L’ingénieur, partisan du progrès technologique ou artisan du mieux-vivre ?
Les grands enjeux de société auxquels le monde est aujourd’hui confronté invitent à reconsidérer — ou pour le moins, à questionner — l’idée de progrès, ainsi que le rôle des ingénieurs dans la société civile. Dans la continuité du débat récent entre Pierre Verzat, président de Syntec-Ingénierie, et Etienne Klein, ingénieur et philosophe, je souhaite revenir sur ce sujet important de la place de l’ingénieur dans la société.
Les ingénieurs ont longtemps souffert d’un manque de visibilité sur la scène publique, en étant souvent réduits à de purs « intellectuels du savoir technique » opérant dans l’ombre. L’heure est peut-être venue aujourd’hui de leur rendre justice en considérant moins l’image que l’on se fait d’eux que le rôle tout à fait déterminant qu’ils jouent dans la transformation de nos cadres de vie et la construction même de la société.
Le progrès : problème de définition
Au XIXe siècle, du temps de la révolution industrielle, nombreux étaient ceux qui ne juraient que par une conception scientiste et positiviste du progrès. L’idée selon laquelle tout peut invariablement être résolu par la science a en effet si profondément et si durablement marqué les esprits de l’époque qu’il n’est pas rare, aujourd’hui encore, de la voir ravivée dans l’image d’Epinal que l’on se fait volontiers de l’ingénieur, ce « Géo Trouvetou » mordu de sciences et de technologies qui a pour « chaque problème, une solution ».
Mais voilà, nous ne sommes plus au XIXe siècle, ni même au XXe. L’idée que l’on se fait présentement du progrès n’est plus celle d’une confiance aveugle en la « toute-puissance de la science et de la technique ». Car tout bien considéré, avec le recul qui sied à un observateur objectif de l’histoire, la révolution industrielle a-t-elle finalement été aussi bénéfique pour l’humanité qu’on ne l’envisageait un siècle et demi plus tôt ? Difficile d’acquiescer de manière aussi catégorique qu’autrefois à cette interrogation quand on n’ignore plus, de nos jours, l’incidence globale des activités humaines sur l'écosystème terrestre…
Pour ne rien arranger à l’affaire, certains problèmes qui se posent aujourd’hui n’ont clairement pas de solutions toute faites ou collectivement admises, que l’on pourrait appliquer dans l’immédiat. Le dérèglement climatique, la déplétion des ressources ou la perte de biodiversité sont autant d’obstacles qui ne peuvent être surmontés — loin s’en faut —par la seule rigueur scientifique. Entrent également en jeu des considérations politiques, économiques, éthiques, morales… sur lesquelles il est impossible de faire l’impasse (y compris pour l’ingénieur).
Homo Numericus… ou pas !
Il est révélateur de constater qu’au cours de la seconde moitié du XXe siècle, le terme même de progrès a été peu à peu supplanté dans les usages par celui, en apparence moins équivoque, d’innovation. Un terme pourtant largement galvaudé, et dont le sens est parfois mal interprété. Ainsi l’associe-t-on presque machinalement — et de manière tout à fait abusive — à « une course (effrénée ?) à la technologie » ou à « une fuite en avant vers le tout-numérique », expressions qui ne manquent pas de faire écho au célèbre « on n’arrête pas le progrès ! » d’autrefois.
Que peut bien penser l’ingénieur de tout cela ? Le salut de l’humanité réside-t-il véritablement dans la (haute) technologie, l’intelligence artificielle, le transhumanisme ? Et de là, faut-il considérer les innovations technologiques comme des marqueurs incontestables du progrès humain ?
La question, pour l’ingénieur, ne se pose pas vraiment en ces termes. Ce n’est pas la technologie en elle-même qui sauvera le monde mais notre capacité à l’utiliser à bon escient. Si une solution technique ou technologique n’est pas adaptée au problème qui se pose, elle doit être changée. Si une innovation ne survit pas à l’épreuve d’un marché, elle doit être abandonnée. Et qui dit innovation ne dit pas nécessairement recours au digital. Oui, le numérique peut être un accélérateur d'innovation, dans la mesure où il permet d'aller plus vite, de dialoguer en instantané, d’échanger des idées et de coopérer au sein d’un écosystème riche de ressources… mais ce n'est qu'un moyen parmi d'autres. Si une solution non digitale est bonne, l’ingénieur la retient !
Pour un nouveau rapport à l’ingénieur, faiseur de possibles
Aujourd’hui, l’ingénierie de la construction intervient dans pratiquement toutes les composantes de la société. Aux besoins croissants en mobilité, l’ingénieur répond par la conception et la mise en œuvre d’infrastructures plus sûres, plus performantes et surtout mieux adaptées aux nouveaux usages qui en sont faits. Face aux impératifs de la réduction des émissions de carbone, l’ingénieur optimise la performance énergétique des bâtiments, améliore leur isolation, recourt à des matériaux biosourcés ou à des modes constructifs écoresponsables…
L’ingénieur est un acteur de son temps. Il est moins un « faiseur miraculeux de modernité », comme on pouvait l’idéaliser au XIXe siècle, qu’un pourvoyeur éclairé de solutions ad hoc, techniquement performantes et, dans la mesure du possible, écologiquement responsables, en réponse à des défis qui ne cessent d’évoluer en même temps qu’évoluent les aspirations, les modes de pensée et les façons d’agir de la société.
En lui s’expriment toutes les temporalités : passé, par la mobilisation de connaissances multiséculaires ; présent, par son action concrète et quotidienne dans la structuration de nos cadres de vie ; futur, enfin, par sa capacité à anticiper les besoins et les défis à venir.
L’ingénieur se distingue également par son rôle de passeur, en ce qu’il est une interface indispensable entre « penser » et « faire » ; il est la courroie de transmission qui rend concrètes des idées qui n’auraient sans lui pas dépassé le stade du projet.
&&&
En définitive, pour ce qui est du secteur de la construction, l’ingénieur assumerait explicitement de devenir un façonneur du cadre de vie, et partant, un artisan du mieux-vivre, pour qui l’intérêt général est la finalité de son travail. Il est « au service de ». Et c’est peut-être ainsi qu’il faudra, à l’avenir, considérer toute l’étendue du rôle qui est le sien, dans un rapport à la profession réévalué à l’aune de son action véritable dans la construction et le développement durables de notre société.
Ainsi le progrès, relève-t-il davantage, dans l’esprit d’un ingénieur du XXIe siècle, de ce qu’il est techniquement possible — et souhaitable — de mettre en œuvre pour aboutir à un mieux-vivre collectif et sociétal. En d’autres termes, l’idée de progrès est étroitement liée à la notion d’intérêt général. Une noble visée qui revêt une importance toute particulière aux yeux des collaborateurs d’Egis, dont la vocation commune est de léguer un futur durable et désirable aux générations présentes et futures.
PARTNERE chez LOUIS DUPONT Transition. Je dirige le pôle People&Organisation. J’aide mes clients à résoudre leurs enjeux grâce au management de transition. Je traite les enjeux aussi de #Mixite et des #Seniors.
3 ansL’ingénieur(e)...un(e) bâtisseur
J’adhère à 100%
Fondateur 3-COM (Stratégie / Enquêtes / Rédactionnel / Identité profonde) - Créateur de Purpose Info - Associé Wassati
3 ansMerci pour cette réflexion intéressante Laurent Germain... Pour avoir un peu connu ce milieu formidable de la construction et du génie civil, j’ai l’impression que nous avons la chance dans notre pays de former parmi les meilleurs ingénieurs au monde. Cependant, est-ce à eux ou aux donneurs d’ordre d’œuvrer à l’intérêt général ? Chacun de nos fleurons possède sa raison d’être propre et il réunit les ingénieurs qui se reconnaissent dans des valeurs, qu’elles soient formalisées ou non. J’en profite pour réitérer mon invitation à intervenir dans mon émission Purpose Info ! Cet été par exemple ?
Group CEO chez Chochoy Conseil
3 ansDavid BELLAISCH Benjamin Brullon Florent HAAS Cédric GAROT khaled ibrahim Carolina Gothberg
Consultante-Formatrice à son compte (L'Atout C.A.)
3 ansEn définitive, pour ce qui est du secteur de la construction, l’ingénieur assumerait explicitement de devenir un façonneur du cadre de vie, et partant, un artisan du mieux-vivre, pour qui l’intérêt général est la finalité de son travail. Il est « au service de ». Et c’est peut-être ainsi qu’il faudra, à l’avenir, considérer toute l’étendue du rôle qui est le sien, dans un rapport à la profession réévalué à l’aune de son action véritable dans la construction et le développement durables de notre société. Clairement, la personne qui a écrit ceci n’est pas du milieu de l’ingénierie. Espère que vos ingénieurs restent chez vous après ce recis. L’ingénierie est l’art de voir autrement, de trouver des solutions, d’etre force de persuasion devant le client... J’espère qu'aucun ingénieur soit « au service de », sinon on perd l’innovation, la créativité et surtout l’art d’être persuasif!