LA VOITURE AFRICAINE          
       Qui Va Piano Va Sano

LA VOITURE AFRICAINE Qui Va Piano Va Sano

                                                        

 

Après l’afro-pessimisme, l’heure de l’afro-optimisme ? mais toujours de manière insuffisamment nuancée.

On redécouvre le continent sans doute parce que partout ailleurs les perspectives de croissance sont moindres et le retour sur investissement moins rapide. Le politique noircit souvent le tableau, mais le monde des affaires continue d’y voir de la couleur et de belles opportunités. Ainsi, vante t’on le potentiel considérable dans des domaines tels que l’agro-industrie, le textile, l’industrie automobile, les énergies renouvelables .. Et c’est vrai, mais pas nouveau, ni évident de transformer espoirs en réalité ; les prévisions long terme sont souvent trompeuses.

Les Nations-Unies et les grandes instances internationales, sont convaincues du potentiel de développement extraordinaire de l’Afrique, nécessaire d’ailleurs pour les équilibres du monde (y compris en termes de fixation des populations) : mais les nobles objectifs 2030 de Développement durable de l’ONU ou 2063 de l’Union Africaine, ne seront rendus possibles que si le développement économique et social sont au rendez-vous et la croissance inclusive. Sans aller dans leur détail, mais en croisant simplement les facteurs clés des matrices et rapports Banque Mondiale, IDH du PNUD, BAD, Mo Ibrahim, Quantum Global, Transparency International .. on comprend rapidement que si quelques pays sont sur la bonne voie, la majorité est en délicatesse avec ses programmes pour l’Emergence et que le développement humain ne suit pas. Le non-alignement des objectifs politiques, économiques et sociaux des Etats n’est que trop visible : promesses non tenues, problème de gouvernance certainement, démocratie ou pas.

                   

Cherchant naturellement à tirer profit du charme qu’on veut leur attribuer, les pays africains nouent des relations nouvelles, diversifiant leurs achats et leurs débouchés, sans naïveté quant aux intentions intéressées de ces partenaires «non historiques». Mais le bénéfice à moyen terme est-il ainsi plus raisonnablement assuré et contribue t’on mieux qu’avant à la croissance des exportations de produits à valeur ajoutée ? Car le continent, champion mondial de l’importation, a l’impératif de rééquilibrer sa balance commerciale et l’origine de ses IDE, ce que la ZLECAf faciliterait en dopant les échanges et les investissements intra-africains et espérons-le, en boostant aussi l’export hors Afrique de produits transformés. C’est la bascule d’une Afrique qui consomme à une Afrique qui produit, qui devrait s’annoncer.  

A minima, trois conditions me semblent devoir être remplies pour faciliter le développement économique et industriel à grande échelle sur le continent.

1/ Des plans de développement moyen terme et long terme des infrastructures, arbitrant les priorités économiques et humaines. Routes, ports, aéroports, chemin de fer, réseaux d’adduction d’eau et d’accès à l’électricité, en intégrant la problématique inquiétante et urgente du réchauffement climatique (menace réelle et opportunités aussi concrètes pourraient être traitées de pair). Indépendamment de la qualité des plans directeurs et de la bonne exécution des travaux, la clef de l’équation demeure les engagements de financements internationaux, des plateformes comme Africa50 -dont les Etats africains sont actionnaires- ne suffisant pas.

L’Afrique est le continent le plus gravement impacté par les effets néfastes du réchauffement climatique, principalement causé par les pays industrialisés ; le Fonds des pertes et préjudices, devant bénéficier aux plus vulnérables des pays en voie de développement (en Afrique et dans le monde) a été opérationnalisé lors de la COP28 en décembre dernier et des engagements de 700 millions USD reçus … loin des promesses faites un an plus tôt. 

En revanche, le projet Global Gateway de l’UE pour renforcer les infrastructures clef, une riposte aux Nouvelles routes de la Soie chinoises, serait doté d’une enveloppe de 150 milliards d’euros. Des initiatives de nature bien différentes bien sûr, mais qui illustrent à mon sens la vision court terme et purement mercantile qui prévaut vis-à-vis du continent.    

2/ Une volonté de développement humain traitant comme priorités de même niveau, accès à l’énergie, santé, éducation, égalité femmes-hommes, emploi des jeunes, désenclavement et prise en compte de certaines spécificités ethniques, car sans véritable inclusivité toute politique publique est vouée à l’échec, causant tensions, fractures, voire des conflits. Climat politique apaisé et paix sociale sont indispensables à l’investissement de moyen-long terme et au développement durable. En périphérie de cette problématique, la bonne intelligence entre pays voisins (dont dépendent la circulation des biens, des personnes et parfois des «autoroutes» de l’eau, de l’électricité ou des communications) et la lutte contre le terrorisme.   

3/ Une gestion optimisée des ressources naturelles : utilisation de ressources locales plutôt qu’importées lorsque cela est possible, (re)négociation de clauses équilibrées avec les exploitants ou négociants étrangers d’autant plus quand il s’agit de ressources rares ou sensibles, recadrage des procédures d’Appels d’Offres dans certains cas, gestion plus pérenne et transparente des revenus attendus et réels des contrats (argent dépensé trop vite on ne sait où), développement exponentiel des Energies Renouvelables.

COP28 a fixé un objectif mondial de triplement de la production des ENR d’ici 2030, l’Afrique peut faire mieux, notamment grâce au photovoltaïque, le soleil étant une ressource largement partagée sur le continent, gratuite, largement disponible tout au long de l’année et inépuisable. Le déploiement des centrales est de plus rapide.      

           

L’Afrique est une mosaïque d’Etats souverains, dont le lien commun est cet accord de libre-échange, la Zone de libre-échange continentale africaine-ZLECAf, projet lancé en 2012, dont les 54 pays signataires travaillent à la mise en œuvre effective. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas tout. Des différentes Communautés Économiques Régionales africaines, la CEDEAO et mieux encore en son sein l’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine) a montré qu’elle est la zone d’intégration qui a le mieux fonctionné. Mais …

-        le projet de monnaie commune du marché commun CEDEAO, l’ECO devant remplacer le FCFA, a été repoussé à 2027 … fort heureusement si cela donne le temps de s’assurer des mécanismes permettant de ne pas faire basculer les pays de la zone CFA actuelle. Car Nigeria et Ghana ne cessent de décevoir par leur incapacité à maîtriser au fil des décennies, inflation à deux chiffres et une dépréciation permanente de leurs monnaies, synonymes de marginalisation des populations à faible revenu, de renchérissement et de réduction des importations, d’augmentation des taux prêteurs etc;

-        3 des 8 Etats membres viennent de faire sécession en créant l’AES – l’Alliance des Etats du Sahel – et se proposent de créer leur propre monnaie.

Ces exemples factuels peuvent donner une idée de la profondeur des équations risques/opportunités sur le continent et de la difficulté à réunir les conditions acceptables pour de lourds investissements. C’est bien ce que prennent en compte les constructeurs automobiles qui, contrairement à ce que certains annoncent comme une course, ressemble plutôt à une stratégie bien mûrie, étape par étape, adaptée aux environnements.

                                                                        

Il convient de distinguer : A/ l’industrie de production (montage /assemblage) de véhicules et de composants, visant à la fois les marchés locaux, régionaux et l’export mondial B/ le secteur de la distribution et des activités liées (pièces de rechange, pneumatiques, batteries, accessoires, réparation et carrosserie, Service Rapide etc..) concentré sur son marché national.

A/. Seuls les plus grands constructeurs, fins connaisseurs du continent, investissent des centaines de millions USD ou Euros dans des points d’ancrage géographiques cohérents avec leurs objectifs internationaux de pénétration des marchés cibles, i.e. les marchés locaux à potentiel confirmé (>100K) et leurs marchés export hors d’Afrique.

Afrique du Sud et Maghreb, sont des marchés de volumes où le gros des ventes se situe dans le low-cost, les segments d’entrée de gamme et les utilitaires légers (VUL), solidement soutenus par une industrie bancaire, du crédit et des assurances. Les usines y écoulent une partie de leur production, une autre est dédiée à l’export régional et surtout hors d’Afrique. La production locale reste protégée par des barrières à l’entrée en RSA, mais pas au Maroc, tout du moins pour les fabrications européennes en vertu d’un accord de libre-échange avec l’UE : un même type d’accord conclu avec l’Egypte, moins bien négocié, torpille son industrie d’assemblage en l’absence de plan d’adaptation.  Le cas de l’Algérie est encore différent et les noces de Fiat/Stellantis avec l’Etat, pour produire localement, restent à valider dans le temps.      

La création d’écosystèmes de centaines d’usines opérant dans la sous-traitance automobile, les 260K véhicules produits par l’usine Renault de Tanger, opérationnelle depuis 2012, la production Stellantis de Kenitra depuis 2019, font du secteur automobile l’exportateur n°1 du Maroc avec une contribution significative au PIB ; le pays est devenu une plateforme industrielle mondiale de premier plan. De multiples projets, dont le doublement de la capacité de production de Stellantis Kenitra, les opportunités liées au véhicule électrique et l’entrée des constructeurs chinois, devraient conforter cette réussite de politique économique, car tout y est : l’ambition long terme, la cohérence dans le temps avec les objectifs premiers, les paquets d’exonérations et d’incitations fiscales sur toute la chaîne de valeur, les moyens humains, la concertation de l’Etat avec les partenaires privés étrangers et nationaux, les financements et le coût de l’argent, la stabilité de la monnaie, le transfert des dividendes, les infrastructures routières et portuaires, la paix sociale. Ecosystèmes équipementiers et montage automobile se sont appuyés l’un sur l’autre pour créer le maximum de valeur locale en atteignant des taux d’intégration élevés. La fierté d’une industrie automobile nationale n’est pas tant de produire sa propre marque, que de contribuer à la richesse du pays.

L’Afrique du Sud offre historiquement de semblables opportunités. Les constructeurs et les équipementiers (OEM) présents dominent le marché local et exportent dans le monde entier. Contrairement au Maroc plus de la moitié de la production est vendue localement. C’est une base idéale pour l’export régional en Afrique australe et en Afrique de l’Est, moins pour la côte occidentale à cause de la logistique maritime. Toyota y investit régulièrement et y écoule 139K véhicules (leader du continent il réalise 108K sur tous les autres pays). Stellantis, avec agressivité, a décidé d’une implantation industrielle pour pénétrer la région.

Ces deux hubs offrent les conditions, la qualité et la compétitivité requises pour jouer un rôle encore plus important dans la production mondiale de véhicules (laquelle se déplace des pays industrialisés d’origine vers des régions de volumes potentiels et surtout à coûts de production moins élevés). Pour les constructeurs et OEM présents cela constitue également un atout de premier ordre pour profiter au maximum d’un marché continental africain sans droits de douane, un jour prochain. Ce qui ne sera pas à la portée des petites unités d’assemblage installées ici et là (Kenya, Nigeria, Ghana ..) et parfois depuis longtemps. Car l’intention industrielle en Afrique est tout sauf nouvelle, mais n’a pas résisté aux chocs économiques, à l’incohérence des politiques douanières et fiscales, à l’invasion des véhicules d’occasion liée à la baisse du pouvoir d’achat amputé par l’inflation et les dévaluations monétaires successives. Quelques unités ont survécu, tant bien que mal, d’autres ont vu le jour ces dernières années pour occuper le terrain local et sous-régional : de petits investissements pour des volumes réduits, de faibles taux d’intégration, sans création de vrais écosystèmes. Leur avenir dépendra de l’élargissement de leur marché domestique, mais surtout des règles de «contenu local» de la ZLECAf.               

B/. Il y a une logique à ce que les marchés automobiles africains progressent en volume avec le temps, étant donné la croissance des populations, les besoins de circulation des personnes et des marchandises et l’émergence des classes moyennes. Les taux d’équipement y sont également les plus faibles du monde et le volume cumulé des ventes Afrique représente moins de 2% du marché mondial. Il y a donc un grand potentiel, mais sur quelle échelle de temps ?

L’Afrique du Sud et les pays du Maghreb concentrent l’essentiel des volumes, or ces marchés ont chuté en cinq ans de 1 100K unités à 810K en 2023. La RSA se maintient sur le long terme autour du demi-million de ventes domestiques. Le marché Maroc, qui a progressé régulièrement et remarquablement depuis le démantèlement des droits à l’import et une sévère règlementation sur les occasions, marque le pas autour de 160-180K, avec des perspectives fondées de rebondissement. L’Egypte a perdu sa seconde place à cause de la crise économique et le glissement de sa monnaie, des 270K de 2015 et 2021 le marché VP/VUL chute à 70K. Sur la décennie la Tunisie résiste entre 50K et 60K. Le marché algérien, qui a connu le meilleur après la fin des monopoles d’Etat en 1998 et a culminé à plus de 450K a sombré sous le coup de règlementations inadaptées, la dépréciation du dinar et le manque de devises (contrecoup de la chute du prix du baril). Une estimation des besoins constants à 250K suppose que la production Fiat de Stellantis, celle de Renault à Oran et les importations des concessionnaires agréés soient opérationnelles en années complètes.       

Ailleurs, on ne compte guère que quelques marchés à plus de 10K, Nigeria, Kenya, Côte d’Ivoire, Namibie .. Sans spéculer sur la capacité des «classes moyennes» à acheter un véhicule neuf, ce qui est autre chose que de pouvoir faire ses emplettes dans un supermarché, l’observation des données renseigne sur les tendances et les progrès possibles à court terme.

Des années 1960 aux années 1980 des unités d’assemblage privées et étatiques ont challengé les importations automobiles du Nigeria, mais les booms pétroliers ont compromis cela. Après quelques années à 50K (57K en 2014) les autorités ont essayé de relancer l’assemblage en 2015, mais la chute du prix du baril la même année, l’inflation et la dépréciation du Naira, ont tué le projet : en dépit de la baisse des droits de douane sur les véhicules importés le marché se situe à présent entre 10 et 15K (pour un pays de >200 millions d’habitants et le 1er PIB d’Afrique avec l’Egypte). L’absence de maîtrise du facteur monétaire a été déterminante : 1 Naira = 1 USD fin des années 1980, mais 130 à 160 dans les années 2010/2014, 310 en 2016 – 890 début 2024 et la chute continue.      

Au Kenya, pas de pétrole, mais les aléas de la gestion de l’économie dans le contexte d’une dépréciation modérée (-36% sur le USD en dix ans). Du yo-yo entre 11 et 20K sur la décennie (record en 2019).

Le marché ivoirien a évidemment souffert de la dévaluation du FCFA de 1994 (valeur divisée par 2), puis des troubles des années 2000 et de la guerre civile de 2010-2011, pour commencer à se reprendre progressivement et dépasser les 20K depuis 2021, niveau record qui était celui … du début des années 1980. 

Les véhicules d’occasion importés dont les volumes annuels peuvent représenter quatre à dix fois le marché du neuf répondent à une nécessité de mobilité des personnes et des marchandises, mais les conditions d’entrée, l’état et l’âge de ces véhicules ne sont généralement pas assez sévèrement et adroitement règlementés.

                                                                         

Les vagues japonaise, puis coréenne et à présent chinoise, ont remis en question le leadership africain des marques européennes, sans pouvoir créer par leurs avantages concurrentiels (prix en premier) d’opportunités de croissance forte et durable des marchés. Les capacités financières des acheteurs ont réorienté les marchés vers les segments utilitaires 4x2 et 4X4 et plus récemment les SUV à l’exception des marchés du Maghreb où la voiture particulière domine.  

La croissance des segments utilitaires et poids lourds traduirait de meilleurs moyens au service de l’économie, quoiqu’avec des volumes réduits, mais c’est souhaitable et possible. Comme cela commence à l’être dans le domaine du transport public des personnes avec quelques belles initiatives. Il en est différemment des véhicules particuliers, dont le gisement est énorme, mais irréalisable à court terme, même en multipliant les opérations spéciales combinant la «bonne volonté» des acteurs privés et publics de la chaîne et la sécurisation du crédit au consommateur, élément in fine nécessaire à la résolution de l’équation financière. Faudrait-il déjà, que les uns ou les autres en aient la volonté.

          

Cette volonté commune pourrait de manière plus réaliste se concrétiser par la création d’écosystèmes locaux de sous-traitance spécialisée ayant vocation à exporter, mettant à profit des ressources naturelles ou disponibles à bon marché. Cela suppose des partenariats public-privé et un investissement direct ou indirect étranger, dans un cadre sécurisant l’épanouissement pérenne de telles entreprises. Cela existe déjà (en Afrique du Nord), de tels pôles d’excellence sont réalisables ailleurs.

 

NB : ce document ne concerne pas le marché des véhicules de plus de 3.5T et des bus.  

Mars 2024.

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