ne servent à importer des biens qu’on peut produire avec des techniques locales même si ces biens sont de qualité moindre. Un mécanisme qui créerait un marché captif pour la demande de la production industrielle naissante.
Économiste statisticien chez CEMAC
7 ansBon article. Le véritable problème est la qualité du management politique. Par exemple la libre circulation des personnes dans la CEMAC créerait un véritable marché commun qui inciterait à la création de nouvelles industries ou au développement de celles existantes. Le FCFA ne saurait être une contrainte au faible taux d'industrialisation. Au contraire !!!