L'influence, l'IA et Socrate
Autant il est facile de faire le lien entre l’influence et l’IA, vu le grand nombre de posts et d’articles traitant de ces sujets, autant pour Socrate, si l’on considère qu’il ne s’agit pas du programme de communications fixes inter-sites de l'armée française, on ne voit pas forcément le rapport avec les deux premiers mots de mon titre. D’ailleurs, même pour le programme des Armées, on ne voit pas le rapport. Quand j’ai décidé d’écrire cet article, je ne savais pas exactement par quel bout commencer : évoquer en premier ce qui me paraissait incongru dans les propos que je lis depuis quelques semaines ou énumérer des principes philosophiques à la suite les uns des autres. Mais, je me suis souvenu, moi victime du système scolaire français, que les cours de philosophie, pour ceux qui comme moi, avaient fait un bac scientifique, étaient des temps de repos bien mérités comparé aux dizaines d’heures de mathématique à comprendre les suites de Fourier. Donc j’allais perdre 90 % de l’auditoire si j’empruntais cette voie. Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, où les Terminal C regardaient avec un certain mépris les classes littéraires, dont ils considéraient que bon nombre allaient se retrouver en fac de psycho, faute de ne pas pouvoir faire autre chose. Combien d’enfants ont entendu de la bouche de leurs parents, « si tu ne travailles pas à l’école tu finiras en psycho ». Quelle revanche aujourd’hui pour toutes ces femmes et ces hommes de conviction, qui ont fait un véritable choix de carrière, il y a très longtemps dans les sciences humaines. On ne cesse de parler de psychologie cognitive, de biais et d’interaction neuronales. Mais le plus fou, c’est que ces propos ne viennent pas de psychologues, de sociologues ou autres experts, mais de mathématiciens, d’ingénieurs informatiques, de spécialistes de la cyber, de développeurs, dont je soupçonne certains d’avoir eu des pensées pas très charitables dans leurs jeunes ages à l’égard de la psychologie.
Alors passons outre le faite qu’une fois de plus, des gens s’accaparent une thématique dans le vent. On a déjà connu ça dans le domaine de la cyber alors pourquoi pas dans le domaine de l’influence. On entend en permanence les mots désinformation, fake news, influence, biais cognitifs comme si ces mots étaient apparus dans le dictionnaire, il y a 3 ou 4 ans. Avant ce qui était fun, c’était les attaques cyber, maintenant ce sont les campagnes de désinformation, c’est Elon Musk pour les élections américaines et le réseau social X qui ne connaîtra plus aucune censure laissant place à tous les excès selon les dires de certains. Parlons des biais cognitifs. Pour toutes les personnes des fac de psycho, qui ont du ingurgiter les théories de développement cognitif de Piaget ou de Wallon dans leur cursus universitaire, biais cognitifs sont des mots qui datent des années 60. En marketing, le biais d’autorité, n’est pas apparu avec les campagnes d’influence des dernières élections américaines et Taylor Swift, mais depuis que, entre autre, des marques ont profité du fait qu’une célébrité portait leurs effets, pour décupler leurs ventes. A l’époque, ça ne s’appelait pas biais d’autorité, mais ça fonctionnait quand même. Rappelons nous Gucci et Jackie Kennedy, Chanel et Jackie Kennedy, Hermès et Jackie Kennedy, Dior et Jackie Kennedy. De quelle marque ne fut-elle pas l’égérie ? Quelle classe ! Quelle intelligence ! Et quelle influence...sur les électeurs, sur les femmes de l’époque et sur tous ceux qui l’ont pris en modèle.
Aujourd’hui, on ne remettra pas en cause le fait que la désinformation ou les opérations de scam ont leurs effets décuplés par l’emploi de l’IA. Visage plus vrai que nature, voix reproduite à la perfection en temps réel, création de contenu facilité, on ne sait plus quoi croire. Alors l’IA qui était annoncé comme le Messie devient le mal incarné. Et donc, s’en suit, les alertes sur les dérives de l’IA qui nécessitent bien sûr la mise en place d’une régulation. Mais alors que la réglementation européenne, votée sur l’IA en mars 2024, impose à certaines entreprise de se mettre en conformité en août 2025 et pour d’autres en 2030, l’IA évolue de manière exponentielle, laissant apparaître de manière claire le fossé entre la temporalité du droit et celui du développement de la puissance de calcul des IA. D’ailleurs, je me demande si l’on a utilisé ChatGPT pour rédiger la loi européenne sur l’IA. Il serait intéressant de demander de manière régulière à une IA d’écrire une loi pour la contrôler. C’est au moment où elle ne répondra pas que l’on pourra commencer à s’inquiéter.
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Mais où est Socrate me direz vous dans tout ça. J’y viens. Alors que beaucoup ont compris que pour la première fois depuis le siècle des lumières, ce n’est pas une machine qui va permettre de résoudre le problème, de nombreuses voix se lèvent pour dire que face à l’IA et la désinformation, la seule solution est d’apprendre aux gens à réfléchir, à être critique face à l’information et donc à trouver la vérité. On y est. Après près de 2500 ans, sans le savoir, mais, pas tout à fait non plus, on reprend les préceptes du père de la philosophie occidentale Socrate. Même si historiquement, nous n’avons pas d’écrits de lui, ses disciples Platon et Xénophon ont laissé une trace de sa pensée. John Cooper écrit : « Mais en un mot, pour Socrate comme pour ceux qui lui ont succédé, être un philosophe et vivre une vie philosophique signifiait vivre conformément à la raison, entendue comme faculté de raisonnement et d’analyse en vue de la vérité. ». Il aura fallu plusieurs familles royales, une révolution, 2 empires, 5 républiques et durant toutes ces périodes de multiples réformes de l’éducation nationale, pour que des gens réalisent que chaque personne doit faire un travail sur lui-même pour pouvoir avoir des pensées qui lui sont propres. A l’inverse, la poudre à canon est créée au moitié du 9ème siècle, elle arrive en Europe au 14ème siècle (la route est longue), 600 ans après on a Hiroshima et enfin en 2024 on a des satellites destructeurs de missiles, montrant très clairement que depuis des centaines d’années, le développement de la réflexion humaine, n’est pas vraiment un priorité.
Pour arriver à cette élévation spirituelle, on ne vous dit pas que vous devez aller méditer, réfléchir au monde qui vous entoure ou observer les gens et la nature, mais plutôt, dans un format très éducatif et scientifique, vous devez être conditionné pour identifier l’un des 191 biais cognitifs qui pourraient vous attaquer le cerveau ou bien analyser les informations qui vous sont présentées. Même si ces conseils sont en effet précieux pour faire face à la désinformation, ils ferment la porte à la chance d’apporter pour une fois une dimension humaine à l’éducation en faisant le pont vers d’autres valeurs, comme la tolérance et le respect qui sont les ciments de toute société. En effet, être vigilant par rapport aux informations qui nous arrivent au cerveau, c’est aussi se souvenir que certaines personnes malveillantes, de n’importe quelle origine, de n’importe quelle religion, de n’importe quel bord politique, n’ont pas d’autres objectifs que de créer des fractures au sein de nos familles, de nos groupes d’amis et de nos collègues.
Finalement, avoir une « vie philosophique » dans le sens où Socrate l’entendait, est peut-être l’idéal vers lequel nous devons tous tendre pour bien vivre ensemble. On oublie souvent que les pires conflits au monde sont les guerres civiles sous toutes leurs formes. Imaginez ce moment où vous vous retrouvez devant votre voisin, votre ami ou votre collègue et que vous le dénoncez pour l’envoyer à la mort ou que plus directement, vous l’abattez ainsi que sa famille sous l’emprise de la haine ou de la rage. Ce discours n’est pas de la sensibilisation, c’est difficilement transposable dans un Powerpoint pour en faire une démonstration en 3 points, ce n’est pas non plus une invitation à rentrer dans une secte et enfin, il n’est pas associé à un business modèle, en revanche il est le fruit d’une longue réflexion, sur la nature même de mes lectures et de leurs incidences sur mon comportement, que je souhaitais partager à tous ceux qui se donneront la peine de lire ces quelques lignes.
Fiscaliste
1 moisTout à fait en phase avec toi ( au passage Socrate était également un hoplite. La connaissance du conflit conduit à la sagesse. ) : avoir une vie philosophique, et travailler à cheminer vers l’être humain qui, libre et responsable grâce à la réflexion, ne conçoit pas l’existence sans altérité et réciprocité et conquiert la capacité de faire des choix. Vaste entreprise. Mais quel autre choix aurions nous ? L’IA sera alors ce pour quoi elle a été conçue : un outil, un auxiliaire bienvenu.
Script Writer & OSINTer
1 moisMerci, très intéressant. Former le citoyen à ne pas nécessairement croire ce qu'il voit (contre intuitif pour beaucoup), lui donner les clés et les outils (peut-être utile que chacun connaisse quelques rudiments de méthodo et techniques OSINT?) pour analyser l'information avec distance sans tomber dans le travers de la méfiance/délégitimation permanente... gros chantier !
solarpunk❇KLNR blockchain enthousiast
1 moisNon, je n 'ai pas perdu quelques minutes Christophe ;) ?Aurélie JEAN, Ph.D.